Chapitre 3 - 3

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Le marcheur devait prendre le risque de rallier les rives du cours d'eau. Alors qu'il contournait par l'Est la montagne chauve, il voulut s'assurer du plus court chemin à emprunter. Un petit coup d'œil depuis la cime du roc histoire de clarifier les choses.

Il arriva dans une zone clairsemée et commença à entrevoir le sommet, toujours aussi dénudé. Tout en progressant il aperçut une petite forme perchée en haut du mont. Il se figea, et se planqua derrière le premier arbre venu. Il se força à mirer une nouvelle fois la silhouette, en sortant juste un oeil de sa cachette. Une forme humaine encapuchonnée domptait la vallée depuis son perchoir. Si peu d'humains dans les Terres Reculées, cela n'augurait qu'une chose. La poursuite allait tourner court, car l'implacable sorcière était déjà là. Mais du haut du rocher la vigie ne semblait pas capter la présence du fuyard. Ce dernier en pris conscience, et décida d'adopter une autre stratégie. Si la mise à distance n'avait pas marché, la discrétion et la ruse pouvait encore le sauver.

Il ne devait pas se faire repérer, se faire oublier. Le temps de la course se muait en patience et en immobilisme. Il resta terrer derrière son arbre jusqu’à la nuit tombée. Il savait que l’obscurité jouait aussi contre lui, qu’elle ne le cacherait pas et que seul ses sens ordinaires en pâtissaient. Les choix qui s’offraient à lui étaient minces : fuite vers l’inconnue ou rallier la seule montagne qui paraissait accessible. L’immensité de cette région n’offrait que peu de certitudes sur la capacité d’un homme seul à survivre. Son plan initial avait le mérite d’être clair, arriver à un autre point duquel il verrait peut être la civilisation. Une cime comme porte de salut. Un lieu de visibilité, un point dans l’horizon, une évidence. Pour lui comme pour sa poursuivante. Elle ne pourrait passer à côté. Cela pouvait tourner au piège.

Se risquer sur une autre montagne escarpée, avec la neige et la glace, il savait qu’il n’était pas équipé. Le choix se fit en pesant les pour et les contre. L’évidence s’imposa. Un seul point de passage, toujours le même. Un inévitable guêpier. Seule variable le temps. Quand allait-il rallier le sommet. C’était à quatre jours de marche, d’après sa perception des distances. Les vivres ne dureraient pas et impossible de savoir s’il trouverait de quoi se ravitailler. Les marges de manœuvres étaient réduites. La vitesse sans la précipitation, c’était sa meilleure issue. Il faudrait en passer par la rivière en évitant de laisser une piste.

Quatre jours de marche en ligne droite. Il fallait repartir, mais autant attendre le levé du jour.

Au matin, il reprit sa route. Il quitta les pentes du mont chauve pour progresser à travers la végétation jusqu’au fond de la vallée. Malgré un bel effort il ne parvint pas à son but en une journée. En soirée, il se percha dans un arbre pour y dormir. Seuls quelques insectes vinrent l’incommoder, avant de trouver le sommeil. Son repos ne fut toutefois pas celui espérer. Les songes l’emmenèrent dans la même geôle avec comme spectacle la torture d’autres prisonniers. L’agonie et la mort, le sang et la moisissure, la crasse et les déchets humains. L’abominable défilée des mourants, dans un flot de cages se vidant et se remplissant au gré de la marée de cris. Il ne pouvait oublier les visages et les noms. Il ne pouvait effacer cela de sa mémoire. Les scènes se jouant sans arrêt jusqu’au choc du réveil.

Tétanisé par l’effroi, il eut la chance de ne pas tomber de son abri sylvestre. Il enfouit alors ce cauchemar au plus profond de son être. Le fuyard descendit de sa couche afin de reprendre sa course. Après un repas bien mérité, il traça à travers la forêt. L’homme dut faire plusieurs arrêts précipités, car les animaux et les êtres vivants là, semblaient de plus en plus proches et de plus en plus nombreux. Il dut se recouvrir de boues et de poussières car son odeur dénotait dans cet habitat forestier. Ce subterfuge lui permit de progresser jusqu’à la rivière. Une grande et puissante rivière. Une quarantaine de mètres de large, charriant dans une eau verdâtre de nombreux débris. Un défi de taille.

Il pensa alors traverser à la nage, mais des mouvements brusques dans l’eau lui rappelèrent qu’il valait mieux oublier cette idée. Il s’affaira à la construction d’un radeau. Récupérant branches et lanières d’écorces, il prépara un petit esquif. Une fois terminée, les morceaux de bois flottants furent misent à l’eau. En s’installant sur l’embarcation, le voyageur pesa sur le bois qui s’enfonça nettement dans l’eau. Mais la flottaison étant assurée, le jeune homme engagea plusieurs coups de rames furieux. Il piétina sur son radeau, créant de vastes cercles dans l’eau. Il rama encore, à droite, à gauche, mais n’avait parcouru qu’un demi-mètre. Déçu de sa rame, il se ravisa. Engageant un retour sur berge. Alors qu’il bataillait pour revenir, il jeta un coup d’œil à la rivière. Lorsqu’un fanatique mouvement d’eau venue de sous la surface percuta l’esquif. La secousse projeta son occupant presque sur la terre ferme. L’homme se sortit de l’eau en ne voyant que deux gros pants de bouches briser son radeau tout en emportant dans le fond les restes de branches. S’en suivit un petit tourbillon et des trainées d’eaux vives avant que ne refasse surface les brisures. Le voyageur réalisa alors sa chance dans l’infortune. Sa triste embarcation faisait dans les deux mètres par deux et avait été saisi entre les deux mâchoires d’un poisson de fond. Rares étaient les poissons d’eaux douces a attaqué à la verticale et pouvant atteindre cette taille. On appelait généralement ces poissons des gobes-tout. Des poissons plats terrés dans la vase capable de dévorer des animaux de la taille d’un chien ou d’une chèvre d’un coup de bouche. Rares étaient les gobes-tout pouvant attaquer un adulte. Celui-là devait être énorme.

L’homme trempé resta estomaqué et choisit une autre portion de rivière pour tenter une traversée. Mais visiblement les eaux semblaient bouillonnées d’une activité subaquatique malsaine. Rallier l’autre rive en radeau devint alors un plan farfelu. Il fallait réfléchir pour ne pas risquer bêtement sa vie sur ces flots verdâtres. Deux ou trois plans saugrenues jaillir instantanément mais se révélèrent vite aussi dangereux qu’une traversée à la nage ou en radeau. Il resta l’idée du pont mais faire tomber un arbre de plus de quarante mètres au-dessus de la rivière ne serait pas chose aisée, surtout sans outils adaptés. Germa alors l’image d’un pont fait de multiples morceaux, cela prendrait du temps et les risques au-dessus de l’eau restaient élevés. En élaborant un dessin provisoire, il s’aperçu d’une multitude de défauts. Dont un qui lui avait échappé ces dernières heures, ne pas laisser de traces de son passage. Un ouvrage d’art en plein milieu de la forêt c’était une sérieuse piste. Même un arbre renversé par une coupe révèlerait la présence humaine. Le soir venu, toujours aucune bonne idée à mettre à profit. L’ingénu plia alors bagages pour trouver un lieu de repos. Il se hissa en haut d’un des grands arbres, à une dizaine de mètres du sol il trouva un endroit propice. La nuit porta ses fruits, un plan simple mais dangereux.

La simplicité devait prévaloir. L'homme se lança dans la recherche d'un coin propice à l'exécution de son plan. Il avait en tête un mouvement d'eau en forme de S charriant les débris d'un côté à l'autre de la rivière. Le but était de profiter d'un courant existant qui permettrait de ne pas pagayer. Les morceaux flottants et inertes n'étaient pas pris pour cible. L'essentiel était de faire partie des objets à la dérive. Il fallait une large souche, une prise d'élan et du sang froid. Après un moment de recherche, le fugitif tomba sur tous les éléments nécessaires à réalisation de sa traversée. Il testa le morceau de bois qui devait le porter. Celui-ci était convenable mais il fallut rajouter un ou deux rondins pour assurer la stabilité. L'homme fut assez convaincu pour calculer une prise d'élan permettant de se mettre dans le courant. L'agencement de bois pesait et ralentissait les préparatifs de la mise à l'eau. Le courageux tenta de s'élancer, mais en oscillant l'embarcation racla le sol et il trébucha et failli finir à la bouillasse. Il se jeta de lui-même à terre pour éviter cette déconvenue. Il tourbillonna dans la poussière et reçu un violent coup lorsque l'escamotage retombant sur son dos.

Son omoplate gauche portait les stigmates d’un échec douloureux. Il réfléchit à plusieurs options, mais aucune n’était sûre. Il s’entraverait ou tomberait à l’eau dans la plupart des cas. Mettre le bois à l’eau se poser doucement dessus et pousser sur le bord avec une perche, sembla un des meilleurs choix.

Avec toutes les précautions il déposa son embarcation sur le flux verdâtre et se posta dessus à demi allongé. Il engagea sa perche et força sur le bâton. Celui-ci plia mais ne se rompit pas. La perche décupla le mouvement du caboteur. L’esquif gagna le courant fort de la rivière. Mais un mouvement d’eau se mit à faire tourner l’agencement de bois sur lui-même. L’homme ne lâcha pas du regard son objectif, l’autre rive. Les remous l’obligèrent à se cramponner. Emporter par les flots, il se trouva vite à mi-chemin. C’était maintenant au courant de faire son office. A mesure que le caboteur se stabilisait, il perdait de la vitesse et stagnait au milieu du flux. En une seconde, la situation se détériora. L’un des morceaux se désolidarisait de l’embarcation, entrainant un tangage qui amplifiait la dislocation. L’homme réagit du mieux qu’il put en maintenant de sa jambe droite la partie qui cédait. Toujours au ralenti au milieu de la rivière, le fugitif voyait son plan mal enclenché. Le temps lui parut long à tenir ensemble les morceaux de bois flottant. Un débris les heurta. La secousse fut faible mais engendra une vibration qu’essaya de contenir le passager. Dans une tension palpable se lisait sur le visage de ce dernier, il utilisait au mieux ses muscles pour contenir les morceaux ensemble.

Les secondes s'écoulaient. Mal embarqué à stagner au milieu des eaux, l'homme ne pouvait bouger le moindre petit doigt. Coincé par le danger. L'élan du départ n'était plus. Et l'évidence d'une attente fut balayée par un fort courant. Suivi d'un effet de tourbillon qui propulsa les morceaux de bois vers un gros rocher. Un gros rocher que l'homme ne pouvait esquiver. Il se prépara au choc. L'embarcation subit une grave avarie et dans un bruit sourd fit entendre un long craquement. L'esquif déjà mis à mal se fendit profondément. Le voyageur déjà en position délicate s'enfonçait de plus en plus dans le bouillon verdâtre. Il comprit vite que la flottaison ne serait bientôt plus avec lui. Il jeta un regard horrifié autour de lui. Plus de cinq mètres entre lui et la berge. Il ne pourra pas nager si longtemps sans attirer l'attention.

Le mouvement d'eau était favorable et il pourrait se rapprocher du bord. Mais son vaisseau s'engouffrait dans l'épaisse soupe kaki du fleuve. S'accrochant pour gagner quelques mètres, l'aventurier but la tasse. Les vagues, les unes après les autres, l’empêchèrent de reprendre son souffle. Un mouvement incontrôlable et involontaire lui fit prendre une brusque bouffée d'air. Mais déstabilisé par cet effort inconscient le radeau de fortune et son occupant sombrèrent. Le son sourd du bois noyé et disloqué par les flots. Les vêtements et le matériel du voyageur devinrent des fardeaux lorsqu'ils se gorgèrent de liquide. En d'amples mouvements l'occupant se dégagea. Sa tête sortit. Inspiration. Il se débattit en direction de la berge. Tout lui pesait et malgré toute l'énergie déployée, il se maintint avec difficulté. Les gestes de la nage effectuée ralentissaient. Il ployait sous le poids de son attirail imbibé. La position de natation devint vite verticale et malgré les mouvements de jambes celles-ci ne pouvaient remonter.

Il battait avec force et cadence de tous ses membres. Il peina bientôt à reprendre sa respiration. Des insidieuses petites vaguelettes forçant le passage vers sa trachée. Il tendit les bras, mais rien à sa portée. Il n’était plus qu’à un mètre cinquante du bord quand il fut poussé par une brève secousse dans le dos, cela le rapprocha de la rive. Mais cette saccade n’avait rien d’une aide. Il sentit tout le flan de l’animal le long de ses côtes. Celui-ci le frôlait de toute sa longueur pareille à un serpent. Le vif carnassier opérant sous sa proie vaste mouvement tournant afin de retenter une attaque. Semblable au brochet, ce triste individu devait faire dans les 4 ou 5 mètres. Le nageur, prit par l’adrénaline et les mécanismes de survie, utilisa toute sa puissance pour atteindre les pentes enherbées du bord. Alors qu’il effleura du bout des doigts les premiers cailloux, survint la deuxième attaque. L’homme fut projeté contre la berge sans pouvoir s’y agripper. A demi-assommé, il fut trimballer à gauche et à droite par des mâchoires violentes et frénétiques. Elles déchiquetèrent et percèrent, réduisant en charpies tout ce qui fut au centre de l’étreinte. Tirer petit à petit vers le fond par son agresseur et secouer comme une poupée de chiffon, le nageur reprit ses esprits. Son sac seul subissait la fureur de la bête. Et malgré les à-coups cruels pour le taillader, l’homme défit les brides de son sac pour regagner l’air et la berge. Il se jeta à l’assaut de la rive, aidé par la perte de son matériel. Son agilité en partie retrouvée, il gagna l’herbe et les cailloux. Et par une roulade sur le côté s’éloigna du dangereux flux verdâtre où son bardât périssait.

Il resta là un moment, sous le choc, à reprendre son souffle. Sa fuite pouvait continuer, mais sans le contenu de son sac. L’inventaire fut rapide. Juste ses vêtements, deux ou trois fruits et l’outre d’eau à sa ceinture. Un rude coup pour le voyageur. Mais l’obstacle principal venait d’être franchi.

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