Chapitre 10

6 minutes de lecture

Vendredi 29 novembre 2019 - 08h15

Service de néonatalogie - Hôpital de Bois-Colombe (92)

Une Peugeot 106 verte se gara dans une place de parking dédiée aux « visiteurs », à quelques centaines de mètres de l’entrée principale de l’hôpital. Comment Babacar pouvait-il encore utiliser une telle voiture ? Jules s’en extirpa, et pressa le bouton sur la clef, le froid s’empressant de déposer sa morsure sur sa main.

Devant le juriste, un imposant bloc de béton composé de plusieurs bâtisses. Jules savait qu’il allait se perdre dans ce labyrinthe fait d’ailes, d’étages, d’escaliers et de passerelles en pagaille. Il n’avait jamais eu le sens de l’orientation dans de telles structures.

Sur le parking, quelques voitures ici et là appartenant pour la plupart à des patients allongés sur un lit, rongés par un mal. L’hôpital était bien calme, mais l’agitation ne tarderait pas à l’animer. Jules le savait, il lui fallait agir avec rapidité.

Son petit carnet en main, il feuilleta les pages jusqu’à trouver les informations qu’il avait noté tard dans la nuit. Ses yeux le piquaient et il avait baillé pas moins de cinq fois en une demie-heure. Son cerveau n’arrivait pas à se mettre en ordre de bataille, trop peu de sommeil pour un volume considérable d’informations à traiter, mais peu importait.

Le personnel soignant de jour était en train de prendre la relève, une aubaine pour croiser et discuter avec la femme que lui avait indiqué Églantine. Il espérait simplement qu’elle ne soit pas membre de l’équipe de nuit. Le sujet à aborder semblait sensible, mieux valait-il ne pas échanger avec une personne éreintée par le rythme d’une garde.

À l’accueil, une femme d’une quarantaine d’années, le visage frais et souriant.

- Bonjour madame, j’aimerai me rendre au service de néo…

- Néonatalogie. Bâtiment C, aile ouest, 4ème étage. Ascenseur au fond du couloir, après, il faut suivre les panneaux pour vous orienter.

Le ton fut très sec, le sourire joyeux avait momentanément disparu. Visiblement, il la dérangeait de bon matin et elle n’appréciait guère être sollicitée aussi tôt. Jules fit un signe de la tête et s’éloigna les yeux fixés vers le comptoir de peur qu’elle ne se venge.

Un plan de la structure était affiché à l’entrée du couloir. Jules nota quelques repères dans son carnet pour parvenir aux portes du service. Malgré toute sa bonne volonté, il eut besoin d’aborder deux patients et un interne pour se remettre sur le bon chemin et enfin parvenir à la néonatalogie.

Dans le couloirs, deux femmes préparaient un chariot rempli de biberons dans des chauffeuses. Une autre dépassa Jules puis fit volte-face, l’air interrogateur.

- Vous êtes le papa de la nouvelle et belle petite Camélia ?

- Euh… Non.

La blouse blanche croisa ses bras et dévisagea le visiteur après un réajustement de ses lunettes. Que pouvait bien faire cet individu ici de si bonne heure ? Encore un patient de l’aile psychiatrique qui se baladait dans les couloirs…

- Je suis venu voir une de vos collègues, Marie-Aline. C’est une situation un peu compliqué, je ne voudrai pas trop m’étendre avec tout le monde

L’air un peu gêné de Jules opéra sans aucune résistance. L’infirmière s’éloigna et tapota sur l’épaule d’une jeune femme, la trentaine fraîchement dépassée. Les deux l’observèrent alors que l’une chuchotait à l’oreille de l’autre. Jules se sentit comme mis à nu.

La dénommée Marie-Aline s’avança avec un pas dynamique, un grand sourire pour accueillir son visiteur. Elle fit un mouvement de la main à Jules pour la suivre dans une pièce à l’écart. La salle de repos était calme, pas une tasse sur la table.

L’infirmière proposa un rafraîchissement que Jules refusa poliment. Il s’installa sur une chaise en plastique blanc et posa son carnet sur la table.

- Que puis-je faire pour vous aider, monsieur ?

- Une amie a accouché dans votre service il y a une quinzaine de jours. Et je m’interrogeais parce qu’elle a un comportement étrange depuis. Rien de bien grave, mais elle m’a tenu des propos qui ont créé chez moi un sentiment d’inquiétude. Elle m’a parlé de vous, alors je me suis dit que…

- Je pourrai vous être d’un secours. Il est vrai que je suis assez bavarde et que j’adore échanger avec les futures mamans. Je suis une confidente quelque part.

Jules fit défiler les pages de son carnet avec l’index et s’arrêta sur l’information qu’il cherchait. Il y inscrivit un complément avant de brusquement refermer le calepin. L’infirmière s’amusa de le voir ainsi agir. Un drôle de phénomène pour commencer une longue journée qui ne se terminerait qu’à minuit.

- Dites-moi s’en un peu plus, suggéra l’aide-soignante.

Le visiteur laissa perdurer quelques secondes de plus le silence. Il voulait que sa révélation bouleverse la femme à un tel point qu’elle n’aurait aucune chance de lui mentir. Il prit une profonde inspiration, releva la tête et fixa Marie-Aline droit dans les yeux.

- Mon amie s’appelle Vaunet, Églantine Vaunet.

Jules observa d’un regard en biais la réaction de l’infirmière. Son visage se décomposa et ses bras se croisèrent immédiatement, signe d’une protection inconsciente face à une menace. La femme s’aperçut de son geste et tenta de reprendre le contrôle, mais le piège s’était déjà refermé.

- Elle a perdu son bébé suite à l’accouchement. Cela vous parle-t-il ou voulez-vous d’autres précisions ?

Aucun doute, l’infirmière avait compris que la conversation prenait une tournure inattendue.

- J’ai été très affectée par les évènements, concéda Maire-Aline. La première fois que j’assistais à la mort d’un bébé venant de naître. Je suis restée auprès d’elle du début de l’accouchement jusqu’à ce qu’elle s’endorme d’épuisement après cette terrible nouvelle. J’ai essayé de garder du recul, être objective, mais à l’intérieur de moi, j’ai senti une intense fracture.

- Églantine a-t-elle pu voir l’enfant ?

- Je n’ai pas le souvenir que le corps sans vie lui ait été présenté.

- Mon amie n’aurait-elle pu dû le voir ?

- Si… Mais à vrai dire, cela aurait été probablement bien trop dur à vivre.

- Hum… Étrange, vraiment… Juste, de vous à moi, êtes-vous certaine que le nourrisson était décédé ?

La question interpella l’aide-soignante. Elle se redressa avec vivacité, comme piquée au vif par l’interrogation déplacée du visiteur. Comment pouvait-il sous-entendre qu’il y aurait eu une erreur médicale dans une telle situation ? Elle secoua légèrement la tête et défendit ses collègues.

- Vous n’avez pas le droit de remettre en cause le diagnostic de professionnels et porter des accusations sans la moindre preuve. Le docteur Fraouzi et toute son équipe ont pu constater l’absence de signes vitaux chez le nouveau-né.

Le vent tournait. La fenêtre de manoeuvre de Jules se refermait bien plus vite qu’espéré. Il devait tenter de glaner d’autres informations bien pour alimenter sa réflexion et se faire un avis plus concret sur la situation vécue par son ex-copine.

- Ce qui retient mon attention, c’est qu’Églantine m’a dit ne pas être la seule à avoir perdu son enfant dans ces conditions. Plus troublant, ses connaissances ont donné la vie dans votre service de néonatalogie. Pure coïncidence, peut-être ?

- Vos propos sont honteux ! s’exclama la femme en blouse blanche. Cette patiente est simplement sous le choc et cherche toute les explications possibles pour s’accrocher à un espoir inexistant.

- Sûrement, mais vous ne répondez pas.

L’infirmière bondit de sa chaise et se dirigea vers la porte de la salle de repos. Sa main attrapa la poignée qu’elle abaissa avec colère. Le battant dessina un quart de tour à toute vitesse. Son bras se raidit et son index pointa la sortie.

La conversation n’irait pas plus loin.

- Nous nous reverrons, et plus rapidement que vous ne le pensez.

- Pauvre imbécile. Partez ou j’appelle la sécurité.

Jules, le sourire aux lèvres, franchit la double-porte de la néonatalogie sans se retourner. Il passa devant les ascenseurs et emprunta les escaliers pour rejoindre les étages inférieurs.

La réaction de la sage-femme s’était avérée très instructive. Elle n’avait pas hésité à utiliser la fuite pour esquiver un sujet considéré comme tabou. Son agressivité cachait une profonde gêne face aux faits rapportés par Jules. Il saisit son stylo, ouvrit son carnet et nota cette première impression.

Un autre détail chiffonna l’esprit du juriste. Églantine était devenue « une patiente » une fois l’argument d’une multitude de cas avancé. Cette femme protégeait une personne, elle savait quelque chose d’essentiel, mais il n’avait pas eu le temps de la mener à la confidence ultime.

Son calepin rempli, Jules s’arrêta dans les marches pour regarder à travers une vitre. Le soleil perçait ici et là un flux continu de nuages pour dispenser sa chaleur. La vie, un bien si précieux que l’Homme n’apprécierait jamais à sa juste valeur, rongeait par sa nature destructrice. Une fois au calme, il se promit d’appeler Alice.

Mais en attendant, un sacré mystère se logeait entre ces murs et Jules avait bien l’intention de mettre le doigt dessus.

Annotations

Vous aimez lire QuentinSt ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0