Chapitre 2

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Le sable lui fouettait le visage, porté par des rafales de vent glacées, mais elle n'en éprouvait ni la douleur, ni le froid. Ils étaient partis sans elle. Les vagues roulaient sur la côte et effaçaient peu à peu les traces de leur passage, indifférentes à son sort. Qu’allait-elle faire désormais, seule et sans vivre ? L'unique village qu'elle connaissait venait de brûler par la faute de son peuple. Apathique, son regard se perdit de longues minutes dans le vide, bercé par le mouvement incessant des flots. Quand le soleil fut bas à l’horizon, Karin se mit en route. Elle marcha le long de la plage en direction des falaises qu’elle voyait au loin. Ses bottes traînaient dans le sable et ses jambes lui semblaient faites de plombs. Chacun de ses muscles criait de souffrance mais son coeur, lui, n'éprouvait rien. Silence. Par réflexe, Karin ramassa du bois flotté pendant son parcours. Survivre le froid de la nuit. Survivre. Seule.

Devant une grotte de bonne taille, creusée à même la roche par l’océan, l'adolescente deposa son fardeau qui s'enfonça lourdement dans le sable. Malgré la fatigue, le campement de fortune fut dressé rapidement et Karin s'affala devant le feu, amorphe. Plus rien n'avait d'importance désormais. Le vent lui fouaittait les joues et couvrit peu à peu sa peau d'une pellicule de sable iodé. Son âme avait déserté son corps. Coquille vide, abandonnée. Le bruit répétitif de la mer l'envoûtait et elle s'imagina flotter sur l'océan. Morte. Peut-être l'était-elle déjà. Les cris de la faune nocturne ne pertubèrent en rien cette transe toxique et le feu fit naître des ombres inquiétantes sur son visage abattu. Sa peau n'en rensentait pas la chaleur, mais les flammes lui rappelèrent alors le foyer sur lequel sa mère faisait bouillir son infâme soupe aux légumes et, tel un barrage qui cède sous la pression, elle éclata en sanglots.

Sans discontinuer, de lourdes larmes amères noyèrent ses yeux glacés et creusèrent des sillons dans son masque de poussière, telles des cicatrices. Elle pleurait en silence, incapable de produire le moindre son, la gorge ainsi nouée. Puis, les larmes se tarirent. L'abattement et le désespoir déferlèrent avec une violence inouie, et Karin trembla de tous ses membres. Elle rapprocha ses jambes de sa poitrine, enroula ses bras autour et posa sa tête sur ses genoux. Désormais pleinement consciente de sa situation critique, la peur s'insinua sournoisement dans son esprit. Un coup de vent lui arracha un frisson et une dernière larme roula le long de sa joue. Comment en était-elle arrivé là ? Soudain, un éclair de vie la réanima et elle se souvint de la pierre.

Karin fouilla nerveusement dans sa besace sans trouver l'objet. Prise de panique, elle chercha frénétiquementautour d'elle. La lumière vascillante des flammes ne l'aidaient pas mais elle trouva finalement la pierre près du foyer, couverte de cendre, de sable et de sang. Elle s’empara de ce maudit caillou qui avait brisé ses rêves en même temps que son arcade gauche. Etrangement lisse et il ne ressemblait à aucune roche qu’elle connût. Tout son corps de contracta sous l'effet de la haine, ses dents grincèrent sous la tension jusqu'à ce que la douleur lui envahisse les os du crâne. Quand la tension fut à son comble, les larmes menaçèrent de couler de nouveau, elle jeta la pierre de toute ses forces contre la paroi humide. Celle-ci rebondit sur le mur avec un son étrange et atterrit dans une flaque d'eau trouble qui vira carmin au contact du sang séché.

Une étrange lueur s'en échappa. L'adolescente, intriguée, se rapprocha et constata avec incrédulité que l'objet s’était fendu en deux, net, comme tranchée par un couteau extrêmement aiguisé. Des cristaux bleu-violet tapissaient l’intérieur d’un des morceaux. D'une main timide elle ramassa l’objet et se rassit prêt du feu. Emerveillée par les reflets irisés de la lumière à travers les cristaux, le poids de ses inquiétudes s'allégea. C’était absolument magique ! Son index effleura timidement un cristal, puis un deuxième, découvrant leur géométrie parfaite.

D'un revers de main, Karin essuya le reste de larmes sur ses joues et se remit à caresser l’intérieur de la pierre. L'objet se mit alors à vibrer. Des cristaux se formèrent soudain sur ses ongles, puis entourèrent ses doigts. En un rien de temps, ces derniers furent prisonniers d'un étau minéral. Terrifiée, Karin secoua le bras, en vain. L'étreinte cristalline ne céda pas et l'adolescente laissa échapper un couinement paniqué. Puis, le cristal recouvrit les phalanges et s'attaqua à la paume. La lueur émise par l'objet s'intensifiait de plus en plus et la jeune fille en fut aveuglée. La sensation qu'une horde d'insectes courrait sur son avant-bras, grignottant au passage quelques que bouts de peau, lui donna des frissons de dégoût alors qu'elle gesticulait dans tous les sens pour se débarasser de l'objet. Un flash lumineux filtra à travers ses paupières closes, et un écho lugubre résonna dans la grotte. Karin se figea. Elle ne sentait plus le poids de la pierre au bout de ses doigts. Avec appréhension, elle ouvrit les yeux. Dans la pénombre, elle distingua la pierre magique, enfoncée dans le sable à ses pieds, dépourvue de cristaux.

La boule au ventre, Karin leva son bras afin de constater les dégâts. Elle en resta pétrifiée. Un gant minéral recouvrait sa peau, des doigts jusqu'au milieu de l'avant-bras. Il lui était désormais impossible de bouger sa main dont elle n’arrivait même plus à deviner les contours sous cette affreuse couche de cristal. La chose pesait une tonne, sa surface extrêmement dure et froide. Karin avait même l’étrange sensation que son énergie était aspirée. De catastrophique, sa situation venait de passer à parfaitement ridicule. Elle rit jaune, à la limite de l'hystérie, et décida que cette journée n’était qu’un cauchemar. Oubliant les récents évènements, la jeune fille s’allongea dans sa peau de bête et laissa l’épuisement l’assommer jusqu’au lendemain, convaincue d'être réveillée par le doux fumet familier de la répugnante soupe aux légumes.

Quelques minutes après l'aube, Karin se réveilla, persuadée d’avoir fait le plus terrible des mauvais rêves mais elle déchanta aussitôt que le soleil vint frapper son gant de cristal. C’était vrai, elle n’avait rien imaginé… Déterminée à se débarrasser de cette chose, elle frappa le sol avec colère et regarda incrédule l’impact de son poing. Le sable avait été remplacé par les mêmes cristaux bleus que ceux qui piégeaient son bras. Elle retenta l’expérience quelques centimètres à côté et l’effet fut le même. L'adolescente détailla attentivement sa main, sans réussir à percer le mystère du maléfice. Frustrée, elle fouetta l’air avec et de sa paume jaillit une lame transparente qui vint se briser sur la paroi de la grotte. De mieux en mieux, pensa-t-elle ironiquement.

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