Chapitre 1

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Jeudi 28 novembre 2019 - 04h23

Le téléphone sonna bien trop tôt. Ce bruit strident et répétitif qui n’en finit qu’après la pression d’un bouton. Le premier appel fut loupé, comme à chaque fois. Qui donc avait pu mettre au poing une telle arme de torture ? Le capitaine Dupuis aurait aimé que cet homme ne naisse jamais.

L’objet se manifesta encore. L’homme se résigna à tendre le bras pour s’emparer du mobile.

- Dupuis, j’écoute.

Ses yeux s’ouvrirent tant bien que mal. La fatigue de la veille n’était pas encore évacuée et elle pèserait sur cette nouvelle journée à rallonge. Une de plus. Les traits rouges sur le cadrant du réveil furent à peu près clair : quatre heures vingt-trois du matin. À peine trois petites heures de sommeil.

Au bout du fil, une voix rauque, directive et pleine d’énergie. Le patron semblait déjà sur les lieux de ce qui s’annonçait comme un dossier de plus à traiter en un minimum de temps. Les sirènes et l’agitation environnante laissaient supposer que l’affaire ne serait pas des plus communes, bien au contraire.

Charles se redressa sur son lit, attrapa un morceau de papier sur la table de nuit et griffonna les instructions.

- Dupuis, ne trainez pas en route. Les vautours ne sont pas encore au courant, il faut agir vite.

- Oui, Commissaire. Je me prépare au plus vite, j’attrape Delfino au vol et nous vous rejoignons dans la foulée. Café noir, sans sucre ?

- Efficace, comme toujours, se félicita Marone.

La chambre replongea dans le silence d’une fin de nuit à l’agitation certaine.

La couette rabattue, le flic saisit son pantalon sur la chaise et l’enfila d’une traite. Une chemise saumon dans la main gauche, une paire de chaussette à moitié dépliée, il n’eut besoin que de cinq minutes pour se préparer. Son cerveau lui réclama une dose de carburant qu’il ne put lui refuser. La tasse tourna dans le micro-ondes alors qu’il finissait de lacer ses baskets avachi dans le canapé acheté d’occasion.

Le tintement de l’appareil électroménager le ramena sur terre. Cette odeur d’un bon café lui mit du baume au coeur. Un maigre plaisir avant d’affronter le Mal, mais il s’en contenterait.

Les clefs de la voiture dans la poche, la carte tricolore et le Sig-Sauer SP 2O22 bien au chaud dans son Holster, Dupuis referma la porte de son intimité et dévala les escaliers pour gagner la rue.

Le froid d’une fin novembre enveloppa le capitaine. Il recroquevilla ses épaules et tenta de protéger son menton et sa bouche dans l’encolure de sa veste. L’adversaire était coriace et continua son infiltration.

Par endroit, des points lumineux. Un semblant de vie contrecarrant des trottoirs déserts et la route tout autant. Un calme qui ne durerait qu’une poignée de minutes avant que les premiers hommes ne regagnent la rue pour animer le quatorzième arrondissement.

La portière claqua alors que Charles allumait sa Dacia Duster marron. Deux yeux illuminèrent le véhicule de devant. Le moteur manifesta son mécontentement d’être mit à contribution si tôt, mais il finit par coopérer. Un créneau et les roues tournèrent sur l’asphalte à toute vitesse.

Sur le périphérique, quelques camions profitant de la nuit pour avancer dans leur interminable trajet avant le levé du soleil, une voiture de parfois en contresens. Dupuis actionna le clignotant et sortie à la porte d’Ivry. Encore un kilomètre à travers la ville et il tourna dans une rue exiguë.

Sur le bord du trottoir, une femme d’un mètre soixante-neuf, jean et doudoune bleus, attendait avec impatience. Lorsque le véhicule s’immobilisa à sa hauteur, elle tira la portière et s’engouffra en un éclair. Ana Delfino s’installa sur le siège passager avant et frotta ses mains après avoir soufflé dessus. Machinalement, elle augmenta le chauffage.

- As-tu plus d’info ?

- Marone n’a rien laissé filtré, c’est très probablement du lourd.

- Dans ce cas, réveille-moi sur place, tu seras un délice.

La brune attacha sa ceinture de sécurité et se cala du mieux qu’elle le put pour gratter un précieux instant de sommeil. Ses yeux se fermèrent. Dupuis lui lança un bref regard et démarra. Le GPS indiquait une bonne demi-heure de route pour rallier l’adresse fournie par le commissaire, mieux valait-il ne pas perdre plus de temps.

Les kilomètres de bitume entourés de logements et autres bâtiments imposants s’effacèrent à mi-parcours pour la verdure et les champs à perte de vue. Un changement radical de paysage auquel aucun citadin ne parvenait à s’habituer.

Dupuis pressa le bouton de la radio et baissa le volume. L’animateur débattait avec ses invités sur la grève nationale à venir début décembre. L’un avertissait qu’elle serait sans précédent alors que l’autre tentait de minimiser son impact sur l’activité de la région parisienne. Une rediffusion que le chauffeur préféra écourter.

La voix du GPS s’éleva dans l’habitacle. La commune de Boissy-Saint-Léger et la forêt Domaniale de Notre Dame n’étaient plus très loin. Le capitaine connaissait mal cette partie du département du Val-de-Marne, les hommes du 36 Quai des Orfèvres n’étant sollicités qu’en cas de grande difficulté. Le Duster s’engagea dans un sous-bois.

Les éclats bleus de gyrophares perçaient la nuit qui lentement se dissipait, les premières lueurs du jour à l’horizon. Marone fit un signe de la main aux deux gardes en faction. Dupuis et Delfino pénétrèrent le périmètre de sécurité et prirent en note les premières informations.

- Pour la faire courte, une bande de petits squatters a voulu se rendre dans son « repère » et y a découvert quatre corps sans vie. Le plus âgé a immédiatement appelé la police locale.

- À quoi doit-on s’attendre ?

- L’intérieur de la baraque est glaçant, mon petit Dupuis. Pas de sang ou quelque chose de ce type. Mais une étrange mise en scène.

Marone avala une gorgée de son café. Il avait la mine des mauvais jours, rien de bon. Son visage se distordit un peu plus dans une grimace dont il avait le secret à la seconde lampée.

- Les gars de l’IJ sont en train de passer la scène au peigne fin.

- Des éléments ? s’enquit Delfino.

- Aucun, et c’est bien là notre problème. Allez jeter un oeil par vous-mêmes, je rentre au bercail pour me changer et glaner un peu de repos. Charles, tu prends les commandes. On se fait un point à votre retour.

Le commissaire tapota l’épaule de son subordonné, salua les équipes sur place et quitta la scène de crime sans un mot de plus.

La maison était rongée par le temps. Une façade fissurée, une toiture en morceaux. Un volet menaçait de tomber alors que les carreaux de la fenêtre avait disparu depuis bien longtemps. Personne ne pouvait vivre dans un tel endroit. La nature avait commencé à se réapproprier les lieux, mais la présence régulière des jeunes squatter l’empêchait d’agir à son gré.

Le chemin de terre avait été balisé par des spots pour le repérer dans les dernières noirceurs de la nuit. Une tente montée pour centraliser les prélèvements récoltées par les techniciens de l’Identité judiciaire, un autre pour interroger les quatre adolescents.

Dupuis s’approcha de la porte de la maison abandonnée. Dans le cadre, une femme dispersait l’excédant de la poudre dactyloscopique avec son pinceau. Elle appliqua un transfert d’empreinte digitale et le stocka dans une mallette avant de continuer son travail sur la poignée du battant.

- Après toi, Ana. Allons dans le salon.

Un long couloir délabré desservait sur la droite une cuisine insalubre et sur la gauche, une petite salle à manger. Les flashs crépitaient de toute part. Chacun oeuvrait pour quitter au plus vite cette baraque menaçant de céder à n’importe quel moment.

Au fond, une silhouette retint l’attention de Dupuis. Il s’approcha prudemment, sur ses gardes, la main prête à dégainer son arme. À pas de loup, il se déporta sur la droite du canapé et découvrit la scène de crime.

Un homme assit dans un canapé, immobile, le regard figé au loin. À ses côtés, une femme à moitié penchée sur lui, elle aussi les yeux ouverts et perdus dans le vague. Deux enfants, répartis de part et d’autre du couple pour compléter le tableau d’une famille parfaite, jusque dans la mort.

Dupuis nota ses premières impressions sans attendre sur son calepin. Vêtements neufs, mais présentant des traces de terre sur le bas du pantalon pour l’homme et sur les talons pour la femme. Les enfants avaient été portées, leurs habits toujours impeccables.

Une technicienne s’approcha des corps et pointa son appareil sur le visage de chaque corps. Une dernière photographie et elle laissa les deux enquêteurs poursuivre leurs constatations.

- A-t-on les identités de nos victimes ?

- Pas encore, répondit Delfino. Les collègues y travaillent, mais je pense que c’est peine perdue.

- Pourquoi ?

La flic fit un pas vers les corps. Du bout de son stylo, elle montra les mains et les pieds des cadavres. Charles lança un regard interrogateur à sa binôme. Il détestait cette manie qu’avait Ana de le faire poireauter à chaque fois qu’elle mettait en lumière une évidence qui ne lui sautait pas au visage.

- Ils ne sont pas d’ici, pas même de France. Plantes et paumes sont abîmées, marquées par le temps avec une présence accrue de corne. Les kilomètres à marcher pieds-nus, un travail manuel pour un salaire de misère.

- Des immigrés ?

- Sûrement, mais dans de si beaux vêtements et déposés dans un lieu si sordide… Ça ne colle pas.

Charles observa autour de lui. comment avaient-ils pu arriver jusqu’ici ? Étaient-ils réellement morts dans cette demeure ou bien les avait-on transporté jusqu’ici après cet acte irréparable ? Cinq heures et quart, l’enquête ne faisait que commencer et le capitaine semblait déjà sur la réserve.

Un petit homme progressa à travers le décors, son sac à la main. Fargot, le légiste.

Il adressa un grand sourire à Dupuis. Il devait être le seul homme heureux que son téléphone sonne au bout de la nuit pour venir s’occuper de corps dans un endroit perdu de la banlieue parisienne.

- Où sont-ils ?

- Par-ici docteur, guida Delfino. Il y en a quatre, de quoi vous donner quelques heures de travail.

Le légiste s’empressa d’enfiler sa tenue de travail et sortit de son sac un tas de feuille. Les deux flics se placèrent en retrait pour laisser l’homme oeuvrer. Près de l’homme, il mis en route son dictaphone.

- Famille de type africaine, plutôt subsaharienne, dont le père n’a pas plus de quarante ans à première vue. La femme semble bien plus jeune et les deux enfants en bas âge, je dirais cinq années tout au plus.

L’homme réajusta ses lunettes et manipula les corps un à un avec une délicatesse déconcertante. Il déboutonna les vêtements et pressa le dos ainsi que les ischio-jambiers pour chacun des corps. Il griffonna quelques mots sur son bloc-notes et reprit ses observations liminaires.

- La rigidité cadavérique, causée par la coagulation de la myosine et provoquant une perte de l’élasticité des muscles, a atteint son niveau maximum. Si je couple cette information avec la présence de lividité fixes, je peux déjà affirmer que la mort remonte à plus de douze heures.

- Hier, voire avant hier, déduisit Dupuis.

-Plutôt hier. Vois-tu, il n’y a pas de présence d’une résolution, qu’elle soit progressive ou définitive. Le tueur est passé à l’acte il y a moins de 36 heures.

Le responsable de l’Identité Judiciaire pénétra dans la pièce et pris Charles Dupuis à part. La frustration gagna rapidement les traits du policier. À première vue, la scientifique n’avait pas la moindre trace exploitable hormis les empreintes. Mais la maison servant de squat.

Le ou les criminels avaient opéré comme des professionnels. Ou bien de véritables fantômes. Le capitaine remercia le technicien et écouta le légiste.

- Une chose m’interpelle, les amis. Je n’arrive pas à trouver une quelconque cause évidente de la mort.

Ana et Charles se lancèrent un regard. Les deux s’approchèrent des cadavres lorsque Fargot le leur demanda avec un peu plus d’insistance qu’un simple signe de la main.

- Qu’observez-vous ?

L’un comme l’autre détaillèrent le couple puis les enfants à la recherche d’un élément de réponse. Après cinq minutes, ils restèrent bredouille, forcés de s’avouer vaincus.

- Rien à signaler.

- Et c’est bien ce qui me dérange, Ana. Pas un seul hématome, pas de trace de lutte. Aucune injection dans les veines ou artères principales. J’ai parcouru l’ensemble des connaissances qui pouvait me venir à l’esprit, mais… je reste sans mot. Il semble qu’ils aient été déconnectés, tout bonnement, tels des robots dont la batterie n’aurait plus d’énergie pour les alimenter.

Fargot rangea son matériel avec soin dans sa trousse. Il ordonna la levée des corps et se dirigea vers la sortie.

- Les autopsies devraient me permettre de résoudre ce mystère. Je vous tiens au courant dans les plus brefs délais, sans doute d’ici demain midi.

Il disparu dans le couloir.

Delfino et Dupuis repassèrent dans chacune des pièces, la découverte du moindre petit indice dans leur viseur. Dupuis fit tourner les pages de son carnet alors que sa coéquipière le questionnait. Les versions des adolescents étaient toutes cohérentes avec les constatations faites par les officiers de police. Ils n’avanceraient pas plus pour le moment.

Le duo quitta à son tour la maison.

Installé dans le Duster, Dupuis se mit à ruminer. Il était assez rare que le légiste ne puisse pas se prononcer sur les causes apparentes de la mort. Ajouté à cela l’absence totale de trace des auteurs du crime… Ce ne pouvait pas être une coïncidence. Mais effectuer quelques vérifications s’imposait avant de s’engager dans cette périlleuse piste.

Un café à la main, Ana finit par briser le silence entre deux bâillements :

- Dis-moi le fond de ta pensée, Charles.

- Cette situation me rappelle un dossier sur lequel une vieille connaissance du 36 a enquêté un bon moment. Chou blanc, manque de preuve, l’affaire a fini par être classée. Mon instinct me dit que l’on va dépoussiérer un bon cold case. Les vieux fantômes sont de sortie.

Il enclencha la première et s’engagea dans le bois.

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