Quelques jours plus tard, Steve était parti pour son nouveau contrat. Christa, comme d'habitude, se reposait dans le jardin, profitant de la douceur exceptionnelle du printemps, lorsque Hugues fit son apparition, un caméscope à la main.

  — J'ai apporté de quoi immortaliser la naissance ! Si Steve le veut bien, naturellement, je peux vous le prêter.

Christa fit une grimace.

  — Il est parti pour quinze jours. On ne pouvait pas se passer de lui sur Tenbriges parait-il !

  — Tu crois que le bébé va attendre, pour lui permettre d'être là au moment fatidique ?

  — Cela m'étonnerait. J'ai des contractions de temps en temps, mais rien de suivi. Jusqu'à maintenant, j'étais sereine, je vivais bien ma grossesse. Mais, à l'idée de ne pas pouvoir compter sur Steve pour m'assister, et de ne me trouver entourée que d'étrangers, j'appréhende maintenant l'accouchement.

Hugues sourit.

  — Mais tu ne seras pas seule : je peux t'assister, si tu le veux.

Christa ouvrit des yeux ronds.

  — Toi ? Tu te moques...

  — Pas du tout. J'ajouterai même que tu ne seras pas la première à bénéficier de mes services.

Le sourire disparut de son visage et son visage redevint grave, triste même. Christa posa sa main sur celle de son ami et demanda doucement.

  — Tu veux me raconter ça ?

Il secoua la tête en signe d'assentiment.

  — Je ne t'ai jamais parlé de mon enfance, je crois ?

  — Non, en effet. Tu es d'ailleurs très... discret sur tout ce qui te concerne !

  — Hum... Je mène une vie...particulière, dont je n'éprouve pas le besoin de m'entretenir, peut-être de peur d'être mal compris ou jugé.

Christa lui jeta un regard de reproche.

  — Penses-tu que ce pourrait être le cas avec moi ?

Il sourit.

  — Non, bien sûr. Toi c'est différent. D'ailleurs, je vais te le prouver maintenant. Ce que je vais te dire, je ne souhaite pas que quelqu'un d'autre le sache, ni Steve, ni même Ruslan, s'il réapparaît un jour.

  — Tu n'as aucune nouvelle de lui ?

  — Non. Et puis, pour être juste, autant je ne tiens pas à étaler ma vie privée devant les gens, seraient-ce mes amis, autant je respecte une attitude identique venant de leur part. Ruslan ne souhaite pas renouer le contact avec nous, il doit avoir de bonnes raisons. Le jour où il reviendra, je serai heureux de le serrer dans mes bras. Mais, en attendant, je respecte son silence.

Christa hocha la tête.

  — Je te comprends. Mais moi, je suis curieuse, et j'aimerais savoir... Bon, revenons à toi, puisque tu est en veine de confidences. Je te promets que je ne répéterai jamais rien à personne. Steve ne comprendrait sans doute pas. Quand à Ruslan, il est aussi discret que toi, et je suis sûre qu'il ne désirerait pas savoir. Il t'apprécie pour ce que tu es avec lui, et le reste il s'en moque.

Elle ajouta dans un sourire.

  — Pour ce que tu es avec lui, et aussi avec moi.

Hugues sourit à son tour.

  — Souvent, nos petites réunions au bar des sirènes me manquent. Il a disparu, tu es en couple, je me retrouve trop souvent seul. Bon, écoute-moi, et essaie de ne pas trop m'interrompre. Ce sera assez dur comme ça.

Il se concentra un instant avant de se lancer dans son récit.

  — Je n'aime pas me souvenir des vilaines choses. Pourtant, elles m'ont fait ce que je suis, au même titre que les bonnes. Plus même certainement, car c'est dans l'adversité que l'on se forge le caractère.

Après cet étrange préambule il hésita avant de continuer.

  — Cela se passe pendant mes quinze premières années. Je vivais avec mes parents et ma sœur aînée Pearl.

  — Tu as une sœur ?

  — J'avais... Pearl était... mais commençons par le commencement. Nos parents ne s'entendaient pas. Mon père n'était pas très courageux : il n'a jamais réussi à obtenir un poste valorisant... et bien payé. Ma mère le lui reprochait en permanence, le traitant de raté, de minable, j'en passe et des moins agréables encore. A la maison, c'était elle qui portait la culotte. Il n'avait pas intérêt à la ramener, car elle n'hésitait pas à lui taper dessus. Alors, il passait son temps à boire avec ses copains. De temps en temps, elle en avait marre et partait avec un de ses amants de passage. Elle disparaissait ainsi assez longtemps, une fois près d'un an. Puis elle revenait, soit-disant parce que nous lui manquions, ma sœur et moi. Pendant son absence, mon père buvait aussi à la maison. Quand il était bien imbibé, il devenait violent. Pearl essayait de me protéger, et c'est elle qui prenait...

Christa écoutait la confession de son ami le cœur serré. Elle n'aurait jamais cru qu'il puisse avoir traversé un tel drame, lui qui semblait être né avec une cuillère en argent dans la bouche.

  — Un jour, cela tourna franchement mal. Il venait de se faire licencier une nouvelle fois, et il était particulièrement remonté. Maman était partie depuis longtemps. Nous avions tous l'intuition que son absence était définitive. Comme d'habitude, il a voulu s'en prendre à moi, et comme d'habitude, Pearl s'est interposée. Il l'a frappé avec une grande violence. Terré dans un coin de la pièce, j'étais terrorisé. Ce sont des voisins qui, alertés par nos cris, sont intervenus. Nous avons passé la nuit chez eux, ma sœur et moi, et le lendemain matin, dès que mon père a quitté la maison, nous avons fait nos bagages et avons fui ces lieux.

Hugues prit une respiration avant de passer au chapitre suivant de ses souvenirs.

  — Pearl avait un petit ami, prénommé Bertrand. Cela faisait un moment qu'il la pressait de venir vivre chez lui, mais elle ne voulait pas me laisser seul avec notre père. Alors, nous avons débarqué à son domicile et elle a posé ses conditions : s'il tenait à elle, il devait nous héberger tous les deux, car elle ne se séparerait pas de moi. Il a accepté, et j'ai connu pour la première fois un peu de sérénité. Mes goûts pour les arts je les dois à ma sœur, qui m'a initié à la musique, au théâtre, etc... Ce fut la plus belle année de ma jeunesse, la seule qui ait été belle d'ailleurs. Pour préciser mon état d'esprit, je dirai que Pearl était certes ma sœur, mais qu'en même temps cela faisait longtemps qu'elle remplaçait ma mère. J'avais pour elle un amour et une admiration sans borne. Et puis, elle s'est retrouvée enceinte. Pour gagner un peu plus d'argent, Bertrand a accepté un travail dans des chantiers en montagnes : conditions climatiques difficiles, mais bonne rémunération. Nous habitions dans un petit chalet. J'avais l'impression d'être en permanence en vacances. La grossesse de ma sœur se passait bien, son ventre s'arrondissait. Elle était si contente d'avoir un bébé. D'ailleurs, elle n'hésitait pas à m'inclure dans l'avenir de son enfant, m'expliquant que tous les trois, Bertrand, elle mais aussi moi, allions lui donner tout l'amour dont nous avions été privés nous même. Bertrand travaillait dur. Il était partit pour un chantier sur une montagne voisine lorsque Pearl se rendit compte qu'elle allait accoucher. Les conditions climatiques étaient épouvantables. Une tempête de neige nous cernait. Le téléphone ne fonctionnait plus. Je la voyais errer dans la maison, pliée en deux par la douleur. J'étais complètement paniqué, ne sachant que faire. Quand elle a perdu les eaux, j'ai cru qu'elle allait mourir devant moi.

Hugues marqua une pose pour dominer son émotion et reprit sur un ton faussement humoristique.

  — Je ne crois pas que ce soit une histoire à raconter à une parturiente...

  — Je t'en prie, Hugues, tout ce que tu me racontes me bouleverse, mais maintenant tu es obligé d'aller jusqu'au bout. Il n'y avait personne pour vous aider ?

  — Non. Nous étions isolés complètement par la tempête de neige. Mais, j'ai dit tout à l'heure que c'est dans l'adversité que l'on se forge le caractère. De l'adversité, ma sœur en avait eu son content. Aussi ne s'est-elle pas affolée. Elle m'a expliqué qu'elle allait bientôt accoucher, ici, dans ce chalet, et qu'elle avait besoin de mon aide.

  — Tu avais quel age ?

  — Quatorze ans et demi. Pearl en avait tout juste vingt.

  — Mon Dieu !

  — Elle m'a demandé de remplir la baignoire avec de l'eau chaude mais supportable, et d'apporter dans la salle de bain toutes les serviettes de toilettes dont on disposait. Devant sa détermination et son sang froid j'ai oublié ma peur et je lui ai obéi. Elle s'est allongée dans l'eau et a tout de suite eu moins mal. Mais, malheureusement, il n'était pas question d'accoucher dans un espace aussi étroit. Un peu plus tard, je l'ai aidé à en sortir et à s'allonger sur les serviettes que j'avais, à sa demande, disposées au sol. Elle n'arrivait pas à trouver une position qui la soulage et bientôt elle n'eut plus la force de retenir ses cris. J'étais terrorisé de la voir dans cet état. Elle s'en est aperçue et m'a demandé de crier avec elle pour que le bébé vienne plus vite. Je ne crois pas que ma participation vocale ait eu une influence quelconque sur le déroulement de l'accouchement, mais au moins ça m'a occupé l'esprit, et j'ai eu l'impression d'être utile. Cela a duré très longtemps. Pour un enfant comme moi, la situation était très... déstabilisante : à l'époque, je n'avais jamais vu de femme nue, et je me retrouvais à participer à un accouchement ! Bien sûr, je n'ai jamais regardé Pearl comme une femme. Elle était ma soeur, et il n'y avait rien d'ambigue dans notre relation. Et ce qui s'est passé ce jour-là n'a rien changé pour moi. Plus tard, je l'admets, il m'est arrivé d'imaginer les femmes que je rencontrais, nues, à quatre pattes, avec un gros ventre et une grosse poitrine, en train de hurler: ça rompt le charme !

  — Et tu veux quand même m'assister ?

  — J'essayais de faire de l'humour, pour prendre un peu de recul.

Christa eut un sourire crispé.

  — Enfin, la tête du bébé est apparue entre ses jambes. J'ai eu peur qu'il tombe, et je l'ai pris dans mes mains. Je crois que je n'oublierai jamais ce moment, partagé entre l'appréhension, la répulsion et l'émerveillement. C'était une fille, ma nièce, mais pour moi je la considérais comme ma sœur cadette. On est resté là, sans savoir quoi faire, tous les deux par terre dans la salle de bain. J'avais enroulé le bébé dans une serviette et elle le tenait sur son ventre. Nous savions qu'il fallait couper le cordon mais nous ignorions quand et comment. La tempête faiblissait enfin, et nous avions espoir d'avoir du secours le lendemain. Vint ensuite la première tétée. Pearl a craqué à ce moment là. J'ai vu des larmes couler sur son visage, puis elle a été secouée par de gros sanglots. J'ai essayé de la prendre maladroitement dans mes bras .Nous sommes restés longtemps ainsi.

Christa, les yeux brillants de larmes, regardait intensément Hugues blanc comme un linge. Visiblement, il revivait la scène dans sa tête, pour la combien de fois ? Elle lui prit la main. Il sourit, un sourire triste.

  — Et ensuite ? demanda-t-elle d'une voix enrouée.

  — Le lendemain matin il faisait grand beau. Un véhicule de secours est passé. Il faisait la tournée des habitations isolées. Ils ont emmené Pearl et son bébé, mais n'avait pas de place pour moi, car ils avaient déjà récupéré plusieurs personnes. Le cœur serré, je les ai vu partir. J'étais soulagé qu'elles soient en de bonnes mains, mais j'étais triste d'être séparée de ma sœur et du bébé. Je me sentais désorienté, tout seul dans le chalet. Alors j'ai entrepris de tout nettoyer, en particulier la salle de bain. J'ai mis à tremper le linge souillé. Puis j'ai grignoté un repas froid. Mais le cœur n'y était pas. Je revivais dans ma tête ce qui s'était passé la veille. J'aurais tant voulu les serrer toutes les deux dans mes bras. En début d'après-midi, un véhicule s'est garée devant le chalet. Je suis sorti à la rencontre de ses deux passagers, frappé par la tristesse que je lisais sur leurs visages. L'un d'eux m'a pris par les épaules pour m'expliquer : le véhicule qui emmenait Pearl avait dérapé sur une plaque de glace, et basculé dans le fossé. Elle avait été tuée sur le coup.

  — Non !

Christa n'avait pu retenir son cri. Hugues se pencha vers elle et la prit brièvement dans ses bras. Il enchaîna rapidement pour casser l'émotion.

  — Bertrand n'a pas eu le droit de me garder avec lui. J'ai été placé dans une institution. J'ai cru que j'allais devenir fou : fou de douleur mais surtout fou de rage. Je voulais revoir ma nièce, je n'ai jamais pu. Bertrand est venu me rendre visite. Il m'a avoué qu'il l'avait abandonnée dans un orphelinat, car il était incapable de s'en occuper. Ma réaction a été terrible. J'ai hurlé qu'il n'était pas digne de l'amour de Pearl, qu'elle était si heureuse d'avoir un enfant de lui, que sa présence allait souder notre nouvelle famille, que ce bébé, nous l'avions mis nous-même au monde, sans aide extérieure, dans la peur et la douleur, qu'il n'avait aucune idée de ce que représentait un accouchement, que je l'avais tenu dans mes mains, qu'il n'avait pas le droit de s'en séparer par lâcheté, comme d'un colis encombrant, que je ne voulais jamais plus le voir...

Emporté par sa fougue, Hugues mimait la scène sans s'en rendre compte, comme s'il était un acteur. Son débit précipité, la façon dont les mots se télescopaient, indiquaient combien cette colère était toujours sienne, des années plus tard.

  — J'ai voulu le frapper, mais il était plus fort que moi. Il s'est contenté de me contenir. Alors, j'ai retourné ma rage contre le mobilier, que j'ai commencé à casser. Il a fallu trois hommes pour me maîtriser et m'administrer un calmant. Après ça, je suis devenu solitaire, je me suis replié sur moi-même. J'attendais seulement d'être assez âgé pour fuir cette prison, car pour moi c'était une prison. J'étais insolent avec le personnel, je ne travaillais plus en classe. Les autres garçons ont commencé par me prendre comme bouc émissaire, mais au bout d'un moment ils m'ont laissé. Je crois que je leur faisais peur. J'avais beau ne pas être très costaud, si j'étais mêlé à une bagarre je devenais incontrôlable, usant d'une violence que les autre n'osaient pas employer. Je crois que j'aurais été capable de tuer quelqu'un. A bout de solution, le responsable de l'établissement m'a cherché une famille d'accueil. Il en a trouvé une, des gens riches et généreux. Monsieur et Madame Milton avait eu un enfant, un garçon, qui était mort dans un accident de la route. Ils m'ont emmené chez eux et m'ont traité comme leur fils. Au début, je les repoussais, je ne voulais pas avoir l'air de céder. Plus ils essayaient de m'amadouer, plus j'étais agressif. Un jour, dans un accès de rage ou je ne me contenais plus, j'ai tué leur chat : je l'ai éclaté contre un mur. Madame Milton était seule avec moi à la maison. Quand elle a vu le carnage elle a fondu en larme. Je croyais qu'elle pleurait son chat, mais en fait elle ne cessait de répéter « mon pauvre petit, mon pauvre petit ». Ma colère tomba quand je me rendis compte qu'elle n'était pas fâchée contre moi, seulement désespérée de ne pas arriver à m'aider. J'ai ressenti un grand vide. Mon accès de violence m'avait mis KO. Je me suis écroulé, et j'ai pleuré aussi. Plus tard, je lui ai demandé pardon. Nous avons passé le reste de la journée à parler tous les deux. Elle m'a demandé ce qu'elle et son mari pouvaient faire pour moi, pour que je cesse de me détruire. La réponse a fusé, évidente : « Je veux revoir ma nièce ». Monsieur Milton a remué ciel et terre mais malheureusement il n'a rien pu faire : elle avait été adoptée, et ses parents avaient quitté la planète où nous vivions, pour une destination inconnue. J'ai d'ailleurs essayé de la retrouver plus tard, en vain. Alors, devant la bonté de ce couple, et n'ayant plus aucun espoir de revoir celle que je considérais comme ma petite sœur, je me suis décidé à saisir la chance qui m'était offerte. Je me suis lancé à corps perdu dans les études. Et, quelques années plus tard, j'ai été diplômé en économie, et accessoirement j'ai suivi des cours sur la littérature ancienne et sur l'art figuratif : peinture, sculpture, photo, hologrammes. Entre temps, ils m'avaient adopté : je suis fier de porter leur nom, Milton. Tu comprends pourquoi j'ai pu disposer de « L'étoile filante », malgré mes origines modestes. Bien sûr, mes premiers clients étaient des relations à eux, mais j'ai été digne de leur confiance et de leur amour, et j'ai vite volé de mes propres ailes.

Le silence retomba entre eux. Il leur fallait du temps pour laisser passer l'émotion. Hugues s'était mis à arpenter la terrasse de long en large. Au bout d'un moment il revint s'asseoir en face de Christa.

  — Je ne t'ai pas encore tout dit. Aujourd'hui j'ai envie d'aller jusqu'au bout. Un jour, j'ai été abordé par un capitaine marchand. Son cargo était en panne, et il faisait de l'astronef-stop pour rentrer sur Ursianne acheter des pièces pour le réparer. J'ai accepté de lui rendre service, bien qu'il ne fut pas vraiment du style de ma clientèle habituelle.

  — C'était Ruslan ?

  — Évidemment. Pendant le voyage nous avons eu le temps de discuter. Malgré nos différences... évidentes, nous avons sympathisé. Nous avions eu tous les deux une enfance difficile. Même si nous n'étions pas rentrés dans les détails, ça a créé une estime réciproque. A l'arrivée, j'ai refusé qu'il me paie son voyage. De toute façon, j'avais prévu de rentrer sur Ursianne, même sans passager. Deux jours plus tard, je l'ai croisé, et il m'a invité à dîner au restaurant. J'ai accepté. C'est seulement après qu'il m'a dit qu'il y aurait aussi une jeune femme très mignonne. Comme je voulais me dédire, il m'a expliqué qu'il la connaissait à peine. Il l'avait rencontrée chez le concessionnaire d'astronef, et était intervenu alors que ce gredin allait lui refiler un engin complètement pourri, pour un prix exorbitant. Il a ajouté qu'en plus il ne craignait pas ma concurrence. Venant de n'importe qui, cela m'aurait vexé, mais de lui j'acceptais volontiers la plaisanterie.

Christa sourit.

  — Je m'en rappelle très bien. Plus tard, j'ai réfléchi, et je n'ai pas compris pourquoi il était intervenu, alors que sa devise c'est plutôt de faire profil bas et de ne s'occuper que de ses affaires.

  — Voyons Christa ! Ton charme, tu en fait quoi ?

  — Qu'il n'ait pas été indifférent après coup, OK, mais un coup de foudre je n'y crois pas.

  — Effectivement. Il m'a expliqué que tu aurais pu être sa fille, ou tout au moins sa petite sœur, et qu'il n'aurait pas aimé qu'un saligot traite sa petite sœur ainsi.

Christa, songeuse, acquiesça de la tête.

  — Bref, ce soir là nous avons débarqué tous les deux dans le restaurant où tu nous attendais, et en te voyant j'ai été pétrifié.

  — Si c'était un coup de foudre, tu l'as bien caché !

Christa avait un sourire amusé.

  — Non, il ne s'agissait pas de cela. Il faut que je te précise que Pearl était assez petite, bien en chair, de grands yeux noirs et des cheveux bruns tombant sur ses épaules. En te voyant, j'ai cru une seconde que c'était elle. Et je ne m'étais pas encore remis de ma surprise, que Ruslan t'a présenté : Christa Kalemberg. Sais-tu quel prénom Pearl voulait donner à sa fille ? Christina !

Christa avait pâlit. Mal à l'aise elle détourna le regard. Hugues s'était tut et attendait, la tête baissée. Elle prit la parole, d'une voix mal assurée.

  — Tu ne peux pas revivre ça une nouvelle fois. Il est hors de question que j'accepte que tu m'assistes.

  — Tu as peur que je te porte la poisse ?

Christa pris les mains de Hugues dans les siennes et le regarda dans les yeux.

  — Je n'ai pas peur du tout que tu me portes la poisse, comme tu dis. Mais je n'ai pas le droit de t'imposer une telle épreuve.

Hugues secoua la tête, hésita puis se décida. Il s'adressa à Christa d'une voix grave, au débit lent et en marquant une pause à la fin de chaque phrase.

  — Tu ne m'imposes rien. Steve n'est pas là. Il est hors de question que tu accouches toute seule, sans un ami qui te tienne la main. Ce ne sera pas une répétition de ce que j'ai déjà connu, cette fois tu seras assistée par une sage-femme, il n'y aura aucun risque.

Il hésita avant d'ajouter:

  — Il est inenvisageable que je ne sois pas présent à l'accouchement de ma petite sœur.

Il s'était approché du siège de Christa et la serra dans ses bras. Elle lui rendit en tremblant son accolade.

  — Rien ne saurait plus me rassurer que de te savoir à mes cotés.

Hugues lui sourit et poussa un long soupir de soulagement.