Chapitre 2

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Un crâne de gorille était placé juste au-dessus de la porte. On ne pouvait l’apercevoir qu’en se retournant. Ses grandes orbites profondes et noires donnaient des frissons. Sa structure osseuse illustrait parfaitement le gigantesque animal qu’il avait été. Cette merveilleuse ossature n’était qu’une infime beauté parmi les impressionnants objets d’art qu’exhibait cette pièce étrange et pleine de curiosité. Le mur en supportait plusieurs : des peaux d’animaux féroces, des cornes de buffles, des crocs de panthère et des masques de tous genres, tous sculptés avec une précision remarquable et une habileté étonnante. Le plus captivant illustrait un roi assis sur un trône richement perlé. Dans un angle, un chapeau orné de deux plumes de perroquet et un boubou bleu pendaient le long du mur. Le magnifique tissu dévoilait l’éclat de trois gros colliers de perles multicolores qui embellissaient ce coin de la pièce.

L’autre côté de la salle n’avait point été négligé. Il abritait une lance et un bouclier dont la face supérieure était embellie du dessin d’un lion féroce. Il fallait lever la tête pour être émerveillé par un plafond tapissé de plumes d’oiseaux rares. Toutes les couleurs y étaient représentées, des plus sombres aux plus claires, des plus pâles aux plus vives, des plus tristes aux plus gaies. Sur le sol, le lit quant à lui était un vrai chef-d’œuvre artistique. Son bois avait été taillé avec une délicatesse extraordinaire. Les illustrations qu’elles portaient s’accordaient parfaitement avec l’ensemble des objets de la pièce. Tout cet assemblage donnait à la chambre une allure agréable. Malheureusement, la vue de l’homme allongé sur le lit brisait cette harmonie visuelle pour laisser place à une sombre mélancolie.

Cela faisait environ dix mois que Obaté Kundayo, le roi des babanki, avait été victime d’une crise inopinée alors qu’il était en pleine réunion avec ses collaborateurs. Il avait alors été transporté en urgence dans ses appartements privés, dans l’espoir d’un éventuel miracle de la médecine traditionnelle des babanki. Pourtant, depuis ce jour, il était resté condamné sur son lit, ne devenant ainsi que l’ombre de lui-même. Sa face, d’une pâleur blanchâtre, en disait long sur le degré de sa maladie. Les narines retroussées et les traits tirés de son visage illustraient parfaitement ses souffrances. Sous des yeux qui avaient disparu de leurs orbites, ses deux joues étaient devenues aussi creuses qu’une calebasse. Même sous les draps, on pouvait remarquer que son corps jadis robuste était désormais squelettique. Le bel homme d’autrefois n’était plus qu’une relique dans cet amas d’objets précieux. Sous son épaisse couverture, Obaté Kundayo tremblait de tous ses membres. La chaleur que produisaient les torches accrochées aux murs semblait ne pas l’épargner du froid. En plus des souffrances physiques qu’il endurait depuis des mois, Obaté Kundayo paraissait également soucieux et désespéré. Ces derniers temps, ses inquiétudes avaient presque viré à de la paranoïa. Seulement, sa préoccupation majeure n’avait rien à voir avec cette maudite maladie qui l’immobilisait sur le lit ne semblait.

Obaté Kundayo, Happi de nom de naissance, était le trente septième de la dynastie des Kundayo ; le gardien du patrimoine des babanki ; l’unique et digne successeur des valeurs culturelles et ancestrales de son peuple. Son règne sur le trône de ses aïeux durait depuis déjà bientôt vingt-sept ans. Durant tout ce temps, il avait gouverné avec intelligence et sagesse. Son humilité et sa prudence avaient fait de son royaume le nouveau pôle commercial de toute la contrée des Grassaland. Aujourd’hui, les babanki lui devaient ce niveau de vie enviable de tous. Pourtant, le roi n’était pas toujours satisfait. « Nous avons toutes les potentialités pour devenir la première puissance économique de l’ensemble des royaumes du Grassland », ne cessait-il d’affirmer. Il avait en effet dédié toute sa vie et toute son énergie à la réalisation de ce projet, seulement le Pacte de Bangweu avait toujours constitué le principal obstacle à surmonter. À cause de ce maudit traité, la dynastie des Kundayo avait perdu leur statut de Oba pour celui de Obaté, le roi qui s’incline.

Jadis, Babangui, le royaume des babanki était un Etat souverain et indépendant. À cette époque la lignée Kundayo portait fièrement le titre de Oba. Aujourd’hui, le royaume Babangui avait été rétrogradé au statut de vassal et son roi au rang de Obaté. Contrairement à la majorité des feudataires de la contrée des Grassland, Babangui n’avait pas perdu son indépendance suite à une domination militaire. Le dernier souverain des babanki, le père du Oba Kundayo actuel, avait volontairement prêté allégeance au Oba des batabwa, mettant ainsi le ngwo’, la pierre sacrée de Babangui, sous la protection des Batabwa.

Depuis qu’il avait accédé au trône, Obaté Kundayo s’était acharné secrètement à changer ce statut qui déshonorait la glorieuse épopée de leur dynastie. Il lui rappelait toujours toutes ces courbettes auxquelles il devait se soumettre pour marquer sa subordination aux autres Oba : il ne pouvait par exemple les contredire, même si ceux-ci se trompaient. Une autre des multiples servilités qu’il devait supporter lui imposait de s’asseoir sur un simple tronc de bananier en présence des autres Oba qui eux s’asseyaient sur des trônes en bois richement sculptés et perlés. Ces règles de préséances Obaté Kundayo devaient le respecter devant n’importe quel Oba, aussi bien celui de Babatwa que de tout autre royaume du Grassaland. Il était même contraint de prêter allégeance aux Oba donc le royaume était militairement moins puissant que le sien, et donc son armée aurait pu envahir le territoire juste le temps qu’il cligne des yeux.

Rien qu’en ressassant toutes ses humiliations, Obaté Kundayo sentit une rage folle lui monter à la gorge ; son visage se froissa encore plus et ses mains maigres et crevassées se refermèrent avec frustration sur les draps. Ce maudit traité vieux de près d’un siècle avait certes contribué à sauver son peuple de l’invasion des tribus voisines, mais il était devenu un lourd fardeau pour son autorité. Bien que Babangui ait conservé son organisation interne, sa politique extérieure dépendait en grande partie de celle imposée par le pouvoir central de Batabwa. Toutes décisions de collaboration avec un autre royaume devaient au préalable être validées par l’autorité centrale de Batabwa, ce qui ne servait pas toujours les intérêts des babanki. Pour Obaté Kundayo, tout était clair : « les babanki devaient se défaire de cet engrenage infernal que leur imposaient sournoisement les Batabwa. »

« Mais comment y parvenir ? », n’avait-il cessé de songer depuis son accession au trône.

Comme réponse à cette question, Obaté Kundayo avait concocté avec le temps un plan remarquable. Malheureusement, quelques semaines avant sa mise en exécution, il avait été frappé d’une étrange et redoutable maladie. Il avait alors réuni tout son collège des Ghekàk et même ceux des royaumes amis. Aucun de ces guérisseurs n’avait une idée exacte des causes de sa maladie, et encore moins des possibles plantes curatives. Même les multiples rituels et sacrifices opérés dans les bois sacrés et les cours d’eau de Babangui n’avaient résolu le problème. Aujourd’hui, Obaté Kundayo s’était résigné à son sort. Le destin en avait décidé autrement et il l’acceptait courageusement. Seulement, derrière cette remarquable bravoure, se cachait une peur incessante qui au fil du temps ne cessait de le tourmenter. Elle le hantait complètement l’esprit, le persécutait chaque fois qu’il essayait de fermer les yeux : « Tu as échoué ! Tu as échoué Obaté Kundayo ! Tu as échoué », lui criait-elle inlassablement, lui rappelant qu’il avait failli à ses missions de souverain.

Mais cet échec, le Obaté comptait bien l’épargner à son successeur, avant de rendre l’âme. Alors, il avait fait appel à l’un de ses fidèles sujets.

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