Prologue

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Le bateau de fortune avait quitté la côte un peu moins d'une heure auparavant.

L'astre du feu lentement englouti par l'horizon infini laissait place à une mer d'étoiles submergeant un ciel dégagé. Mère la Lune veillait de son œil étincelant sur ces aventuriers qui avaient tout abandonné en quête de renouveau, d'un ultime espoir. L’échec leur était interdit.

L'embarcation tanguait en gré des flots. Sans moteur, le rafiot peinait à progresser entre des vagues propulsées par un vent de plus en plus colérique. Plusieurs fois, le navire avait manqué de chavirer. La peur s'était invitée sur les traits de leur visage.

Vie et Mort se battaient pour prendre sous leur bras ces âmes errantes. Une seule l'emporterait.

Chacun priait dans son coin, mais tous continuaient de s'accrocher à ce futur qu'ils avaient imaginé à mainte reprise. Peu importait leurs différences ou leurs origines, ils devaient rester ensemble et affronter chaque épreuve que leur divinité mettrait sur leur chemin.

Un éclair serpenta au loin. Son grondement résonna dans les têtes telle la promesse d'un enfer à venir. La traversée pour rejoindre cette terre promise tant rêvée s'annonçait bien plus chaotique que les dires du passeur.

Dans la barque, tous s'échangèrent des regards inquiets lorsque la foudre déchira trois fois d’affilée la noirceur de la nuit. Une tempête divine… Ils avaient instantanément compris que certains ne passeraient pas la nuit. Un terrible prix à payer.

À l’avant, un homme se dressa sur ses jambes pour observer l’horizon. Aucune terre en vue alors que les vagues se levaient à quelques kilomètres à peine. Il s’assit auprès des siens et les serra dans ses bras. Peut-être ses prières seraient-elles entendues.

Ici et là, des enfants, des femmes, des vieux dans l’attente d’un miracle qui ne viendrait pas. Le maigre espoir sur lequel il avait parié fuyait à présent. Tous en étaient conscience et pourtant, il ne cessaient de croire.

La torture continua, à peine deux heures s’étaient écoulées. Les coeurs bondissaient à chaque remous, les mains s’agrippaient avec force au bois rongé par le temps. Les hommes veillaient alors que les autres tentaient de trouver une position propice au sommeil, s’il était possible de le trouver.

Le tonnerre se manifesta avec violence, la foudre les aveugla. Le vent se leva en une fraction de seconde. Quand ils rouvrirent les yeux, ils n’eurent qu’un instant avant que la mer ne les jette par dessus bord.

Le rafiot vidé de sa substance explosa en morceaux sous les assauts répétés de la mer. Des murs d’eau s’écroulant les uns après les autres sur des innocents sans défense. Certains tentèrent de rejoindre un bout de planche, chahutés, les mouvements de nages approximatifs.

Un cri d’une femme dont l’écho se perdit. Des hurlement d’enfants très vite tus part les profondeurs. Les éléments se déchaînaient. La mort les attendaient et les prendraient tous, son appétit insatiable. Lui aussi ferait partie du lot.

Se maintenir à la surface relevait de l’impossible, chaque effort était anéanti par la vague suivante. Ce liquide d’un froid inhumain l’englobait, le paralysait. Pourtant, il devait se battre. Quelques battements des jambes. La lune était déformée par cette surface aqueuse en perpétuel mouvement, mais il s’en rapprochait, il le savait.

Sa tête dénicha la surface. Ses poumons quémandèrent une goulée d’air qu’il ne réussit qu’à prendre à moitié. L’eau salée lui brûla le nez. À peine le temps de se sentir vivant qu’une nouvelle vague l’immergeait déjà. La lutte se réitéra encore et encore.

S’accrocher à la vie… à l’espoir…

Quand la mer l’entraîna pour la troisième vers ses abysses, elle crut enfin avoir gagné la bataille. Le corps se laissa lentement aller, trop faible pour résister à cet adversaire qu’il n’aurait jamais dû défier. Jamais il ne reverrait sa femme et ses deux enfants. Il avait tenter « l’épreuve du Diable », baptisée ainsi les anciens. Une folie pour offrir à sa famille un avenir.

Le risque de trop.

Les dernières bulles d’oxygène s’échappaient lentement de sa bouche. Ses poumons se rempliraient d’eau l’instant d’après, lorsque ses réflexes de survie se déclencheraient. Quelques inspirations rapides et sa noyade lui ôterait la vie après trois longues et interminables minutes.

Son corps sombrerait alors.

Une force le tira dans les airs avec violence. Le froid lui mordit la peau. Ses yeux s’ouvrirent un instant avant de se refermer. Il se sentait trimballé. Rêvait-il ou bien son heure avait-elle été miraculeusement rachetée ? Il n’aurait su le dire sur l’instant. Des bruits par dizaines lui bourdonnaient dans les oreilles. Le sol, plus dur que jamais. Une chaude couverture l’entourait, les mains d’un homme pour l’aider à se redresser.

Ses membres tremblants lui permirent de rejoindre d’autres survivants. Ils se félicitèrent à coup d’accolade et de souffles remplis de soulagement. À côté, une femme hurlait sa douleur. Son frère n’avait pas eu leur chance. Cette fois, il avait eu une chance divine, mais qu’en serait-il la prochaine fois ?

Il haleta un homme sur le pont d’un geste de la main. Les projecteurs du navire lui masquaient un peu la vue, mais il était certain qu’il s’agissait de son saveur. Grand, costaud et les cheveux grisonnants, pas de doute. Il se rapprocha et adressa une tape amicale sur l’épaule du matelot, accompagné d’une pléiades des remerciements.

Le marin lui fit un bref sourire et lui tendit un gilet de sauvetage avant de s’éloigner.

À la première occasion, il se glissa dans les cabines et s’isola à la proue du navire pour éviter le brouillage des ondes. Il sortit son mobile et composa un numéro griffonné sur un morceau de papier trempé. Il y eut deux sonneries avant que l’interlocuteur ne daigne lui répondre.

- C’est bon, j’ai ce qu’il vous faut.

- Bien.

- Nous serons à quai en début de matinée, sur les coups de huit heures, peut-être la demie.

Le voix ne se manifesta pas tout de suite. Les grésillements sur la lignes s’intensifièrent, mais la communication ne fut pas rompue.

- Combien ?

- Une bonne douzaine, sûrement plus. Fraîchement pêchés dans le détroit de Gibraltar. Les fous dérivaient vers l’océan Atlantique. Une aubaine que l’on soit passé par là.

Un souffle d’excitation fit frémir le colosse des mers.

- Je les prends tous, conclut l’inconnu.

Sans un mot de plus, il raccrocha.

Le marin regagna le pont en toute discrétion. Le capitaine jurait par tous les saints pour que cesse cette tempête. Il beuglait ici et là ses ordres pour que son bâtiment s’en sorte indemne. Navigateur chevronné, il en avait vu passer des pires, mais celle-ci n’était pas des plus tendres à affronter.

- Abrite les passagers à l’intérieur, mon gars ! Je les veux vivants et à bon port !

- Oui, mon cap’tain.

L’homme s’exécuta sans broncher.

Mais le sourire malsain qui se dessina l’instant d’après sur son visage ne laissait aucun doute sur le funeste sort qu’il leur réservait une fois la terre ferme regagnée.

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