074 Le miracle de la vie

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   Peu après, Hugues réapparut, son caméscope à la main. Il filma subrepticement Christa. Celle-ci, debout, se cramponnait à bout de bras au pied de lit et ondulait du bassin en chantonnant. Enfin, son chant était plutôt une suite d'onomatopées bizarres, expulsées brutalement d'une voix rauque. Elle ne se rendit même pas compte qu'elle était enregistrée pour la postérité, dans le cube mémoire de la caméra. Sans se retourner, elle s'adressa à Hugues :

   — Peux-tu m'aider à aller jusqu'à la salle d'accouchement ? Cathy doit être en train de préparer la piscine.

   — Bien sûr.

Les contractions étaient maintenant plus violentes. Christa commençait à fatiguer. Lorsqu'elle sentait la douleur monter, elle s'arrêtait de marcher, et appuyait son dos contre Hugues. Celui-ci la ceinturait délicatement de ses bras, tout en lui prodiguant des encouragements chuchotés à son oreille. Quand elle les vit arriver, Cathy vint précipitamment à leur rencontre. La future mère, secouée par une contraction violente, avait du mal à contrôler son souffle.

   — Venez vite dans l'eau, vous vous sentirez mieux.

Hugues renchérit :

   — Allez, au bain petite sœur !

A deux, ils aidèrent Christa à se déshabiller, et à s'installer dans ce qui ressemblait plus à une grande baignoire qu'à une piscine. Elle sourit, détendue, gouttant pleinement l'eau chaude qui l'aidait à vaincre la gravité, et lui assouplissait les muscles du ventre. Hugues installa la caméra sur un trépied, dans un coin de la pièce, et lança l'enregistrement en automatique. Puis il contourna la piscine, afin de se placer derrière Christa. Il voulait l'encourager, mais vit qu'elle n'en avait pas besoin pour le moment. Il avança une main, se bornant à la proposer. Elle s'en saisit et lui sourit, un sourire qui se termina en rictus, tandis qu'un long gémissement s'échappait de ses lèvres. La rémission apportée par le bain n'avait pas durée très longtemps. Les contractions venaient à la suite les unes des autres, presque de façon ininterrompue. Pour elle, le temps semblait s'être arrête, supplanté par la douleur. Son souffle s'échappait péniblement de ses poumons, le visage rougit par l'effort, la tête renversée en arrière, la bouche grande ouverte.

Elle essaya de changer plusieurs fois de position, glissa, faillit boire la tasse. Hugues ôta en toute hâte ses vêtements pour la rejoindre dans l'eau. Il s'assit, dos au bord intérieur de la piscine. Elle s'installa à genoux, face à lui, s'appuyant sur ses épaules. Elle ne pouvait plus retenir ses cris. Cathy lui envoya un jet d'eau chaude dans les reins qui lui fit du bien. Son visage se rasséréna quelques secondes. Hugues la regarda dans les yeux.

   — Tu vas y arriver, petite sœur, tu vas y arriver.

Elle respira plusieurs fois de grandes goulées d'air puis la douleur s'installa à nouveaux dans son esprit, totale, suffocante,implacable. Elle hurla à nouveau.

   — Non ! Je ne veux pas ! Arrêtez tout ! Maman...

Elle fondit en larmes. Hugues la soutenait, lui parlait, mais elle ne comprenait plus ce qu'il disait. Cependant, la petite musique de sa voix était douce. Elle avait l'impression d'être dans un trou profond, et cette voix lui indiquait le chemin de la clarté, du bien-être. Elle poussait désespérément tout en se sentant prête à exploser. Le bas-ventre en feu, elle se cramponnait si violemment au cou de son ami, qu'elle lui enfonça profondément les ongles dans la peau. Hugues accueillit cette douleur comme une bénédiction, l'occasion de partager un peu de la souffrance de la parturiente.

Cathy s'exclama.

   — La tête est passée !

Christa reprit péniblement sa respiration puis poussa une nouvelle fois.

   — Ça y est ! Les épaules sont passées. Et voilà, c'est fini !

Aidée par Hugues, Christa se retourna précautionneusement pour accueillir sur son ventre le bébé que lui tendait la sage-femme. Elle eut un sanglot, de joie cette fois. Elle caressa SON bébé, puis vérifia ce qui se trouvait entre ses jambes.

   — C'est une fille !

Cathy sourit.

   — Compliment Christa. Et quel est son prénom ?

   — J'hésite, je vais le choisir rapidement. On ne peut pas continuer à l'appeler « le bébé ». Elle est si belle.

Cathy approcha et regarda le cou de Hugues.

   — Qu'est-ce qui vous est arrivé ?

   — Hum...La maman a fait preuve de beaucoup heu... d'enthousiasme ! Mais ce n'est rien par rapport à ce qu'elle a vécu.

Christa se tourna vers lui, radieuse.

   — Elle est belle n'est-ce pas ?

   — Tout le portrait de sa mère. Espérons qu'il n'en serra pas de même du caractère.

   — Oh ! Tu as de la veine que j'ai un bébé dans les bras, sinon tu recevrais une correction.

   — Qui ? Moi? La crème des hommes !

Christa sourit, puis remarqua enfin les griffures sur le cou de son ami.

   — Mon Dieu, c'est moi qui t'ai fait ça ?

   — Pas du tout, c'est Cathy qui s'est vengée sur moi de la nuit blanche que nous lui faisons passer !

En entendant son prénom, la sage-femme releva la tête et menaça Hugues de l'index. Mais son sourire démentait son geste.

   — Tous mes compliments, Hugues. Vous avez passé le test avec succès. Il ne vous reste plus qu'à vous marier et à me ramener votre femme dans un an !

Christa rit, un rire si merveilleux venant d'une personne qui hurlait de douleur quelques minutes auparavant.

   — Le défi est lancé. Maintenant a toi de jouer.

Il fit une grimace.

   — Si Steve est encore absent pour ton second, je veux bien rempiler. Sinon, cette expérience me suffira amplement.

Hugues, Christa et le bébé ne bougeaient plus, la mère toujours appuyée contre son ami, tous les trois dans la piscine. Après la violence des instants précédents, un grand calme les avaient envahis. La sage-femme se retira pour les laisser savourer ce moment en toute intimité. Hugues pencha la tête en avant et psalmodia un petit poème à mi-voix.


Maman vient de te mettre au monde

Elle t’a aidé comme elle a pu

Bienvenue à toi dans ce monde

Parmi nous sois la bienvenue

Blotti contre elle, tu sommeilles

Tu sens la chaleur de sa peau

Son cœur bat contre ton oreille

Tu es son rêve en plus beau

Du bout des doigts elle caresse

Le doux duvet de tes cheveux

Avec amour avec tendresse

Elle attend que tu ouvres les yeux


Maman vient de te mettre au monde

Pour partager nos lendemains

Bienvenue à toi dans ce monde

Bienvenue parmi les humains


Christa le regarda, les yeux pleins de larmes.

   — C'est beau ce que tu viens de dire. C'est de toi ?

Hugues eut un petit rire.

   — Non, pas du tout. C'est une chanson de bienvenue dont j'ai retrouvé les traces dans un vieux livre. Elle existait déjà avant même que l'homme colonise l'espace. Tu vois, rien n'a changé. La naissance est toujours le plus beau des miracles.

Christa regarda à nouveau son bébé et le caressa du bout des doigts.

   — J'aimerais que tu me donnes ce texte, je voudrais le faire encadrer. Il correspond si bien à ce que nous venons de vivre.

Hugues rit à nouveau.

   — Qu'est-ce qui t'amuses comme ça ?

Il montra l'œil inquisiteur du caméscope.

   — Regarde, nous sommes toujours filmés. C'est le moment de prononcer des paroles historiques !

   — On ne peut pas mieux parler que tu ne viens de le faire. Ah si, quand même. J'ai quelque chose à dire.

Elle tourna la tête vers la caméra et montra le bébé.

   — Steve, tu m'as manqué, et surtout tu as manqué le plus beau des rendez-vous. Reviens vite nous serrer dans tes bras. Et n'oublie pas de remercier Hugues, grâce à qui je n'ai pas été seule au moment crucial.

Le bébé tétouillait le sein de sa maman. Elle lui caressa doucement la tête, puis regarda Hugues et lui sourit.

   — Merci.

Elle l'avait murmuré comme une confidence, trop précieuse pour être dite à haute voix.

   — C'est moi qui te remercie. Grâce à toi, ou plutôt à toutes les deux, je vais avoir un souvenir positif à superposer dans ma mémoire à celui de mon enfance.

Tout en tenant son bébé bien calé contre elle et entouré par son bras protecteur, elle tendit sa main libre vers Hugues qui s'en saisit délicatement.

   — Hugues, j'avais pensé, depuis un certain temps, à toi comme parrain de mon bébé. Ce qui n'était alors qu'une idée, une envie de resserrer les liens entre nous, devient maintenant une évidence. Le veux-tu ?

Très ému Hugues fit oui de la tête. Il avala péniblement sa salive avant de répondre.

   — Bien sûr ! Et comment va s'appeler cette petite fille ? Tu t'es décidée ?

Christa hésita et lança un regard au parrain.

   — Heu... avec ta permission, et seulement si cela ne te blesse pas, j'aimerais l'appeler Christina.

Il se renversa en arrière, s'appuyant contre le bord de la piscine, et respira bruyamment. Son visage, déjà marqué par la fatigue, avait pâlit. Puis il se redressa, regarda la nouvelle maman les yeux brillants. Il se pencha ensuite vers le bébé. Son doigt suivi la courbe du bras et vint caresser la petite main, essayant d'ouvrir le minuscule poing serré. Dans un geste réflexe, la petite fille s'agrippa à lui. Il sourit.

   — Bienvenu à toi dans notre monde, Christina, ma petite puce.



Une heure plus tard la mère et la fille se retrouvaient toutes deux au cœur du grand lit. Hugues fit mine de se retirer, mais Christa sentit un regret dans son attitude.

   — Tu ne veux pas rester ici avec nous ?

   — Tu n'as plus besoin de moi maintenant.

   — Tu ne vas pas traverser Ursianne à cette heure-ci ! Reste !

   — Puisque tu insistes.

Il semblait très heureux de trouver une excuse pour continuer son rôle d'assistant. Il chercha dans l'armoire une couverture et entreprit de s'installer dans le fauteuil.

Deux petits coups à la porte, l'aide-soignante passa la tête pour voir si tout allait bien.

   — Vous n'allez pas dormir comme ça ! Je vais vous chercher un lit de camp.

Elle revint bien vite avec l'objet, et Hugues put s'installer confortablement.

   — Bonne nuit, les filles.

   — Bonne nuit Hugues.

Christa laissa une veilleuse allumée pour pouvoir admirer son bébé qui dormait profondément à coté d'elle. Ce qu'elle ressentait était incroyable, au delà de tous les mots. Elle finit quand même par s'endormir, épuisée par cette terrible et merveilleuse journée.

Son réveil fut très pénible. La chambre était seulement éclairée par la veilleuse. Il faisait donc encore nuit.

Mon Dieu ces cris. C'est mon bébé ! C'est Christina ! Elle pleure !

Elle clignât des yeux et remarqua le visage de Hugues penché au dessus d'elle. Il avait l'air de trouver la situation plaisante.

   — Allez petite sœur, on se réveille !

Elle regarda son bébé qui manifestait vigoureusement son déplaisir avec une vigueur surprenante venant d'un si petit corps, le visage congestionné, les poings serrés. Elle bailla, pas encore tout à fait réveillée.

   — Hum... Je crains que tu n' ais raison, elle a aussi hérité de mon caractère.

   — Mais non, elle rappelle seulement sa mère à ses obligations.

Comme Christa le regardait sans comprendre, il ajouta.

   — Je crois que tu as tout ce qu'il faut pour la calmer.

Il pointa un doigt vers la poitrine généreuse de la nouvelle maman.

   — Mon Dieu, elle a faim ! Je crois que je n'ai pas fini de passer des nuits agitées.

Après la tétée, la mère et la fille se rendormirent facilement. Hugues, par contre, n'y arriva pas. Alors, il approcha le fauteuil du lit et les regarda, se laissant pénétrer par la sérénité du tableau. Mais, dans un coin de son esprit, il repensait encore à une autre naissance, une autre mère, un autre bébé.

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