31 -

4 minutes de lecture

– Et voilà comment ça finit pour toi, Aegeus. À trop vouloir jouer avec le feu, on finit par se brûler.

Il avait la voix grave, aride comme un désert de pierres. D’un geste très vif, il arracha une mitraillette au boyard le plus proche et tira une longue rafale sur sa gauche, nonchalamment, sans même prendre la peine de viser. La panique s’empara du convoi ; les balles ricochèrent dans des échos foudroyants. Mais très vite, le chaos cessa. Chacun découvrit alors qu’Actéon avait tué deux personnes.

Le jeune homme roux et le gaillard musculeux qui avaient maltraité son chien.

Derrière eux, un autre boyard avait pris une balle perdue dans la jambe ; il gémissait sourdement, une flaque rouge s’étendant paresseusement autour de lui. Sans lui prêter attention, l’immortel se tourna dans la direction de Blanche et Cornélia :

– Vous deux. Ici, tout de suite.

Les sœurs regardèrent derrière elles, terrifiées à l’idée qu’il renouvelle son massacre sur d’autres personnes.

– Vous êtes sourdes en plus d’être laides ? Toi, la grande, et toi, la petite, les deux touristes maigres en plein milieu !

Cornélia ouvrit la bouche, muette, suffoquée par la peur.

Merde. Merde. On est mortes.

Blafardes, elles le rejoignirent en trébuchant. Les regards conjugués des boyards et des nivées pesaient lourd dans leur dos. Cornélia avait l’impression qu’une masse cotonneuse avait remplacé ses jambes ; son cœur battait si fort qu’elle en devenait à moitié sourde.

Ne tuez pas ma sœur… Faites ce que vous voulez, mais ne tuez pas Blanche…

L’homme les regarda de haut en bas, puis dit :

– Vous avez sauvé mon chien.

– Non, balbutia Blanche, on a…

Puis elle se rendit compte que si, c’était vrai, et se tut d’un coup.

– Et toi, petit, reprit Actéon. Je t’ai vu. Approche.

Pouet, qui se cachait jusque-là derrière une patte d’hydre gigantesque, sortit de sa planque à reculons. Cornélia se mordit la joue jusqu’au sang. Actéon ne devait pas le voir ! Iroël les avait mises en garde. Elles auraient dû le cacher, le…

– C’est bien.

L’immortel se baissa et posa sa main calleuse sur la tête de Pouet. Le petit tarascon tremblait tellement que ses jarrets s’entrechoquaient. Quand il croisa le regard d’Actéon, il se fit pipi dessus.

Contre toute attente, le quinquagénaire éclata de rire. Pouet fila aussitôt se cacher derrière les jambes de Blanche.

– Oh, petit ! Tu as peur du croquemitaine ? (Un éclair de ruse passa dans ses yeux noirs.) Tu as bien raison. Vous trois, c’est grâce à vous si Gaïos m’est revenu. Je vous suis redevable d’une vie. Mes chiens vous protègeront et vous raccompagneront à la frontière.

Cornélia crut avoir mal entendu. Elle jeta un coup d’œil vers Blanche, qui avait la bouche grande ouverte et l’élégance d’une carpe asphyxiée. Ignorant leur stupéfaction, l’immortel se tourna vers Aegeus. Celui-ci le fixait d’un air sinistre.

– En revanche, ton convoi et toi…

Actéon leva une main. Dans son dos, par-derrière la harpie, un océan fauve se mit à grouiller. La meute.

– Vous allez finir en viande, comme vous le méritez.

Des centaines et des centaines de molosses s’approchaient de leur pas régulier, emplissant toute l'avenue.

– Je peux supporter que mes chiens soient tués par des dragons, jeta l’homme, ses yeux réduits à deux fentes. Ils sont dressés au combat et comme tous les mortels, ils n’existent que pour mourir un jour. Mais jamais je n’accepterai que l’un d’eux soit humilié, battu, mutilé par un dégénéré tel que toi.

Aaron se plaça devant lui d’un geste brusque pour protéger son chef, une main sur son fusil, le front baissé. Il parut minuscule devant Aegeus, mais dans son visage plein de cicatrices, ses prunelles brûlaient de rage comme des billes noires. à

L’immortel prit un air songeur.

– Toujours là, toi, petit ? Je me souviens de toi. Le changelin. Le… crocotta.

L’adolescent releva les lèvres sur ses dents ; autour de lui, tous les boyards eurent un mouvement de recul en apprenant sa nature, comme s’il s’était soudain changé en une bête hideuse.

– Tuez mon maître et vous le regretterez.

Actéon eut un demi-sourire qui tendit les rides de son visage.

– J’ai changé d’avis. Outre les Françaises, j’aurai la grâce de t’épargner aussi, si tu me fais vœu d’allégeance. Je t’ai promis un jour que tu serais à moi, et ce jour-là est arrivé.

– Vous êtes taré ! gronda Aaron d’une voix qui n’était plus tout à fait humaine. Je serai jamais à vous ! Je vous tuerai dans votre sommeil, je vous…

L’immortel le gifla d’un revers de main, assez fort pour le faire trébucher. Blanche se cramponna au bras de Cornélia, les yeux écarquillés.

– Imbécile ! Il te faudra apprendre à obéir. Je ne tolère pas l’insubordination, ni le défi. Mes monstres de guerre m’obéissent au doigt et à l’œil, comme ce sera ton cas bientôt.

Quand l’adolescent se jeta sur lui, son coup-de-poing américain paré pour le choc, l’immortel bloqua ses phalanges gainées d’acier et l’envoya au sol d’une frappe en plein visage. Aaron bondit derechef sur ses pieds, avant d’encaisser un nouveau coup trop rapide pour être esquivé. Il se releva encore, la respiration sifflante. Un filet de sang coulait de son arcade fendue.

– Obéis ! jeta l’immortel. Ton maître ne t’a donc pas appris à te tenir ? Animal !

Derrière le garçon, Aegeus ne bougeait pas, le visage froid et neutre.

– Espèce de bâtard, gronda sourdement Aaron. C’est ça, votre problème. Vous frappez pour qu’on obéisse. Mais ce dressage-là, ça marche que sur les enfants et les esclaves. Pas sur ceux qui ont connu la vraie loyauté. Frappez encore, si vous voulez. Vous aurez pas la mienne. Jamais.

– Tu connais bien mal la nature humaine si tu penses que les coups n’ont d’effet que sur les plus faibles, se moqua Actéon. Mais ça ne m’étonne pas… Après tout, tu n'es qu'un charognard, un glouton sans cervelle. Que sais-tu des hommes, des femmes et de leur esprit ?

Aaron avait l’expression d’une bête féroce qui se retenait de mordre. Autour de lui, les boyards s’écartèrent davantage.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Cornedor ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0