Partie 2

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L’air était frais au sein du temple. La chaleur implacable du désert ne parvenait jamais tout à fait à s’infiltrer dans ces lieux centenaires. La pierre était épaisse et l’atmosphère millénaire. Les gens s’aventuraient rarement dans cette région, si bien qu’au fil du temps il était devenu un mythe, une légende qui n’apparaissait qu’aux voyageurs égarés ou à ceux qui en connaissaient la localisation. Et ils étaient de ceux qui n’auraient jamais dû le trouver.

Ils étaient deux. Deux ombres cachées sous d’amples capes qui les dissimulaient du soleil du désert, semblables aux leurs. La première était grande, plutôt large d’épaule et dissimulait mal l’homme qui la portait. La deuxième, plus petite, plus fine, camouflait en revanche à merveille la personne. Femme ou enfant, il n’aurait pu dire s’il n’avait pas entendu sa voix quelques minutes plus tôt. C’était elle qui les avaient guidés jusqu’à leur abri.

Les deux évoluaient dans les lieux avec aisance et démontraient leur connaissance de leur environnement. Ils n’hésitaient pas, calfeutraient le moindre interstice par lequel le vent et le sable auraient pu s’infiltrer. Ils coupaient le bâtiment du reste du monde. Il fit signe à ses hommes d’allumer les torches qui pendaient çà et là aux murs afin d’éclairer les lieux.

La lueur des flammes, bien qu’alimentées par le souffle des mages qui les accompagnaient, n’atteignit jamais les hauts plafonds. Elle s’arrêtait bien avant et ne laissait qu’un gouffre immense au-dessus de leurs têtes. Et le silence qui ponctuait les pas discrets des personnes présentes. Aucun mot n’avait été échangé et pour l’heure, chacun tentait d’oublier l’immense mur de sable qui s’était abattu sur eux juste avant qu’ils entrent.

Les deux étrangers finirent par retirer leurs capes, dévoilant deux jeunes gens aux teints halés dans la force de leur jeunesse. Rien ne laissait supposer chez eux une longue course au beau milieu du désert. L’air serein qu’ils affichaient, et les rires qu’ils s’adressaient remplissaient peu à peu le silence des lieux et procurait chaleur et sécurité.

— Je t’avais dit qu’il fallait partir plus tôt !

— Tu voulais ta réponse, tu l’as eue ! C’est si difficile de dire merci ?

— Venant de toi, c’est la meilleure !

Sous les regards perplexes des personnes présentes, les deux jeunes gens montaient le ton, et s’approchaient plus près l’un de l’autre, le regard mauvais. La tension semblait être alourdie d’un coup sans que personne ne s’y attendent réellement.

Le jeune homme semblait capable de déplacer des montagnes. Sa constitution athlétique paressait d’autant plus impressionnante que son adversaire n’avait rien de tout ça. Elle était frêle, comme si un simple coup de vent pouvait la briser. Pourtant elle se tenait là face à lui, telle une lionne défendant chèrement sa vie. Certes, aucun d’eux ne semblaient vouloir en arriver à de telles extrémités, mais la vision qui s’offrait à lui ne pouvait que lui rappeler cette image.

Sa chevelure folle dansait au rythme de ses pas, auréolant un visage qui aurait pu faire pâlir de jalousie la protectrice des lieux, dehors, qui affrontait bravement la tempête. Il avait cette harmonie qui siée aux grandes reines, figure parfaite de la royauté, et cette insouciance que la jeunesse de ses traits rendait absolument fascinante. Elle était belle, magnifique, et si la situation l’avait permis, il aurait sûrement passé des heures à scruter chacun de ses traits pour mieux la connaître, mieux la comprendre.

Sa voix, elle, semblait avoir été inventée pour le rire. Elle lui paraissait emplie de sarcasme et d’ironie, comme si la vie n’avait de sérieux que la triste finalité qu’ils connaissaient tous. Elle se riait ouvertement de son vis-à-vis, comme si la différence de stature n’avait jamais été un problème. Elle s’approchait à tel point qu’elle aurait pu être brisée en deux d’un simple geste, sans pour autant présenter la moindre trace de peur.

Si sa voix à elle seule ne suffisait pas à comprendre l’étrange personnalité de la demoiselle, ses yeux pouvaient aisément s’en charger. Toute la joie et le dénigrement qu’elle présentait au garçon par la parole se retranscrivait en eux, pour enfoncer toujours plus loin le clou qui semblait être là pour le pousser à bout.

— Altesse ?

A ses côtés se tenaient Jedd, le dos bien droit, le port de tête impeccable, la mine sinistre. Fallait-il intervenir, ou bien laisser la situation s’envenimer en présence d’un membre de la famille royale. Devait-il séparer les deux jeunes gens, ou bien les laisser s’affronter, au risque de voir le sang couler ?

Peut-être était-il extrême dans son raisonnement, mais il savait pertinemment que Jedd en était là de sa propre réflexion. Il connaissait suffisamment son conseiller pour savoir ce que ses lèvres pincées signifiaient. Il demandait l’autorisation de s’occuper des malotrus, afin de ne pas mécontenter son prince.

Sur un geste discret de la main, il lui signifia qu’il n’avait pas besoin de ses services. Il s’avança au-devant des deux protagonistes, les mains en avant en signe de paix. Ils étaient tous dans la même galère, après tout, les tensions ne raccourciraient en rien leur séjour au sein de l’immense bâtiment.

— Du calme, en venir aux mains ne nous sortira pas d’ici !

Les deux opposants se tournèrent de concert vers lui, un air surpris sur le visage qui le prit quelque peu au dépourvu. Puis soudain vint le rire, doux, enjoué, de leur part à tous les deux.

— Personne ne va en venir aux mains ici. Pour quoi faire voyons ? lui répondit la jeune femme, toujours amusée.

Encore ce rire dans la voix, et dans ces yeux qui l’observaient, intrigués, aux travers de ces cils immenses. Il avait l’impression de devoir mémoriser les moindres détails de ce visage à la beauté envoutante, par simple peur d’avoir à faire à un mirage. Il avait ce sentiment qu’elle allait disparaître à tout instant, dans un souffle, une inspiration.

Il la vit pencher la tête sur le côté, toujours souriante, amusée par-il-ne-savait-quoi. Un effleurement de Jedd le ramena à la dure réalité. Il réalisa qu’il avait passé beaucoup trop de temps à la scruter pour que cela soit discret. Il jeta un rapide regard à l’homme qui accompagnait son apparition, et remarqua l’agacement dont ses traits s’étaient teintés.

Il s’inclina immédiatement, utilisant les codes Renissiens. Il courba la tête assez bas pour être respectueux, mais pas assez pour que cela soit pris pour de la soumission.

— Pardonnez mon impolitesse, ma dame.

Il se tourna ensuite vers le jeune homme.

— Je ne voulais pas manquer de respect à votre compagne, veuillez m’en excuser.

Il se redressa et attendit de recevoir les formules de politesses qu’un tel geste induisait. Au lieu de quoi il fit une nouvelle fois face à de l’incrédulité de la part de son interlocuteur. Avait-il mal jugé de la situation ?

— Nous ne sommes pas mariés. Seulement deux marchands ayant un long passé en commun, Altesse.

Sa voix n’était que douceur et caresse. Il avait l’impression qu’elle arrivait à hauteur de ses oreilles pour lui murmurer le moindre mot, l’envoûter, l’envoyer dans un songe dont il ne voudrait surtout pas se réveiller. Savait-elle qu’elle avait un tel effet sur lui ? Et en était-il de même pour tous les hommes ici présents ?

— Vous m’en voyez ravi, ne put-il s’empêcher d’ajouter, souriant cette fois-ci ouvertement à cette femme qui le rendait déjà fou.

Elle eut un petit rire qui l’électrisa une fois de plus. Mais il ne put que remarquer le retour du regard désapprobateur de ce jeune homme qui l’accompagnait. Mais il devait bien avouer qu’entendre le soupir désespéré de Jedd lui avait donné des ailes.

— Préparez de quoi passer la nuit, nous ne sommes pas prêts de quitter les lieux ! lança-t-il aux hommes et femmes qui l’accompagnaient en effectuant une volte-face.

Chacun s’empressa d’exécuter une tâche. Les soldats agissaient, les nobles observaient. Les quelques mages présents aidaient du mieux qu’ils pouvaient, éclairaient la salle, soulevaient à l’aide de leurs dons les charges les plus lourdes. Jedd scrutait le moindre geste, à la recherche d’éventuels tire-au-flanc, tel un tavernier gérant ses stocks de bières à la goutte près.

Il observa un temps la scène, amusait du sérieux de son ami et conseiller. Il y avait ces deux facettes en lui qui le fascinait particulièrement. Pour lui qui préférait la compagnie des hommes d’armes dont il avait généralement la charge, le côté pointilleux de Jedd avait parfois le don de l’énerver au plus haut point, bien qu’il y retrouve la même rigueur que chez les soldats. Et pourtant, il savait qu’avec lui, tout problème avait sa solution, innovante et intuitive. Il ne se bornait pas aux limites fixées par les codes en vigueur et les interdits. A eux deux, ils pouvaient déplacer des montagnes, et justifier cela par un simple « Parce que » que la brave noblesse d’Aleria acceptait sans piper mot.

Il y avait aussi cet autre côté, fêtard, amical, hilarant, qu’il n’offrait qu’en privé, à de très rares personnes. Qu’en aurait-il été si tout le monde savait que l’un des conseillers du roi perdait tout sens commun après une soirée de beuverie en compagnie des hommes du prince ?

Les deux personnalités associées auraient pu donner au quotidien une personne tout à fait simple, vivante. C’était en quelque sorte le cas, mais personne ne prenait la peine de gratter le vernis en surface pour voir ce qu’il y avait dessous. Lui l’avait fait, lui avait donné sa chance et l’avait aidé à se hisser sur la plus haute marche, lui offrant une longueur d’avance non négligeable sur la plupart des personnes voulant sa place.

Tout autour de lui, chacun s’était dispersé. Les nobles tentaient de s’approprier un coin confortable dans ce temple de pierre. Les serviteurs essayaient tant bien que mal d’accéder aux moindres caprices de leurs maîtres, pour finir par penser les bêtes qui les avaient suivis. Quant aux soldats, ils investissaient les lieux à leur façon, sondant chaque recoin de la pièce afin de la sécuriser. Mais tous subiraient l’inconfort des lieux, peu importe leurs rangs. La nuit promettait d’être longue pour eux, tant habitués au luxe de leurs matelas de plume et leurs coussins aux soieries raffinées.

Il était maintenant seul avec les deux compagnons.

— La tempête ne devrait durer qu’une nuit. Elles sont assez fulgurantes dans cette partie du désert, mais elles passent rapidement.

Il fit face au jeune homme, se rappelant subitement un détail qu’il jugeait important.

— Je vous remercie pour nous être venus en aide. Nous serions en pleine tourmente, à l’heure qu’il est. Je suis Seth.

— Nous ne pouvions pas vraiment laisser autant de personnes s’éparpiller en plein désert avec une tempête de sable sur le dos… expliqua l’homme, avec un geste vague en direction des nobles.

Seth émit un rire.

— Et vous ?

— Je suis Haldir. Et voici Elie.

La jeune femme eut un léger sourire, avant de se détourner pour à son tour commencer à installer leurs affaires pour la nuit. Lorsqu’il vit qu’elle préparait également de quoi prendre un repas, il l’arrêta en se penchant vers elle, puis désigna les soldats qui faisaient de même.

— Nous vous devons beaucoup aujourd’hui. Vous partagerez notre repas, c’est le moins que nous puissions faire pour vous remercier.

— Merci, conclut la jeune femme, quelque peu surprise.

Le repas se passa calmement. Personne n’échangeait le moindre mot. Certains écoutaient avec effrois le mur de sable s’abattre sur le bâtiment, d’autres encore observaient ces deux étrangers qui avaient rejoint le cortège royal, leur épargnant une nuit d’errance au beau milieu du désert.

Les regards n’étaient pas vraiment amicaux. Ils se méfiaient. Il n’y avait bien que les soldats pour s’adresser à eux. La notion de remerciements était quelque peu abstraite dans l’esprit de la plupart des membres de la noblesse. Ce qu’ils retenaient de ces deux personnes étaient bien leur rang social, visiblement inférieur aux leurs.

Ces deux-là ne se mêlaient pas vraiment au reste des personnes présentes. Ils étaient à l’écart, discutaient facilement avec ceux qui s’adressaient à eux, mais ne cherchaient pas particulièrement le contact. Ils étaient souriants, aimables, faisaient preuves d’une tenue sans reproche. Ils ne cessaient de s’envoyer entre eux des petites remarques, s’amusaient du moindre détail chez l’autre qui méritait d’être soulevé. Ils étaient amusants dans leur genre.

Seth les avait observés un long moment avant de se détourner. Le lendemain matin, leurs routes prendraient un chemin tout autre, et ne se croiseraient probablement plus jamais. Il garderait néanmoins à l’esprit cette rencontre miraculeuse. Et ces deux personnalités pleines de couleurs et de fraîcheur.

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