Chapitre 11

7 minutes de lecture

Vendredi 29 novembre 2019 - 09h00

Lieu inconnu


Deux néons libérèrent leur lumière lorsque le médecin activa l’interrupteur. La pièce était encore vide, mais il aimait prendre ses marques dans ce bloc opératoire. Personne d’autre n’avait l’autorisation de procéder à une intervention entre ces quatre murs. Il était dans son bloc, son monde.

D’ici une petite demi-heure, il exercerait son art, ce pourquoi il était venu au monde. Il en avait la profonde conviction depuis qu’il avait croisé la route de son mentor. Il lui avait ouvert les yeux tant sur le monde que sur son véritable rôle.

Il errait dans ses pensées, ses mains répétant une ultime fois la chorégraphie à exécuter. Il sentait monter en lui une vague de dopamine, un avant goût du plaisir qu’il ressentirait au moment de pratiquer la première incision au scalpel.

On toqua à la porte. Le chirurgien laissa une grimace s’échapper puis jeta un bref coup d’oeil pour identifier la petite silhouette : son assistante. Il l’invita à rentrer d’un simple geste de la main et lui tint le battant pour éviter qu’il ne claque en se refermant.

Le chariot rempli d’équipements glissa sur le lino bleu pour s’arrêter près de la table d’opération.

La pauvre femme n’avait aucune idée de ce qu’il se tramait dans ce bloc à l’écart du reste. Elle n’avait jamais abordé le sujet. Avait-elle conscience de l’illégalité de la situation ? Probablement. Mais elle obéissait aveuglément aux ordres et c’est ainsi qu’elle conservait ce poste bien plus grassement rémunéré.

Sous le regard attentif du médecin, elle plaça chaque instrument au millimètre près sur une plateforme élevée à un mètre trente de hauteur. Le chirurgien n’avait ainsi aucun effort à faire, pas même besoin de détourner le regard.

Une autre présence revêtue de sa blouse blanche ouverte apparut dans le cadre de la porte. La poignée de main fut virile, comme à chaque fois que le responsable du projet descendait. Tous deux nourrissaient l’espoir qu’enfin ils trouveraient la solution pour contrer ce virus. Ils en étaient si proche…

- La compatibilité ?

- Plus de quatre vingt dix-huit pour-cent. Une première, me semble-t-il.

- C’est exact. Mais vous savez tout comme moi que la science repose sur des différences allant parfois jusqu’au millième d’un seul pour-cent. L’ADN et nos sept milliards de presque semblables en sont le parfait exemple.

Les mots du professeur étaient toujours d’une justesse adéquate. La femme poussa le chariot hors de la pièce une fois l’installation terminée et laissa les deux scientifiques seuls. Ils pouvaient enfin aborder le coeur de leur entretien pré-opératoire.

- Les investisseurs attendent des résultats. Il nous faut accélérer la cadence au plus tôt.

- J’en ai bien conscience. Mais il est compliqué de trouver un nourrisson qui possède les caractéristiques génétiques que vous avez identifiées.

- L’argument n’est pas audible.

- Je…

- Silence, ordonna l’homme en blouse.

Alors que l’un bombait le torse, l’autre inclina la tête. Mieux valait-il ne pas discuter. S’il possédait une marge de manoeuvre, il savait aussi que d’autres avaient subi le plus terrible des châtiments pour bien moins. Jouer avec la patience du patron n’était que pure folie.

- Il est temps de se remettre au travail. La matière prélevée, nous la ferons expédier immédiatement. Veillez à ce que tout soit parfaitement exploitable. Je sens la chance nous sourire cette fois-ci.

- Entendu.

Le médecin enfila sa tenue dans une pièce latérale et stérile. Dix minutes de préparation qu’il effectua avec le plus grand soin. Cette seconde peau ajustée, il pressa un bouton sur un tableau de commande. Un néon rouge se mit à clignoter. Un gaz se répandit dans le bloc pendant cinq minutes avant d’être aspiré à grande vitesse par la ventilation.

La lumière rouge se figea et tourna au vert.

Sur la table d’opération, le corps endormi d’un bébé. Il avait aux alentours de six semaines à présent, l’âge parfait. Les cellules souches avaient commencé leur travail et s’activaient dans chaque recoin du petit être. Dans un profond sommeil, les ponctions ne lui feraient aucun mal. Mais la suite…

Le visage apaisé du nourrisson aurait presque pu troubler l’âme du médecin, mais il ferma toutes les portes à ses émotions et se plongea dans sa bulle. Il ne devait pas se laisser déstabiliser, être ébranlé par un instant de conscience, d’humanité. Heureusement, les adultes ne lui faisaient pas le même effet, il arrivait à garder toute la distance nécessaire.

Dans la seringue qu’il prit en main, un liquide à peine teinté, subtilement bleuté. Seul un oeil aiguisé pouvait détecter la différence avec l’eau que consommait tous ces idiots au quotidien. Bientôt, le grand tri serait fait, mais pour cela, il fallait trouver la formule du vaccin.

Le pli du bras désinfecté, l’homme pressa le piston et propulsa la solution mortelle dans la veine du bébé. Il déposa l’ustensile et compta machinalement. Un, deux, trois, quatre… À la vingtième seconde, les constantes du petit être s’emballèrent légèrement avant de revenir à la normale.

Incroyable… Le nourrisson d’un peu plus d’un mois et demi s’en était sorti indemne là où un adulte n’aurait eu aucune chance d’échapper au tendre baiser de la mort. Une première série de ponctions s’imposait pour étudier l’état des organes vitaux. Comprendre, encore et toujours.

Les prélèvements s’enchainèrent. Un peu de sang pour commencer, puis le liquide céphalo-rachidien dans la moelle épinière et le cerveau. Quelques millilitres de liquide pleural, péritonéal et péricardique, autour des poumons, des intestins et du coeur pour compléter la collection.

Une étiquette sur chacun des flacons pour les baptiser et identifier qu’il s’agissait de la première injection du virus. Le stylo glissa sur un papier rose. Une croix ici, quelques renseignements là. Plus il y aurait de précisions et plus il serait aisé de peaufiner la solution miracle.

Le scientifique vérifia l’état du bébé. Rien à signaler, un solide gaillard le petit. Sans plus attendre, il s’empara d’une nouvelle seringue, tira un peu du contenu dans la fiole et procéda à une injection. Une dose avec la même quantité, le professeur avait insisté sur ce point.

Une nouveau décompte. Un, deux, trois, quatre… Les constantes s’emballèrent après treize secondes. Le moniteur bipa de plus en plus vite. Le corps du bébé s’anima, les mouvements d’un organisme en pleine lutte contre un envahisseur. Le médecin continuait son décompte mental, impassible, quand enfin la crise s’acheva.

- Prodigieux ! s’exclama l’homme.

Le tout jeune enfant avait une nouvelle fois survécu à la violence mortelle du virus. Une avancée inespérée qui ferait l’objet de toutes les attentions. À n’en pas douter, les expériences en laboratoire sur les prélèvements apporteraient le chaînon manquant.

Le jeu de fiole se remplit dans le même ordre. Le geste précis, la concentration sans faille. Sur les étiquette, le chiffre deux remplaça le un. Les flacons furent entreposés dans un caisson rafraîchissant auprès de la première série.

Le médecin s’approcha de la table surélevée et ôta le bouchon d’une troisième fiole du virus. L’aiguille transperça la protection en caoutchouc et trempa dans le liquide. Le contenant se vida de sa substance. Son arme en main, l’homme pointa le dard de fer vers sa victime et la piqua sans plus attendre.

Le fléau lâché dans le système sanguin du bébé, le praticien posa l’outil et entama son décompte. Un, deux, trois… Il n’eut pas le temps d’arriver à quatre que le moniteur émit un son aigu et continu. Cette-fois-ci, le sujet B-86 n’avait pas pu lutter. La mort l’avait emporté.

Stylo à la main, le professionnel consigna ses observations avec minutie sur la feuille. Il arrêta l’équipement destiné aux constantes vitales, débrancha le nourrisson et s’accorda un instant de répit. Un verre d’eau pour s’hydrater et quelques respirations pour évacuer le stress et l’excitation.

Le moment qu’il attendait le plus arrivait enfin. Il attrapa un scalpel et pratiqua une première incision tout le long du torse. Il y eut plusieurs craquements. Le sang coula.

Après plus d’une heure, le médecin quitta la pièce. Prélever des organes étaient un plaisir sans équivalent, un instant de jouissance si intense. Défaire ce que le divin avait construit, un pouvoir sans commune mesure. Il adorait le faire, encore plus chez des sujets adultes.

Mais en bon samaritain, il accordait à ses victimes le droit à une esthétique pour le voyage vers l’au-delà et le jugement dernier. Des points de grande qualité avec un fil spécial pour fermer les entailles nécessaire pour effectuer les prélèvements.

Sa tenue retirée et placée dans une poubelle, il jeta un regard sur les glacières médicales. Ces organes étaient la clef, il le sentait eu fond de lui. Ils allaient enfin percer le secret de ce virus. Et une fois cela fait, le grand nettoyage serait mis en oeuvre.

Le médecin sortit dans le couloir.

- Les différents prélèvements sont à expédier à la même adresse que d’habitude. Veillez simplement à ce qu’ils arrivent un peu plus tôt.

- Oui, monsieur.

- Prévenez-moi dès qu’ils auront été remis, personne d’autre. Je peux compter sur votre discrétion.

- Bien sûr, monsieur.

Le scientifique progressa dans le couloir d’un pas fatigué. Ce genre d’intervention lui bouffait littéralement tout son influx nerveux. Ses yeux se fermaient seuls, son corps lui réclamait une coupure de toute urgence. Il avait besoin de respirer un peu d’air frais et de se changer les idées. Il irait faire un compte rendu au professeur une fois s’être restauré et reposé quelques heures.

L’homme de main toussa légèrement dans sa main pour capter l’attention du médecin.

- Et pour la dépouille du bébé, quelles sont les consignes ?

- Comme pour toutes les précédentes.

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