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– Bon ! s’exclama soudain l’immortel en frappant dans ses mains.

Son visage changea, son corps perdit toute sa carrure et se recroquevilla ; sa peau devint aussi blanche que le lait. Soudain, Actéon ne fut plus qu’une petite fille aux cheveux blonds retenus par des rubans.

– Je n'ai plus rien à faire ici, poursuivit-elle d’une voix de papillon, légère et enjouée. Le crocotta vient avec moi, les deux filles aussi. Pour les autres, je vous dis adieu.

Elle fit volte-face et claqua des doigts ; aussitôt, la harpie tourna son visage muet vers eux. Les chiens se coulèrent dans l’avenue, prêts à attaquer.

– Un instant ! lança Aegeus d’une voix forte.

Quand l’immortelle se retourna, elle le découvrit avec une main paternellement posée sur l’épaule d’Aaron.

Il lui avait mis un couteau sous la gorge.

Blanche se tétanisa ; Cornélia porta une main à son propre cou en se souvenant du métal froid contre sa peau. C’était juste avant l’incendie de leur appartement. Juste avant que Blanche ne parvienne à retourner la situation…. Quand Aegeus avait failli la tuer.

– J’ai cru comprendre que tu avais très envie d’un crocotta de combat, jeta Aegeus. Ils sont si difficiles à dresser… Et si rares, puisqu’ils refusent de se reproduire en captivité. (Il plaqua la lame contre la peau olivâtre d’Aaron.) Ce serait dommage de faire une croix sur celui-ci, non ? Si je me souviens bien, tu étais prête à m'offrir beaucoup d'or pour te le procurer, à l'époque.

Les boyards s’agitèrent, mal à l’aise, en se jetant des regards en coin.

– Mais qu’est-ce qu’il fout ? souffla Cornélia d’une voix sourde.

– C’est du bluff, répliqua férocement la cadette. Et Actéon le sait forcément…

Le garçon ne bougeait pas, le regard farouche, les mâchoires contractées.

– Je te propose un deal, avança son chef. Un marché tout à fait équitable, et qui respecte ta loi préférée : celle du plus fort.

– Tu vas me proposer un combat, sourit la petite fille. Et je vais refuser.

Mais ses yeux brillaient de curiosité.

– En es-tu sûre ? Écoute d’abord les règles du jeu. Imagine : mon crocotta en combat singulier contre la bête de ton choix. Si mon monstre gagne, tu laisses partir le convoi, tu nous laisses tous quitter ton secteur. Mais si le tien gagne, tu fais ce que tu veux de nous. (Il haussa ses sourcils d’or.) Équitable, non ?

– Tu m’as déjà eue une fois avec un marché semblable, minauda l’enfant aux cheveux blonds. Un crocotta est quasiment imbattable, j’ai tout à y perdre. Pourquoi jouer pour quelque chose que je peux prendre de force ? Ne me prends pas pour une idiote. Tu ne toucheras pas à un cheveu de ce garçon, tu es trop sentimental.

Aegeus éclata de rire. Toute nervosité l’avait déserté.

– Sentimental ? Moi ? N’échange pas les rôles ; tu es sentimentale avec tes clebs. Je ne le suis jamais avec mes animaux. À ma place, tu n’aurais même pas eu l’idée de menacer l’une de tes bêtes. Tu es trop mièvre. (Il sourit.) Pauvre immortelle, après tout ce temps passé à nous tabasser l’un l’autre, tu me connais toujours aussi mal. Aaron me connaît, lui, pas vrai ?

Le garçon émit un bruit qui aurait pu vaguement passer pour un assentiment.

– Je l’aime comme un humain aimerait son chien fidèle, mais si je dois lui ouvrir la gorge avec mon couteau, je le ferai. Et il m’en sera même reconnaissant. Il préférera que je le tue ici, devant toi, plutôt que de finir dans tes cages, à combattre pour ta gloire.

La petite fille ne souriait plus. Elle plissait les paupières. Ses yeux bleus fusèrent vers le visage d’Aaron, comme le firent ceux de Cornélia et Blanche. Elles s’attendaient à y trouver de la crainte, du dégoût, de la colère envers Aegeus…

Il n’y avait rien de tout cela. Le garçon était calme, une pointe de douleur au fond des prunelles. Il défiait l’immortelle du regard.

– Allez, Actéon, insista l'homme aux écailles. Je sais à quel point tu aimes les combats. Joue à mon petit jeu. Toi qui te vantes toujours d’avoir les monstres de guerre les plus redoutables, ne me dis pas que tu crains de perdre ? Toi qui te vantes d’avoir la plus belle arène de la Strate, ne me dis pas que tu refuses de la montrer. (Il pencha la tête de côté.) Je compte jusqu’à trois. À trois, ce garçon se videra de son sang, et tu n’auras plus qu’à tous nous tuer. C’est ce que tu avais prévu, de toute façon, non ? Un…

Le couteau mordit la chair de l’adolescent, qui redressa la tête. Son regard voleta d’Actéon à la harpie blanche comme neige, puis aux deux sœurs figées. Il croisa leurs regards terrifiés et parut ébranlé. Ébranlé de voir qu’on pouvait craindre à ce point pour sa vie à lui.

– Deux…

La fillette soupira. Elle leva une main, un sourire joueur sur les lèvres.

– Très bien, badina-t-elle. Contre le monstre de mon choix, tu as dit ? Toi et moi, un pari d’arène, comme au bon vieux temps.

Tous les boyards relâchèrent leurs muscles. Cornélia enfonça ses doigts dans l’épaule de Blanche, pour la retenir alors qu'elle flageolait. Quant à Actéon, elle contempla son adversaire de haut en bas, puis se mit à battre des mains, enchantée, comme n’importe quelle enfant enthousiaste.

– Oh, mais bien sûr… Ça y est, j’ai une idée ! Je sais laquelle de mes bêtes il va devoir affronter.

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