Chapitre 6

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La petite Rænia vivait avec sa nourrice dans la maison en haut du village. Pour y accéder, il fallait passer la rue principale et juste après le puits, prendre les marches de pierre qui grimpaient jusqu’à la bâtisse imposante. Sa mère était morte en couche et son père, n’ayant pas supporté le chagrin, s’était enfui un matin, laissant sa fille orpheline. Rænia n’avait rien ressenti au départ de son père. Comme la plupart des gens du village, il avait toujours tenté d’avoir le moins de contacts avec elle et souvent, la regardait avec crainte. Elle savait qu’elle était différente et sans Maria, sa nourrice, elle aurait été seule. Pourtant, elle ne cherchait pas à cacher ses pouvoirs, au contraire. Chaque jour, elle s’amusait à faire léviter les objets de sa chambre toujours un peu plus longtemps, un peu plus haut. Maria rentrait souvent dans la pièce pour la gronder, avant de retourner à ses occupations en grommelant. Elle avait treize ans et elle se sentait comblée par la vie, surtout quand Willius venait lui rendre visite. Un peu plus âgé, c’était le seul qui s’intéressait à elle et qui aimait passer du temps avec elle. Elle aimait le jeune garçon sans oser se l’avouer. Elle trépignait d’impatience à chaque fois qu’elle le voyait monter l’escalier qui menait vers sa maison. Willius était gentil, beau, drôle et attentionné. Willius était parfait et il était sien, du moins il le serait quand ils auront l’âge de se marier, elle en était persuadée.

Les années avaient passées et Rænia était devenue une jeune femme à la beauté éblouissante. Ses yeux vert sombre ressortaient comme des joyaux sur son visage pâle. Elle domptait sa crinière de boucles noires dans une tresse sophistiquée qui pendaient dans son dos jusqu’aux reins. Son corps aux courbes délicates lui valait les coups d’œil gourmands des hommes de tous âge et ceux jaloux des autres femmes du village. Elle aimait cette attention plus que tout. Sentir ce pouvoir, en jouer, c’était le plus grisant des sentiments. Sa nourrice était décédée la saison dernière, à la suite d’un mauvais rhume. La fièvre s’était abattue sur la vieille femme et Rænia avait soulagé ses souffrances à l’aide de ses pouvoirs. En brisant la nuque de Maria, la jeune femme avait ressenti une décharge de pouvoir. Depuis, elle cherchait à comprendre d’où était venu cette vague de puissance, sans réussir à en percer le mystère. Elle avait enterré sa nourrice au fond du jardin, creusant sans difficulté la terre encore gelée par l’hiver. Les blocs de glaises avaient volé sous sa magie et ouvert peu à peu un trou dans le sol, où elle avait déposé délicatement le cadavre de Maria. Elle venait de perdre une des deux seules personnes qu’elle aimait. Heureusement, elle avait encore Willius.

Le jeune homme travaillait à la ferme familiale, à l’extérieur du village. Elle avait pour habitude de descendre l’espionner, se cachant derrière le gros chêne sur le bord de la route. De son poste d’observation, elle était invisible depuis la bâtisse et elle passait des heures à le regarder couper son bois, s’occuper des bêtes ou s’entraîner au maniement de l’épée. Ils ne s’étaient plus reparlés depuis une éternité mais elle sentait leur connexion plus forte que jamais. Deux âmes sœurs bientôt réunies. Elle venait d’atteindre l’âge pour se marier et elle comptait s’unir à son bien aimé avant l’arrivée de l’été. Elle s’apprêta à sortir de derrière son arbre quand une jeune fille rousse ouvrit la porte de l’étable. Elle n’avait jamais vu cette adolescente mais elle la détesta au premier regard. Willius s’arrêta alors d’aiguiser sa hache pour réceptionner la petite rouquine dans ses bras virils. Rænia regarda avec horreur leurs lèvres fusionner dans un baiser langoureux.

Comparée à la décharge de pouvoir à la mort de Maria, celle-ci fut comme un ouragan et brûlait dans chacune des cellules de son corps. Elle marcha lentement en direction des deux amants, les pierres du chemin lévitant à ses côtés. Elle leva la paume devant elle et d’un coup referma son poing, faisant exploser le portail de bois. Elle pénétra dans la cour sous les yeux effrayés des deux amoureux. Elle souleva la jeune fille d’un mouvement de bras, comme s’il s’agissait d’une vulgaire poupée de paille. Willius criait, pleurait, suppliait. Elle décida que la mort de cette sangsue devait être longue et douloureuse. Elle commença donc par lui briser les deux chevilles d’un claquement de doigts. La fille hurla. Rænia continua avec les tibias, les fémurs, le bassin. Elle remonta ainsi, appréciant particulièrement la musique macabre des côtes qui se rompent les unes à la suite des autres. Elle garda le meilleur pour la fin, et réduit en pièce les vertèbres une à une. Dans les airs, la rouquine ne ressemblait désormais plus qu’à un pantin désarticulé. Willius était au sol, un cri bloqué sur les lèvres, les joues ruisselantes de larmes. Rænia laissa tomber le corps inerte et se focalisa sur l’amour de sa vie. Il était immobile, divinement beau dans sa souffrance. Elle lui sourit. Le jeune homme sembla sortir de sa transe et dans un cri de rage attrapa la hache et courut vers elle. C’est avec regret qu’elle le brisa. Le cadavre sans vie de Willius atterrit sur celui de son amante dans une dernière étreinte. Le pouvoir saturait ses veines et elle en avait enfin comprit l’origine. Elle ne put cacher sa joie quand les parents du garçon sortir en toute hâte de leur maison pour découvrir le massacre. Leurs deux corps vinrent rejoindre ceux des enfants. Alors, elle rentra au village, laissant derrière elle la ferme vide et silencieuse.

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