Chapitre 8

5 minutes de lecture

Jeudi 28 novembre 2019 - 23h00

Appartement de Jules - Châtillon (92)


La ligne treize du métro parisien était encore bien pleine à une heure si tardive. Aucun évènement n’était organisé pourtant à Montparnasse ou dans la capitale, Jules avait pris soin de se renseigner. Il détestait emprunter cette rame, toujours saturée, mais il n’avait pas eu le choix pour se rendre à son rendez-vous.

L’air était humide, le ciel chargé de nuages menaçants. Une bonne pluie finirait par tomber dans la nuit, Jules n’en doutait pas un seul instant. Lui serait au fond de son lit, enveloppé dans la chaleur de sa couverture. Rien que d’y penser le remplissait de joie.

À la sortie de la station, un homme continuait de vendre ses barquettes de châtaignes ou de maïs chauds. Au fond du bidon en fer, quelques braises de charbon de bois distillaient un filet de chaleur que le vendeur de fortune tentait d’attraper avec la paume de ses mains.

Jules avança dans le froid, les mains dans ses poches. Ses doigts trituraient machinalement les clefs de l’appartement entre deux papiers à moitié froissés. Ses pensées l’absorbaient. Le retour d’une ex-copine après douze ans et cette histoire de bébé mort-né… Comment encaisser ce récit d’une violence inouïe ?

Il s’arrête un instant en bas de l’immeuble. Alice était un véritable détecteur, impossible de lui cacher quoi que ce soit. Son visage devait être encore frappé du choc qu’il n’avait pas eu le temps de digérer. Elle comprendrait immédiatement qu’il n’avait pas tenu sa promesse, que l’appel du mystère l’avait fait succomber.

Les trois escaliers parurent insurmontables. Jules avait les jambes lourdes d’appréhension, de stress. Il enfonça la clef, vit tourner le verrou et poussa le battant pour entrer dans son habitat.

- Monsieur Jules a décidé de rentrer au bercail. Ta poule ne t’a pas convaincu de rester ?

Le ton du discours n’annonçait rien de joyeux. Jules déposa son manteau sur la chaise dans l’entrée et s’avança d’un pas pour évaluer la situation.

Sur la table basse, un verre presque vide et une bouteille de rouge bien entamée. Alice avait la mauvaise habitude de noyer son chagrin dans le vin. Elle n’avait pas décidé de faire autrement cette fois-ci. Mais un autre détail attira l’oeil du Jules : son ordinateur.

- Un rendez-vous rien qu’avec ton ex.


- Je savais bien que tu réagirais ainsi, que tu m’interdirais d’y aller. Et crois-moi, je n’avais pas idée que…

- Je m’en fous, Jules. JE M’EN FOUS !

Alice attrapa son verre qu’elle lança par terre. Son regard se planta dans celui de son copain. Les larmes avaient fait couler son mascara le long de ses pommettes. Elle se sentait trahi par celui qu’elle aimait. Un couteau de poignard dans le dos, une marque significative.

- Églantine Vaunet… Je lui ferai la peau si je la croise.

- Arrête-toi !

Le ton utilisé par Jules venait de changer. Il était excédé par la jalousie de sa compagne, sa nécessité de toujours tout contrôler à outrance. Leur relation s’était dégradée depuis son emménagement et il se sentait étouffé par ce comportement.

- Tu n’avais pas le droit d’entrer dans mon ordinateur et d’aller lire mes mails, reprit-il.

- J’ai tous les droits, surtout quand tu manigances ainsi dans mon dos.

- Tu deviens paranoïaque, Alice. Si Églantine m’a contacté, c’est qu’elle vit sûrement l’une des pires situations qu’il puisse exister. Elle a perdu son nourrisson le jour de l’accouchement. Elle s’interroge sur ce qu’il s’est passé.

- Voilà que tu la défends maintenant…

Les mots de trop pour Jules. Alice n’était pas ouverte à la discussion, convaincue d’avoir tout compris sans même s’intéresser à la situation. Lui demander de s’interroger sur son propre comportement… Impossible après plus d’une demie bouteille de vin rouge.

L’homme traversa la pièce principale d’un pas déterminé. Il en profita pour récupérer son ordinateur et le ranger dans sa pochette de protection. Dans la chambre, il attrapa un sac de sport et y enfourna plusieurs changes, quelques affaires de toilettes et des documents.

Son sac prêt, il ouvrit la porte de la salle à manger. Alice n’avait pas bouger d’un centimètre. Probablement camperait-elle sur le canapé jusqu’à tomber de fatigue.

- Où vas-tu ?

- Je n’ai pas envie de rester ici. Alice, il va falloir que tu comprennes que je ne peux pas vivre avec une personne qui m’empêche d’avoir ma part de vie privée et un peu de liberté.

Jules posa le bagage devant la porte d’entrée. Il enfila sa veste, sans oublier une écharpe et sa paire de gants favorite.

- Ne pars pas, lui intima le brune aux yeux de glace.

- J’ai besoin de réfléchir, au calme. Si Églantine a besoin d’aide, je lui apporterai. Comme à n’importe quelle autre personne. Il n’y aura rien de plus entre elle et moi.

- Je t’ai dit de ne pas partir, Jules. Si tu quittes cet appartement, tu ne me reverras plus. Tu pourras retourner roucouler avec cette connasse.

- Alice !

Les deux amoureux se foudroyèrent. La tension était montée de plusieurs crans en un instant.

- Je ne rigole pas, c’est ton enquête et cette pauvre fille, ou bien moi.

La voix d’Alice était plus agressive. Elle saturait, prête à déverser sur son âme soeur une pluie de reproches. Jules ne se sentait pas de taille à affronter cette tempête, mieux valait-il fuir pour le moment et laisser sa moitié se calmer.

Jules opta

- Dors bien et ressaisis-toi, s’il te plaît.

Jules ouvrit la porte et disparut dans le couloir. La décision la plus dure qu’il eut à prendre depuis un bon moment. Son coeur tapait à plein régime contre sa cage thoracique, il le sentait se serrait un peu plus à chaque battement.

Il y eut le bruit d’une bouteille se brisant, quelques pleurs de l’autre côté de la porte. Mais Jules décida de ne pas craquer. Il en allait de l’avenir de son couple.

Il tenta de contenir ses émotions, mais une larme s’échappa de sa prison de fortune. Au plus profond de lui, il espérait que sa tendre aurait retrouvé la raison d’ici demain.

En bas de l’immeuble, Jules prit une ondé. Dans sa précipitation, il n’avait pas pensé à récupérer un parapluie. Une journée étrange et malchanceuse du début jusqu’à la fin. Il composa le numéro de Babacar et n’eut pas longtemps à attendre pour entendre la voix réconfortante de son ami.

Jules ne s’étendit pas sur les détails, il demanda simplement l’hospitalité à son binôme qui ne lui refusa pas. Il avait tellement hâte de pouvoir partager toutes ses nouvelles anecdotes… L’occasion était trop belle pour la manquer.

Minuit s’approchait à grand pas. Jules s’engagea dans l’avenue principale de Châtillon pour regagner le métro. Il avait besoin de se changer les idées, se concentrer sur les faits, rien de plus. Tout oublier, laisser son instinct prendre le dessus, parcourir ses veines et l’enivrer pour plonger au coeur d’un sombre mystère.

La chasse était ouverte.

Annotations

Vous aimez lire QuentinSt ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0