Lisa finit par arriver devant chez elle, quittant Maya et Méline qui habitaient plus loin. Celle-ci résidait dans une charmante villa dont la façade de l'étage, bardée de bois, donnait une impression de chalet. Le rez-de-chaussée était quand à lui paré de carreaux muraux imitation pierre. Des briquettes en terre cuite recouvraient les piliers.

Une allée de gravier blanc d'où émergeaient des pas japonais traversait une pelouse grasse et entretenue ainsi que trois arches de Fée des neiges émettant un doux parfum floral. De magnifiques palmiers se reflétaient dans un bassin entouré de pierres rondes et plates parfaitement agencées où des carpes koï nageaient avec grâce et sérénité.

Elle poussa le portail et entra, son impression d'être poursuivie s'estompa aussitôt. Elle remit les pieds dehors et se sentit à nouveau surveillée... Elle rentra et la pesante sensation se dissipa. Elle sortit une fois de plus et...

- Un problème Lisa? Interrogea une voix grave

- Oh Monsieur Ichinisan, répondit la lycéenne surprise, non aucun, c'est juste le portillon qui grince un peu...

- Je vois. Je dois avoir ce qu'il faut chez moi, assura le voisin aux cheveux grisonnants, tu en veux?

- Non, ça ira, merci. C'est très gentil à vous. Passez une bonne journée.

- Merci, toi de même. Il y aura devoir surprise d'algèbre demain, annonça-t-il avec un clin d'œil

- D'accord Monsieur, ajouta-t-elle en tentant de dissimuler son désappointement

Soudain, elle entendit un grognement suspect à l'intérieur de sa demeure et se précipita. Elle vit alors un élégant homme d'affaires de grande taille, brun, une tasse de café fumante à la main. Il venait apparemment de se brûler les lèvres. La jeune fille sourit puis déclara:

- Coucou mon petit papa, tu as décidé de revenir à la maison plus tôt?

- Oui ma puce, je me suis accordé un congé exceptionnel puisqu'un évènement inhabituel s'est produit.

- Qu'ont-ils dit aux informations sur le tremblement de terre? C'est encore le volcan qui fait des siennes?

- Non Lisa, pas cette fois. L'intensité était faible et... Apparemment le foyer de ce séisme était situé près du noyau, ce qui est, d'après les scientifiques, insensé et aberrant! Comme à l'accoutumée ces derniers temps, tout le monde est dépassé. Ah oui, demain tu mettras ton manteau et tes gants, il neigera d'après le bulletin météo.

- C'est impossible, on est dans une région tropicale!

- Notre île n'est pas épargnée ma puce.

L'adolescente baissa la tête puis poursuivit:

- J'ai le pressentiment que quelque chose de grave va bientôt se produire... Nos vies vont radicalement changer.

- Probable vu que nous sommes contraints de nous adapter à un climat capricieux.

- Non c'est autre chose papa. Je ne sais pas vraiment quoi, par contre c'est inéluctable.

- Encore tes prémonitions de fin du monde? Elles deviennent récurrentes!

- Ça dure depuis trois semaines et ça me déstabilise un peu. J'ai souvent des pensées parasites.

- C'est-à-dire? Interrogea-t-il inquiet

- C'est complexe. J'ai l'impression de porter le poids du monde sur mes épaules. Quoique je fasse, j'ai cette voix qui me murmure que ce n'est pas ce que je devrais faire. J'ai la sensation de ne pas me trouver dans la "bonne réalité"... Je vois la fin se rapprocher et je n'accomplis en rien ce qu'il faudrait pour l'empêcher.

- Les examens auront lieu dans quatre mois. C'est peut-être ta façon d'interpréter tout ça.

- Tu dois avoir raison.

- Si tu te sens mal ou si tu es épuisée, tu devrais te reposer. Tu révises beaucoup. Le surmenage est mauvais pour la santé. Quand tu auras suffisamment récupéré, tu mangeras ce que maman est en train de cuisiner.

- J'ai une terrible migraine donc je vais suivre tes conseils mon petit papa.

- N'oublie pas mon bisou avant d'aller à l'étage.

Noah Sunny était marié à Pauline depuis bientôt trois décennies. Il l'avait connue en seconde, à l'âge de quinze ans, tombant sous son charme, au lycée général et technologique Saint-Benoît De Morange, que fréquentait aujourd'hui leur fille. Il lui fallut une année pour lui avouer ses sentiments, très timide à l'époque. Ils se soutinrent toujours, se poussant à se dépasser afin de réussir dans leur carrière respective.

Il fut banquier à ses débuts puis se lança dans le trading, jouant sur le forex, les matières premières, les actions boursières et la cryptomonnaie. Depuis deux ans, il investissait dans la pierre, jetant son dévolu sur des biens immobiliers afin de rentabiliser ses capitaux.

Malheureusement, il était absent et assez effacé de la vie familiale. Lorsqu'il était à la maison, il s'enfermait dans son bureau, éternellement sur son ordinateur ou au téléphone avec ses collaborateurs.

Monsieur Sunny était devenu carriériste car les échecs répétés résultant de ses tentatives d'avoir un enfant le minaient. Dix-sept ans plus tôt, lorsque son épouse et lui commencèrent à envisager l'adoption, les parents biologiques de Lisa entrèrent dans leur vie et chamboulèrent tout. Ce fut lors d'une nuit printanière fraîche. Alors que Pauline finissait d'arroser ses rosiers blancs et que Noah rangeait sa tondeuse, un brouillard se leva et recouvrit le quartier des Sapins Rouges. Un homme et une femme se présentèrent à eux avec un nourrisson emmitouflé dans un drap vert. Ils portaient tous une clef dorée scintillante en guise de pendentif.

La rencontre fut brève. Ils remirent le nouveau-né au couple puis disparurent aussi vite qu'ils étaient apparus. La garde de Lisa devint une bataille de trois longs mois. Il fallut la déclarer auprès de la préfecture. A ce moment précis, Ils n'avaient aucun droit sur elle. L'orphelinat Sainte-Angélique l'accueillit. Les démarches leur parurent interminables.

La lycéenne ne savait pas que ses parents biologiques l'avaient remise en main propre à ses parents adoptifs. A ses yeux, elle avait été abandonnée sur le perron du foyer pour orphelin de Falaise-Sur-Mer.