Une âme s’en vint, une autre s’en alla.

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L’enfant naquit par une glaciale nuit d’hiver, dans la chèvrerie située sur l’ubac, loin des riches fermes implantées sur l’adret de la vallée.

Les fées omirent de se pencher sur la mangeoire dans laquelle elle fut déposée.

Horrifié, le père voulut la noyer comme on le fait des portées de chatons non désirées. Les cris de la mère, la fourche de la bergère, le grondement et les crocs du chien l’en dissuadèrent. Bien que nourri, blanchi, logé, sans autre travail que de réchauffer son hôtesse la nuit sur la paillasse, malgré le gel, il reprit la route la nuit même.

La veille mère, marmonnant des prières et des incantations, nettoya le bébé comme il se doit, étouffant, à chaque découverte, l’idée que ce maudit suborneur avait raison.

La chevrière était une brave fille qui n’avait jamais fait de tort à qui que ce soit. Cela ne pouvait venir que du corrupteur : sans doute avait-il séduit puis abandonné une sorcière qui avait maudit sa semence.

La pauvre fillette souffrait de nombreuses malformations, surtout sur son côté droit. Elle y avait un pied-bot. Elle souffrait d’une agénésie de cette main. Son oreille y était dépourvue de pavillon.

De plus, son œil gauche était deux fois plus grand que l’autre, et elle avait une bosse dans le dos.

Enfin, elle avait le nez crochu et la bouche de travers.

Le prêtre venu à la demande de la veille mère refusa d’ondoyer cette créature marquée par le mal. Il ajouta que jamais il ne lui administrerait le sacrement du baptême et lui dénia le droit de porter le nom d’une sainte.

La bergère et la veille mère eurent beau dire qu’elles avaient vu le père, les pires bruits coururent. On insinua que la bécasse avait forniqué avec son chien, prétendit que le bouc était le père de la chose, affirma que ledit bouc n’était autre que le malin.

La fille de la chevrière, appelée ainsi par tous, se vit refuser l’accès à l’église et à l’école. Il lui fut interdit de franchir le pont, condamnée à rester sur l’ubac. Sa mère, aimante, mais niaise, lui apprit le peu de choses qu’elle savait, mais tout sur les caprins.

La fille de la chevrière avait six ans et demi le matin d’été où ce fut le long hurlement du chien qui la réveilla et non point sa mère. Elle eut beau lui parler, la secouer, la chevrière ne bougea pas. Si elle était difforme, elle n’était pas sotte : elle comprit que sa mère s’en était allée. La pauvre femme était morte comme ça, sans préavis, comme un ressort qui casse. Sans doute était-elle usée par la vie difficile qu’elle avait menée. Toujours est-il que pris de pitié, son dieu miséricordieux l’appela-t-il en son royaume. Celui-là même auquel son serviteur avait interdit l’accès à la fillette.

Mais une chose est certaine, elle n’était pas morte de chagrin. Sa niaiserie l’avait empêchée de percevoir la méchanceté de ses congénères, les injustices et le sombre avenir de sa fille. Elle avait été heureuse de lui avoir donné le jour, l’avait aimée, sa fille était tout pour elle. Elle la considérait comme une bénédiction.

La fille de la chevrière envoya le chien chercher la bergère, laquelle envisagea d’accueillir la fillette dans son foyer. Mais la crainte d’être mise au ban la fit renoncer à le lui proposer. Néanmoins, elle se chargea de prévenir le prêtre et l’éleveur.

Le premier vint en fin de matinée, avec deux hommes, il récita le De profundis, fit charger le corps sur la civière que ceux qui l’accompagnaient avaient amenée. Il signifia à l’enfant du mal que faute de pouvoir payer, aucune messe ne serait dite pour le repos de l’âme de sa mère, qu’on l’enterrerait le jour même. Puis, il lui jeta au visage ces terribles mots :

« Je t’interdis de mettre un pied en terre consacrée ! »

L’après-midi, l’éleveur vint en personne la chasser de ses terres. De nombreux villageois le suivirent sur l’ombrée, ils la vilipendèrent. Les enfants lui lancèrent des pierres, mais la fille de la chevrière était hors de portée des projectiles de ces héros, car les grondements du chien les tenaient à distance respectable.

Son embryon de main agrippée au garrot du chien, en claudiquant, elle gagna le sommet de la montagne et en franchit la crête.

Maintenant, que vous croyez ou pas aux bonnes fées et aux méchantes sorcières, gardez l’esprit ouvert, car…

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