Maître Jade.

4 minutes de lecture

Ce que le gros dur ignorait c’est que Jade était hyperactive depuis sa petite enfance. Lorsqu’elle avait trois ans en demi ses parents déménagèrent dans un immeuble de banlieue au bas duquel il y avait une salle de sport. Un dojo, précisément. Dès qu’elle pouvait, Jade collait régulièrement son petit nez en trompette contre la porte vitrée de la salle d’arts martiaux et regardait les entraînements. Elle était fascinée par ce qu’elle voyait. Elle admirait ces sportifs souples et agiles qui avaient l’air de se battre avec respect en exécutant des chorégraphies qui ressemblaient un peu à de la danse contemporaine. Le soir, seule dans sa chambre, elle répétait tant bien que mal les mouvements des pratiquants qu’elle avait pu observer. A l’approche de ses quatre ans ses parents lui demandèrent ce qu’elle voulait pour son anniversaire. Elle sut tout de suite quoi répondre. Elle voulait aller s’entrainer à la salle. Elle a dû dire un truc du genre « Z’veux aller me bagarrer en dansant avec les autres en bas ». Quand ils eurent compris de quoi elle parlait (à bout de patience d’essayer d’expliquer, Jade a pris la main de sa mère pour aller lui montrer), ses parents, d’abord surpris, se dirent que finalement ce n’était pas une si mauvaise idée. Ils n'en pouvaient plus de la voir courir tout le temps, dans tous les sens, partout avec un débordement de vitalité joyeuse, certes, mais incontrôlable et fatigante. Fatigante pour eux, s’entend. Ça permettrait peut-être à Jade de canaliser ce surplus d’énergie.

En principe le responsable du dojo, Monsieur Dos Santos, ne prenait pas d’élève en dessous de six ans mais devant la lourde insistance des parents (et de Jade), il accepta d’essayer. Et puis il avait souvent vu Jade, le nez collé à la vitre de la porte d’entrée, qui les observait avec un regard fasciné. Il était curieux de voir comment la petite se débrouillerait. C’est comme cela qu’à quatre ans elle commença le kung-fu de manière intensive. Monsieur Dos Santos ne fut pas déçu. Jade était douée, très douée même et passionnée par sa nouvelle activité. Ce petit bout de choux apprit très vite et au bout d’un peu plus d’un an elle devint un phénomène populaire au sein du club. Souvent des pratiquants d’autres clubs venaient la voir évoluer. Ils étaient impressionnés par son niveau à cet âge-là, c’était très rare. Sa motivation et son talent furent vite repérés par un vieux maître asiatique qui venait à la salle de temps en temps. Quand elle eut 6 ans, il l’a pris sous son aile et décida de l’entrainer de manière individuelle en complément de son entrainement en salle. Le vieux maître (Maître Heung, mais comme ce nom fit rire la petite Jade la première fois qu’elle l’entendit, ce qui le vexa un peu, il lui demanda de l’appeler Maître Chan, c’était son prénom), Maitre Chan donc, était bienveillant mais son entraînement était très dur et demandait une discipline de fer. Jade s’y soumis sans jamais rechigner, même si souvent elle en pleurait de douleur. Au fil des années, elle devint une experte. Elle acquit aussi de très bonnes connaissances dans d’autres arts martiaux comme le karaté, le judo ou l'aïkido mais son préféré restait le kung-fu. Elle s’identifiait à la philosophie de cet art qui lui plaisait plus que tout. Le kung-fu était devenu toute sa vie. Elle poursuivait encore aujourd’hui un entraînement intensif.

Quand Pat vit la posture ridicule que Jade avait prise, il se dit qu'il allait s'en débarrasser vite fait. Son objectif était clair : pour lui, la p'tite pute avec ses poings en avant n'était pas un problème. Mais il était bien possible que, s'il la mettait en difficulté, ses trois copines lui tomberaient dessus comme des furies. Il savait par expérience qu'il était très difficile de s'en sortir dans une baston contre trois, même si c'étaient des nanas. Il avait déjà vu des filles se battre et quand elles s'y mettaient elles pouvaient être très vicieuses et faire très mal. Il devait à tout prix éviter ça. Sa stratégie était simple, foncer dans la blondasse, comment elle s'appelait déjà, cette p’tite pute ? se demanda-t-il, si possible lui péter le nez, et plus si affinité, p’tite pute, mouarf ! Puis se précipiter sur la porte de sortie avant que les trois autres puissent réagir (il ne savait pas qu’il y avait Ben derrière cette porte). Il faut que je sorte vite fait de ce piège à con ! Il ne croyait pas si bien dire. Mais il allait la jouer à l'envers… Il allait essayer de feinter pour créer un effet de surprise et aussi, il dût bien se l’avouer, parce qu’il n’aimait pas cette situation où il pouvait se trouver en difficultés…

Il était intérieurement fou de rage et dû prendre sur lui pour faire semblant de se détendre. Il lâcha un soupir, posa un sourire maladroit et crispé sur son visage et dit :

- Bon, les filles… On va s’calmer un peu... D’ac ? J’ai pas envie d’me battre avec des gonzesses. On va faire un deal : j'laisse la p'tite pu... Heuuu, votre copine tranquille et on en reste là, ok ? Pas d'excuses mais j’lui fous la paix et à vous aussi. Qu'est-ce vous en pensez ?

Il ne pensait pas un traitre mot de ce qu’il disait. Si elles exceptaient son deal, ce qui l’étonnerait mais sait-on jamais, il avait bien l’intention de les retrouver un jour, l’une après l’autre, pour leur expliquer comment il s’appelait, ET JE NE M’APPELLE PAS PATOUNET, BORDEL ! s’ajouta-t-il pour lui-même. Il laissa une seconde de flottement, genre "je vous laisse réfléchir", puis il prit une grande inspiration et se rua d’un coup sur Jade comme un taureau furieux…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Henri Robert Rivers ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0