Chapitre 3 - 2

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Résonna le son de pas de deux bottes marchant dans la terre meuble et fine. Cèdre, pin, acacia et autres senteurs un peu acide. Une gamme colorée de parfums sur un cheveu brun profond. Le triste dormeur se tourna vers la personne qui le sollicitait d'une petite poussette à l'épaule droite. Il roulait sur le dos. Un visage gracieux, teint allée brillant d'un doux sourire un brin inquiet. Les pupilles se croisèrent. Iris aux vibrantes notes jaunes, tourbillonnant dans une danse fractale; un léger trait rose presque inconnue scintilla quelques secondes dans ce regard hypnotique et étrange. Une mèche de ces cheveux bruns lui effleura le front. La sorcière l'ensevelit sous sa toison d'ébène. Elle le surplombait de bien peu de centimètres. L'homme fit un brusque clignement des yeux, pour faire la mise au point sur la proche jeune femme. Accroupie à côté de lui, un genou à terre. Leur nez se touchant presque. Une bien intrigante contiguïté qui ne saurait être romantique au vu des deux protagonistes. Toutefois, il se dégagea un ton très amical de ce premier contact à l'aurore.

« Tu es réveillé, guide ? Cela tombes bien une magnifique journée s'annonce. J'ai trouvé cognes pourpres. Mon fruit préféré. On va en manger plein. Compote, morceaux frais, en tartines sur des galettes d'herbes c'est drôlement bon.» lança très joyeusement la cuisinière.

« Euh... je suis étonné de vous voir si excitée et enjouée juste pour de la bouffe.» Dit laconiquement l'homme étendu.

« Aller pleurnichouille lèves toi. C'est l'heure de manger.» entonna d'un air badin la vive éclaireuse en se remettant sur ses deux jambes.

« Pleurnichouille ?» questionna-t-il de façon irrité.

« Tu vas me dire que t'étais pas en train de pleurer à chaudes larmes comme un gamin. Aller viens ! Espèce de gros bébé, y a des cognes pourpres. Des cognes pourpres !» se moqua-t-elle dans une effervescence si communicative qu'il en oublia presque de se renfrogner suite à la remarque.

Elle avala trois à quatre fruits ronds avant de se calmer un peu. L'étrange lueur de ses yeux se nappait de plus en plus de rose. Il avait déjà vu ces yeux brillés de plusieurs couleurs, mais le rose pétillant eut été rare. Il restait difficile d'être de marbre face à cette enthousiasme si débordant, pour des fruits. Il la regarda vadrouiller en bondissant au quatre coins du camp tel un enfant un jour de fête. L'homme s'approcha de l'agitation. En une rapide analyse il tira une ou deux conclusions sur le dit fruit. La première était que ce fruit ne lui était pas inconnu. On l'appelait «pomme-courge» ou «coing des forêts» et plus vulgairement «cogne». Ce dernier nom était hérité de la ressemblance du fruit avec un poing fermé et serré. Il avait vu des variétés jaunes, marrons, orangés, vertes, mais jamais pourpres. La deuxième conclusion était que le nom de «cogne» n'était donné que par les ruraux de certaines régions. Un mot presque local. Souvent la sorcière donnait bien des noms aux plantes, fruits et racines. Rares étaient ceux qu'il comprenait et qui existait en langue commune. Voilà un mot presque de dialecte régional. Les pomme-courges pouvait être de bons mets, subtiles, avec plusieurs saveurs. Mais il arrivait bien souvent que ce fruit n'ait aucun goût. D'où le rapprochement avec la courge.

Le petit déjeuner semblait plus copieux que d'habitude. Un pot avait été mis à réchauffer dans le feu. Un fumet de compote tiède s'en dégageait. Des galettes de plantes cuisaient sur des grosses pierres bordant la braise. Des morceaux de cognes pourpres avaient été découpés et disposés en petites pyramides, prêtes à être dégustées. La jeune femme piocha allègrement dans tous les tas de nourriture. Il s'approcha et croqua un morceau découpé posé sur la construction frugale. Le goût sucré et empli de saveurs délecta le palais. On pouvait sentir de la pomme, de la châtaigne, une touche de miel ou de fleur. Le fruit mûr laissa tout son charme s'exprimer. Le bougon dut se rendre à l'évidence. C'était bon. Terriblement bon. Il suivit alors sa comparse dans son irrésistible repas. Galettes, compote, morceaux frais. Tout était délicieux. Bientôt, il manqua. L'homme s'aperçut qu'il était repu. Alors qu'il se levait pour aller faire un brin de toilette, il vit la gloutonne prendre un sac. Ce dernier était débordant de cognes pourpres. Dix kilogrammes au bas mot. Il comprit bientôt qu’il y avait des cognes dans tous les sacs, garnissant chaque espace vidé. Il lança un regard outrageusement interloqué à la jeune femme.

Voyant que son compère cherchait une justification à cette folie. Elle affirma autoritairement en haussant les épaules.

«Bin oui, j'adore ça. Alors je ne vais pas m'en priver. Surtout qu'on a fait un détour pour en trouver.»

Devant l'aplomb de l'athlétique individu le vagabond ne tenu pas à argumenter, tant le fond de cette histoire le dépassait. Elle avait sans doute garni les sacs toute la nuit de son péché mignon.

En se remettant en marche, l'homme s'aperçut du poids du cadeau. Mais il ne souhaita même pas s'en plaindre. Après tout elle en portait le double ou le triple avec un grand sourire. Et il ne comptait pas non plus rester, donc à quoi bon faire une remarque. Il suivit encore une fois la meneuse. Apprécient le présage d'un ciel de plus en plus dégagé synonyme d'une issue heureuse.

Les bois étaient redevenus denses. La marche fut dure, sous la charge de fruits. Et même si la sorcière délesta toute la journée son porteur par un appétit peu commun des dits mets. Il pesta à plusieurs reprises contre ce présent matinal. Mais ils s'arrêtèrent tôt dans une zone moins fournie en arbres et buissons.

Le ciel était net, clair, seul un ou deux nuages. Pas de point d'eau en vue. Il eut un frisson. La chance l'appelait.

Alors que l'astre solaire brillait encore ils défirent les bagages. Enthousiasmé par sa trouvaille la sorcière proposa d'aller chasser du gibier et de le cuisiner avec des cognes.

Elle exposait sa recette au guide. Ce dernier fut chargé de faire un bon feu et de l'entretenir copieusement. Il fit mine de réunir des pierres pour circonscrire un périmètre dédié à la cuisson. Il avait bien autre chose en tête. Tous deux se sourirent, chacun pour sa raison. Obnubilée par son repas, elle pensait que l'appétit et la venue d'un bon plat avait motivé son compagnon. Devant les préparatifs qui avançaient bien vite. La jeune femme décida de faire sa part. Et après un signe de tête, disparue dans les fourrés.

Un plan en entraîna un autre. L'homme se mit alors à décompter le temps qu'il lui restait. Il devait finir ses tâches. Érigé un bûcher, pour coller avec la demande de sa geôlière. Mais surtout pour coller à sa stratégie d'évasion. Il se hâta. Rassemblant branches, brindilles et épines de pin en un cône de deux mètres de haut sur trois de diamètre. Il alluma une torche et fit partir le feu en plusieurs points à la base de son amoncellement de bois. Soufflant, et éventant les braises il poussait le feu à une ardente cadence. Bientôt le bûcher fut incandescent et dangereusement puissant. Il tapissa le sol de petits éléments inflammables. Il prit alors son sac, déchargea l'inutile, le superflu. Il prit gourde et galettes à sa camarade. Se délesta de plusieurs kilogrammes de fruits. Déjà vingt minutes. Il serra les boucles de son barda. La chaleur était intense, les flammes s'élevant à plus de trois mètres. Un vent de Nord Est, un ciel dégagé. Un dernier regard, un dernière grande inspiration. Son cœur battait déjà à tout rompre. L'adrénaline emplit son corps. Il saisit alors une grande branche et poussa de toutes ces forces le haut du bûcher. Ce dernier chancela et céda. Il s'écrasa de tout son long sur la clairière garnie pommes de pins, morceaux d'écorce et d'herbes sèches. Une volute de fumée, un sol brûlant, l'incendie se propagea. Alors que les flammes atteignirent les premiers bosquets embrasant la forêt proche. Le pyromane avait déjà fui les lieux de son méfait.

Il eut bientôt un mur de feu entre lui et sa dangereuse acolyte. Il espérait qu'elle crut en accident et qu'elle eut fouillé les alentours. Chaque seconde qu'elle perdrait serait un avantage. Noyant les sens de sa poursuivante par ce petit stratagème, elle ne se déferait pas l'odeur facilement.

Appliquée et méthodique la jeune femme retournerait au camp. Elle devrait alors s'assurer que son précieux prisonnier ne soit pas simplement en train de roussir dans les taillis.

Le plan n'était pas parfait et la sorcière ne lâcherait rien. La liberté était trop belle et la course déjà engagée.

Il disposait d'au moins trente minutes d'avance selon son estimation. Il devait rallier la fameuse montagne dégarnie qu'ils avaient laissée derrière eux. Il l'apercevait dans le couchant. Il quitta la route du jour pour partir plus à l'ouest. Ainsi, en obliquant, il ne facilitait pas la tâche à la sorcière. Il devait accentuer les écarts et courir toute la nuit.

Sous la lune bleue il traça sa route. Une course régulière, pensée pour être sûre et tenable sur la longueur. Des petites foulées légères à travers buissons et hautes herbes. Laisser le moins de traces visible. Bien prendre sa respiration. Il restait concentré, mais une insaisissable joie s'emparait de lui. Un vent de liberté caressait son dos. Il se sentit libre, si incroyablement libre. Il sourit. Et ce même si une machine infernale devait le poursuivre implacablement. Lui, seul, fendant l'épaisseur des fourrés sous une pleine lune resplendissante.

Mais après plus d'une heure de course, il ne sentit plus si seul. La forêt s'éveilla à son passage. Des bruits s’élevaient. Les sous-bois n'étaient jamais silencieux, mais dans sa fuite, des choses étrangement proches lui répondaient. Il n'était pas très rassuré et du abandonner son premier plan, consistant à crapahuter à travers les hautes herbes, pour cacher ses empreintes de pas. Le frottement des végétaux contre ses habits trahissait sa présence. Il diminua le rythme de sa course pour les mêmes raisons. Cette cadence fut ensuite tenue toute la nuit. Au matin, il fit une longue pause, pour se restaurer et faire le point. En avalant une bouchée de galette et deux fruits, il calculait les pertes de temps de la nuit. Il avait été trop généreux dans son estimation distance. Il n'avait parcouru que les deux tiers du trajet initialement prévu. Mais la sécurité pesait dans la balance. Il devait maîtriser ce paramètre.

Il repartit. Au train d'une marche rapide il atteignit avant la fin de l'après-midi les premières zones marquées par le passage de la tempête. Il approchait des contreforts des collines et monts qu'ils avaient laissé trois jours plus tôt. Cela le réconforta, mais la fatigue se faisait sentir. Il ne pouvait pas se permettre une nouvelle nuit sans repos. Le ciel était couvert et le vent se calmait. Il allait surement pleuvoir.

Il allait devoir se trouver un abri. Les hauteurs des arbres paraissaient être un endroit sûr. Il grimpa tant bien que mal dans conifère fourni en branches. Il mangea quelques provisions avant de s'assoupir. Le sommeil ne fut ni profond, ni réparateur, les bruits de la nuit l'inquiétait. Et sur le matin la pluie se déversa en de fines gouttes froides sur la forêt.

Il repartit presque aussi épuisé que la veille. Il marcha jusqu'au pied de la montagne dégarnie. D'après son souvenir la route à suivre le mènerait dans une vallée où devait sans doute couler une rivière. Un endroit dangereux, puisque la sorcière évitait soigneusement ces zones.

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