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Elles arrivèrent à la location en milieu d’après-midi, et à en juger par le SUV noir garé sur le parking, les quatre compagnons les avaient devancées. Iris donna un coup de coude dans le bras de sa sœur, qui se réveilla en sursaut.

  • Essuie ta bave, on est arrivée.

Louna lui lança un regard courroucé, mais porta tout de même la main à son menton, méfiante. Elle fit une grimace lorsque la porte grinça en se refermant. Il fallait vraiment que son aînée entretienne son vieux tacot. La jeune fille étira les bras vers le ciel, les muscles raides, et se perdit à observer le paysage environnant. Le beau temps les avait accompagnées jusqu’au bord de mer. Une brise légère apportait aux vacancières les odeurs salées et amères de l’océan. Les grands pins offraient leur ombre aux petites maisonnettes blanches, leurs branches tortueuses craquant au gré du vent. Les vacances s’annonçaient radieuses.

Des éclats de voix s’échappèrent de l’une des résidences, et Louna ne mit pas plus de deux secondes à reconnaître leurs propriétaires. Elle se retourna avec un immense sourire et aperçut la tignasse d’or de sa meilleure amie, avant qu'elle se jette dans ses bras.

  • J’ai cru que vous n’alliez jamais arriver ! railla Lucas, le frêle jeune homme qui l’accompagnait.
  • L’autoroute était bondée, se justifia Iris en poussant un soupir de fatigue.

Un troisième garçon arriva peu après, plus discrets que ses amis. Il fit un petit geste de la main avec un sourire timide.

  • Salut les filles, murmura-t-il en posant les yeux sur l’ainée. Iris, c’est… c’est une nouvelle coupe ? Elle, eum… elle te va bien.

Iris le gratifia d’un sourire radieux et le remercia chaleureusement. Puis, tout comme il était arrivé, Paul repartit en catimini. Jane et Louna échangèrent un regard complice mais ne soufflèrent pas un seul mot. Leur ami n’était pas d’un naturel timide, au contraire. Paul allait toujours vers les gens, prêt à entamer toutes sortes de conversations, sans gêne. Pourtant, à peine Iris montrait-elle le bout de son nez que le garçon perdait tous ses moyens.

Lucas attrapa les deux valises des filles et les compagnons rentrèrent enfin dans la location. C’était une maison blanche, comme toutes celles du quartier, mais qui se distinguait par son jardin foisonnant. Il n’était pas bien grand, mais on y trouvait des hortensias d’un bleu vif, des agapanthes qui atteignaient presque la taille de la cadette, des herbes aux écouvillons, des gauras blanches, des rosiers colorés au parfum délicats, de l’armoise, de la verveine citronnelle, du jasmin, et au centre du gazon verdoyant poussait un grand albizia qui apportait son ombre au reste du terrain. Quand ils franchirent la porte d’entrée, une douce mélodie de guitare ambiançait la maison et une délicieuse odeur de gâteaux planait dans l’air. Jane fila dans la cuisine sortir les rochers coco qui cuisaient dans le four, suivie par le reste du groupe. Après avoir laissé les bagages dans l’entrée, Lucas se glissa derrière la jeune fille et vola l’un des précieux gâteaux, ce qui lui valut une tape sur la main, ainsi qu’une réprimande de son amie qui ne tarda pas à troquer ses sourcils froncés pour un sourire amusé.

Louna observa ses compagnons. Elle était heureuse de pouvoir passer son dernier été de lycéenne avec eux. Ils avaient partagé tellement de bons moments, à l’école comme sur scène. Elle n’arrivait pas à s’habituer à l’idée de vivre une année sans eux. Qui serait là, à la sortie de sa fac, l’attendant pour partager les nouvelles croustillantes de la journée sur le chemin de retour ? Avec qui passerait-elle des heures dans le garage de sa maison à reprendre et composer de nouvelles chansons ? Un sentiment de nostalgie lui pinça le cœur, et tandis que la troupe conversait dans la joie et la bonne humeur, Louna s’éclipsa de la pièce. Troublée, elle se laissa porter par le son de la guitare et se dirigea presque inconsciemment à l’étage. Elle poussa la porte d’où s’échappait la musique et tomba nez à nez avec Maxime, qui s'interrompit, et sans bouger d’un millimètre, lui lança un regard.

A l’inverse de Paul, Maxime n’était pas un garçon très causant. Il avait intégré le groupe d’amis deux ans auparavant seulement, et avait le sentiment de ne pas totalement avoir sa place parmi eux, malgré les nombreuses tentatives de ses compagnons.

En entrant dans la pièce, Louna fit un petit sourire au garçon, qui posa sa guitare sur le lit et invita la jeune fille à s’asseoir à côté de lui. Machinalement, elle posa sa tête contre l’épaule du garçon et ferma les yeux en soupirant.

  • Tout ça va me manquer, murmura-t-elle.

Maxime passa son bras autour de son amie et acquiesça.

  • A moi aussi, répondit-il.
  • La musique, le groupe… tout va changer à la fin des vacances, continua-t-elle. Même si on continuera de se voir régulièrement, et que nous allons quand même toi, moi et Jane dans la même université, je sais que rien ne sera pareil. Paul et Lucas vont partir chacun de leur côté, et on n’est même pas sûr d’avoir nos vacances en même temps !
  • On se débrouillera avec, souffla le jeune homme en lui souriant. Forcément, ça sera différent. Paul et Lucas vont changer. Nous aussi nous allons changer. On va tous murir, revoir nos objectifs et peut-être découvrir de nouvelles facettes de nous que nous ne connaissions pas encore. Mais si on veut vraiment se voir, et trouver le temps de répéter, voire de donner quelques concerts, on fera en sorte que ça fonctionne.

Louna n’était pas aussi optimiste. Elle avait remarqué depuis longtemps qu’aucun adulte qu’elle connaissait n’avait gardé de contact avec ses amis du lycée. Ni les parents de Jane, ni ceux de Paul, ni ses propres parents. Mais ça, c’était différent… car ses parents n’avaient pas d’amis. Ou presque pas. De temps en temps, Louna avait vu de nouvelles têtes débarquer et se prétendre « ami de longue date », mais lorsqu’elle avait essayé de creuser davantage, c’était une impasse. Ce que la jeune fille trouvait d’ailleurs un peu étrange.

  • Allez vient, on va rejoindre les autres. Il ne faut pas s’enfermer dans le passé, on en a déjà parlé. Profitons de ces vacances ensemble, il faut vivre dans l’instant présent.

Et en un battement de cil, le jeune homme s’était relevé et attendait Louna sur le pas de la porte. Etonnée par la rapidité de son mouvement, elle tournait et retournait la tête, alternant entre la place vide à son côté et le garçon qui patientait, puis se dit que le voyage l’avait fatiguée et que c’était elle qui n’avançait pas. Elle se leva à son tour.

Vivre dans l’instant présent… Louna rêvait de pouvoir avoir cette ouverture d’esprit, ce flegme à toute épreuve. Elle essayait de se tourner vers l’avenir, mais les fantômes de son passé ne la lâchaient pas si facilement. Non, en fait, il n’y en avait qu’un. Et la jeune fille doutait qu’il s’en aille un jour.

Voyant la mine triste et fatiguée qu’elle portait sur son visage, Maxime ouvrit ses bras et l’accueillit contre lui.

  • Merci Max, souffla-t-elle en posant sa tête contre le torse du garçon.

Les rires de leurs compagnons éclatèrent dans l’étage inférieur, et on entendit Iris attraper les valises qui trainaient dans l’entrée et monter peu à peu les escaliers. Ce fut comme un signal d’arrêt pour les deux amis qui se séparèrent. Lorsque l’ainée arriva à leur niveau, ils avaient mis une distance raisonnable entre eux. Mais la grande sœur les regardait tour à tour, avec un sourire à peine dissimulé.

  • Tu dois être Maxime ? demanda-t-elle en lâchant lourdement ce qu’elle portait pour tendre la main au garçon. Moi c’est Iris, la badass de grande sœur de Louna.

En disant cela, la jeune femme avait bombé le torse et lança un clin d’œil à son interlocuteur.

  • Pitié, arrête ton numéro, grogna sa cadette. Tu me fais honte.
  • Mais c’est mon rôle de te faire honte ! ricana-t-elle en ébouriffant la chevelure impeccable de Louna. Tu t’ennuierais sans moi.

Et sur ces mots, elle rattrapa ses paquets et partit les déposer dans la chambre qui leur était dédiée.

  • Vite, dépêchons-nous de rejoindre les autres, avant qu’elle ne revienne te faire son numéro de BBS.
  • BBS ? répéta Maxime sans comprendre.
  • « Big Bad Sister ». C’est comme ça qu’elle aime se surnommer.

Le garçon retint un gloussement, mais les yeux pétillants de Louna le contaminèrent et ils explosèrent de rire. C’était la première fois qu’elle voyait Maxime aussi détendu. Les idées maussades qu’elle ruminait à son arrivée avaient laissé place à une joie grandissante, et la jeune fille ne pensait plus à rien.

Iris attendait juste derrière la porte, patiente et attentive. Quand enfin ils descendirent rejoindre le groupe, elle posa sa valise sur son lit et se mit au travail. Elle étudia tous les coins et recoins de la pièce, passa les murs au peigne fin, s’allongea contre le sol et observa le dessous des lits, mais ne constata rien de particulier, hormis l’incompétence de la personne qui avait passé l’aspirateur dans la chambre. Elle se releva d’un bon et épousseta ses vêtements blanchis par la saleté, puis défit la fermeture éclair de sa valise d’un geste pressé. La jeune femme jeta un œil méfiant au niveau de l’entrée et tendit l’oreille, et quand elle fut sûre de bien être seule, elle ouvrit le bagage en deux. Elle ne voulait surtout pas qu’un ado trop curieux tombe sur le contenu sensible qu’elle avait apporté.

Iris en sortit tout d’abord un petit sac noir en tissu, dont le contenu tintait à chaque mouvement. Elle défit la cordelette qui fermait la poche et y plongea sa main. Le contact de ses doigts contre les pierres froides créa une multitude de petits frissons dans son avant-bras, qui disparurent aussitôt sa main hors du sac. Lorsqu’elle rouvrit sa paume, elle trouva deux pierres bien distinctes, et un nouveau frisson parcouru son dos. Mais les minéraux n’en étaient cette fois pas la cause.

  • Qu’est-ce que tu caches ? murmura-t-elle dans le vide en observant la pièce une nouvelle fois.

Iris sépara les deux roches. L’une était ronde, brillante, d’un noir irisé. Il s’agissait d’une obsidienne céleste, l’une des variétés les plus rares et puissantes, et ce n’était pas de bon augure. Si l’obsidienne s’était manifestée à elle, cela voulait dire qu’un danger la guettait. La jeune femme serra la pierre dans sa main et la fourra dans la poche de son pantalon. Tant qu’elle la porterait, la roche la protégerait. Quant à l’autre, elle était composée d’une macle qui formait une croix, caractéristique d’une staurolite. Là encore, il s’agissait d’une pierre de protection. Quelque chose de mauvais cherchait à l’atteindre, alors elle la déposa sous son oreiller.

Son téléphone vibra, mais Iris était trop occupée pour le moment. Elle n’y prêta pas attention. Il fallait absolument qu’elle trouve un endroit sûr pour ses affaires, à la fois accessible en cas de besoin, mais suffisamment caché pour que ni sa frangine, ni ses petits camarades ne mettent la main dessus. Un instant, elle songea à demander à Paul de lui filer un coup de main, mais le risque qu’il en parle aux autres était trop grand. Elle avait reçu l’ordre d’écarter sa famille de cette histoire, et elle n’allait pas tout compromettre. Elle saurait gérer.

Le smartphone vibra une seconde fois, ce qui agaça Iris. Elle attrapa son mobile et lut ses textos. L’un venait de son père, il voulait s’assurer que ses filles étaient bien arrivées et que tout se passait bien. Habituée, elle pianota sa réponse et lui envoya :

Arrivées saines et sauves, je vais m’arranger pour que Louna passe de super vacances avec ses potes. La loc me semble bien, mais je dois faire un peu de ménage. Je n’ai pas encore trouvé Marie, je te tiens au courant.

Iris avait coupé le cordon avec ses parents des années auparavant. Si à l’époque il était nécessaire qu’elle se détache d’eux, elle n’avait pas vraiment cherché à renouer des liens. Chacun vivait sa vie de son côté, mais s’ils avaient besoin d’elle pour n’importe quelle raison, elle répondait présente et accourait pour les aider. C’était devenue une jeune femme forte et indépendante, et comme sa sœur l’avait dit plus tôt en se moquant, elle était devenue une sorte de Big Bad Sister, parfois un peu trop étouffante.

A peine le message était-il envoyé que son père lui avait déjà répondu.

OK, on attend de tes nouvelles. Faites bien attention. Quand tu l’auras trouvée, ne prévient pas Etienne tout de suite. Je n’aime pas la façon dont il se comporte avec elle.

Iris leva les yeux au ciel. Son père avait le don pour suspecter les mauvaises personnes sans raison valable. Marie n’avait pas donné de nouvelles depuis plusieurs semaines, il était tout à fait naturel qu’il s’inquiète et cherche à la retrouver. Iris soupçonnait plutôt son père d’être un peu jaloux de la prestance d’Etienne.

Le deuxième texto, quant à lui, provenait de sa cadette, qui s’impatientait. Iris remit son portable dans la poche arrière de son jean et ouvrit l’armoire en chêne. Elle déposa grossièrement ses vêtements sur l’une des étagères, et pour faire bonne figure, elle s’occupa également de ceux de Louna. Elle accrocha les robes sur des cintres qui posaient sur le côté, rangea les pantalons et les t-shirts sur une étagère voisine, et en se penchant pour mettre les paires de chaussures de sa frangine dans la partie basse, elle s’aperçut que la belle armoire qui n’était pas si vieille avait une latte déplacée.

Curieuse, sa main glissa sur le bois décalé, et tira doucement dessus. Le morceau n’opposa aucune résistance et tomba, laissant apparaître un trou dans le mur. Elle y plongea le bras, tâtonnante, et en sortit un gros carnet en cuir à peine poussiéreux. Sur la couverture, deux initiales : M.D.

Blanche comme un linge, elle inspecta une dernière fois le trou, et entendant sa sœur l’appeler de l’étage du dessous, elle y fourra le reste de ses affaires et se précipita pour rejoindre le groupe.

  • Désolé, murmura-t-elle lorsqu’elle arriva auprès de Louna. J’ai pris le temps de ranger nos valises.

Sa sœur lui lança un coup d’œil, admirative de voir que pour une fois Iris s’était chargée de cette tâche. D’aussi loin qu’elle s’en souvenait, Louna avait toujours été la plus maniaque des deux.

  • En attendant votre arrivée, on s’est un peu renseignés sur ce qu’il y avait dans le coin, les informa Lucas. La plage la plus proche est à moins de cinq cents mètres, et apparemment pas trop fréquentée. On peut aussi louer des vélos pour faire des randonnées si on veut. Il y a pleins de balades à faire !
  • Pour aujourd’hui, on peut déjà aller profiter de la plage et du soleil ! claironna Jane avec une petite danse de joie. Et j’ai vu qu’il y avait une pizzeria sympa pas trop loin. On pourrait se faire livrer ce soir, qu’est-ce que vous en pensez ?

Tout le monde acquiesça avec entrain, et les jeunes se précipitèrent vers leurs chambres pour prendre leurs affaires de plage.

  • Louna, attend-moi ! s’écria sa sœur, la voyant partir dans les premières.

Mais la jeune fille était trop pressée, et monta deux à deux les marches du vieil escalier en bois. Elle ouvrit précipitamment l’armoire et chercha des yeux son maillot de bain. Heureusement, elle était trop préoccupée pour remarquer la latte de bois qui dépassait dans le fond. Lorsque le vêtement fut trouvé, la cadette referma le grand meuble et sortit de la pièce, innocente. Iris poussa un soupir de soulagement. Un instant, elle avait imaginé le pire.

Plus calmement, Iris attrapa sa tenue de plage, prit également le mystérieux carnet qu’elle avait trouvé quelques minutes plus tôt et décida de se changer directement dans la chambre. Elle ne voulait pas qu’on lui pose des questions sur sa trouvaille.

Tout le monde attendait devant la porte, impatient. Louna avait pris une bouteille d’eau fraîche et un livre. Paul et Lucas portaient un jeu de raquette et un ballon de volley. Quant à Jane et Maxime, eux ne souhaitaient rien prendre. La jeune fille comptait simplement bronzer au soleil.

  • J’ai pris un grand sac pour qu’on puisse y mettre nos affaires, déclara Iris en descendant.

Ils ne se firent pas prier. En un éclair, le sac était plein. Et ça arrangeait bien la grande sœur, qui avait déposé le livre tout au fond, à l’abri des regards indiscrets.

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