064 Le Pic de l'Orient

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  Le pic de L'Orient, dans le massif des Montagnes Noires, était un classique de la randonnée sur Ursianne. Malgré son qualificatif de « pic », il était accessible sans escalade véritable. Cependant, l'itinéraire présentait quand même quelques passages délicats. Steve avait proposé à Christa de grimper vers les sommets, histoire de la changer de décors, elle qui passait son temps au fond des mines. La jeune femme rappela que son métier pouvait parfois l’amener à l'air libre, mais accepta avec enthousiasme l’idée de cette randonnée sur deux jours.

Depuis la fameuse visite de Christa à la base de la société Maroco, ils avaient continués leurs carrières chacun de leur coté. Mais dès leur retour sur Ursianne, ils étaient inséparables. Steve avait voulu qu'elle vienne habiter dans son petit logement, mais elle avait refusé : pas question de vivre sur une base de mercenaires, surtout lorsqu'il n'était pas là. Ce fut donc lui qui vint vivre chez elle. Leur existence avait été bouleversée par leur relation. En mission il leur tardait de se retrouver et ensemble le temps passait trop vite. Ils étaient en permanence sur « un petit nuage », indifférents à tout ce qui n'était pas leur amour.

Steve avait un sac énorme sur le dos, contenant tout le matériel pour bivouaquer et pour manger. Il avait dit à son amie de seulement prévoir ses vêtements, aussi était elle bien moins chargée. Pour débuter la randonnée, elle avait mis un short très court, qui moulait ses fesses et découvrait avantageusement ses cuisses musclées. Son tee-shirt arborait fièrement le vieux slogan « Faites l’amour, pas la guerre ». Elle avait spécifié qu’elle l’avait choisi spécialement à l’attention de son mercenaire préféré, afin de lui rappeler la vrai valeur des choses. Il avait rit jaune, mais lui avait interdit de le mettre en présence de ses hommes.

Steve, qui montait devant elle depuis un moment, marqua une pose et la regarda le rejoindre et le dépasser. Il ne pouvait détacher ses yeux des courbes sensuelles de son amie. Celle-ci se retourna, et le voyant encore arrêté, lui lança :

   — Déjà fatigué ?

Il tomba dans le piège, et repartit à marche forcée pour reprendre la tête. Lorsqu’il la doubla, elle remarqua narquoise :

   — On dirait que tu transpires ! Ne serais-tu pas à court de forme ?

Des randonneurs qui redescendaient le sentier entendirent la réflexion et les regardèrent curieusement. Steve, vexé, lui dit à voix basse :

   — Tu exagères !

   — Ça t’apprendras à mater mes fesses.

   — Moi ? je m’étais arrêté pour t’attendre.

   — Oui et me laisser passer devant pour te rincer l’œil !

   — Même si c’était vrai, quel mal y aurait-il ?

   — Je ne supporte pas d’être traité comme un objet sexuel.

   — Alors enfile un tchador.

Elle le regarda, surprise.

   — Et bien, si maintenant tu commences à avoir de la répartie…

   — Je suis à bonne école avec toi.

Au début le chemin avait traversé une forêt de sapins par de grands zigzags. Puis les arbres avaient laissé la place aux alpages, une petite herbe encore rase en cette saison. A coté de l’itinéraire, un torrent cascadait, emplissant l’air du fracas de l’eau sur les rochers. Ils longèrent bientôt un lac dans lequel une cascade géante se jetait, du coté opposé par rapport à eux. Le sentier surplombait le plan d'eau et traversait un névé qui n'avait pas encore fondu complètement. En ce moment, il était encore important, et sa surface blanche descendait vers les eaux sombres et glaciales. Steve se retourna.

    — Fais attention : si tu glisses dans l'eau, tes chances de survie sont faibles. Tu risques d'être tétanisée par le choc thermique et de couler très vite. Et tout sauveteur qui tenterait de te porter secours risquerait la même chose.

Elle le regarda en souriant.

   — Et bien sûr mon chevalier servant me regarderait mourir sans risquer sa précieuse vie.

   — Crois-tu que je réfléchirais seulement aux risques dans une telle situation?

   — Tu me rassures, au moins nous mourrions ensemble, comme tous les grands amoureux romantiques, Roméo et Juliette ou Tristan et Isolde. Ce serrait beau et poignant !

Steve secoua la tête, peu sensible au romantisme évoqué.

   — Bon, ceci dit, évite quand même : je préférerais un câlin dans tes bras ce soir, plutôt qu'un bain glacé maintenant.

   — Promis, je vais faire attention. Mais tu as tort de faire tout un plat de ce tas de neige, cela ne peut que me donner la frousse et me contracter.

Heureusement, il n'en fut rien. Elle traversa le passage délicat d'un pied ferme. Le sentier reprenait ensuite sa progression en direction d’une crête. Steve avait pris un peu d’avance, et il s’arrêta pour l'attendre. Lorsqu’elle le rejoignit, il était en train de préparer une corde.

   — Qu’est-ce que tu fais ?

   — Je vais t’attacher.

   — Je savais bien que tu étais vicieux.

Il marqua un temps d’arrêt, interloqué, avant de comprendre l’allusion de la jeune femme, et être sûr qu’elle plaisantait. Il aurait voulu répondre sur le même ton, mais ne il ne trouva rien de spirituel à dire. Sur ce plan là, elle était bien plus forte que lui, et en profitait. Il préféra expliquer calmement.

   — Au-delà de la crête, la plupart des randonneurs redescendent sur l’autre versant sur cent mètres de dénivelée, pour passer la nuit dans un refuge surpeuplé, ou camper juste à coté. Nous allons ruser, en partant hors sentier, vers l'arête que tu vois à gauche. De là, nous allons nous orienter plein ouest, pour trouver un petit balcon tranquille, un vrai nid d’aigle, pour monter la tente. Les randonneurs ne sortent jamais des sentiers balisés. Là-haut, nous ne serrons pas dérangés, et demain matin nous aurons une heure d’avance sur tous ceux qui se seront arrêtées au refuge. Cela nous permettra d’arriver les premiers au sommet. Par contre, il y a quelques passages délicats, aussi je préfère t’encorder par sécurité.

   — Je sais que tu es très attaché à moi !

Il sourit et ajouta en confidence.

   — Et puis, c’est un coin rêvé pour les amoureux.

Christa pris un air outré, les mains sur les hanches.

   — Quoi ? Après tout ce que tu m’as fait grimper aujourd’hui, ne me dit pas que tu envisages de faire autre chose que dormir cette nuit !

Il la regarda, stupéfait, mais ses yeux croisèrent le regard de son amie, et ce regard là n’avait pas l’air d’évoquer la fatigue.

   — Tu te moques encore de moi. Et je marche à chaque fois comme un imbécile.

La progression hors sentier était plus pénible, mais la récompense était au bout, lorsqu’il débouchèrent sur la crête. Le paysage s’étala brusquement à leurs pieds.Is se seraient crûs en avion. Ils continuèrent le long d’un sangle, en travers d’une face vertigineuse, jusqu’à rejoindre un balcon herbu de trois mètres sur cinq approximativement. Steve posa son sac.

   — Nous allons passer la nuit ici. Il y a une petite cascade, dix mètres après ce rocher, ce qui fait que nous disposerons de « l'eau courante ».

Il déroula la tente sur le sol puis actionna le petit mécanisme qui, raidissant la structure la transformait en un petit dôme de deux mètres sur deux au sol, et un mètre cinquante de haut. Il installa ensuite deux matelas mousse. Il finit d’installer le campement pendant que Christa admirait, sans se lasser, le paysage prodigieux. Ils improvisèrent un petit repas reconstituant, puis ils s’assirent cote à cote, les jambes dans le vide, pour admirer le coucher du soleil. Alors que ses derniers rayons ensanglantaient le ciel, il posa son bras sur les épaules de Christa qui appuya sa tête contre lui. Ils restèrent ainsi de longues minutes.

Au bout d’un moment Christa pris la parole, murmurant comme dans une église.

   — Steve ?

   — Oui ?

   — Je voulais te dire… Je suis enceinte.

Elle s’attendait à une manifestation bruyante de joie et de surprise, mais il ne dit rien. Seul son bras tremblait un petit peu. Il se pencha et l’embrassa doucement.

   — Te rencontrer est la plus belle chose qui me soit arrivée de toute ma vie.

Il resta silencieux quelques instants puis reprit.

   — Un bébé… Tu te rends compte ? Je vais être papa ! Et c’est dans ce petit ventre qu’il va grandir.

Il caressa doucement l’endroit cité.

   — Tu le sais depuis longtemps ?

   — Deux jours. Mais je voulais un endroit spécial pour te l’annoncer. Ici…

Elle se tut, une boule soudain lui nouait la gorge. Elle se contenta de balayer le paysage somptueux du bras. L’obscurité montait rapidement de la vallée, vers les sommets encore rouges des derniers feux du couchant. Steve lui prit une main et la baisa avec dévotion.

   — Merci, merci ma chérie.

Christa le regarda, les yeux brillants de larmes retenues.

   — C’est moi qui doit te dire merci. C’est toi qui a fait de moi une mère. Et avec tant d’amour, tant de douceur…

   — Mais c’est toi qui va avoir un gros travail à faire ces prochains mois. C’est toi qui va transformer le petit présent que je t’ai fait en un être vivant, notre fils ou notre fille.

   — Ce « gros travail », comme tu dis, ne me fait pas peur tant que tu es à mes cotés, tant que j’ai ta main dans ma main.

Un petit vent froid se mit à souffler. Elle frissonna.

   — Viens, rentrons dans la tente.

Ils s’allongèrent côte à côte sur le matelas, et se serrèrent dans les bras. Puis ils firent l'amour, doucement, sereinement.

Le lendemain matin, lorsque Steve se réveilla, Christa était déjà sortie de la tente. Il passa rapidement un pantalon et un tee-shirt, et sortit à son tour. Il entendit un cri venant de derrière le rocher. Il courut dans cette direction. Là, un spectacle peu banal l’attendait : Christa, complètement nue, essayait de se doucher dans l’eau glacée de la cascade. A la troisième tentative, elle réussit à se mouiller suffisamment, et ressortit vivement de l’eau pour se savonner. Ensuite, elle y retourna une nouvelle fois pour se rincer et là y resta bien une dizaine de secondes. Steve était stupéfait. L’eau venait de la fonte des névés un peu plus haut et devait être vraiment glaciale.

Elle se frictionnait avec énergie avec une serviette lorsqu’elle l’aperçut.

   — Et toi ! Au lieu de jouer les voyeurs, viens donc m’aider à me sécher.

Il s’exécuta avec zèle tout en la grondant pour son imprudence.

   — Tu veux attraper la mort de te baigner ainsi dans de l’eau glacée.

   — Peuh ! Ça fait du bien une bonne douche comme ça au réveil. Maintenant je me sens en pleine forme. Tu vas y aller toi aussi, tu pues la transpiration.

   — Ça ne va pas la tête ? Je ne suis pas masochiste moi.

   — Tu me déçois. Je ne croyais pas les mercenaires si douillets.

   — Je veux bien faire un brin de toilette, mais pas question de me doucher dans une eau aussi froide.

La jeune femme resta pensive une seconde puis lui confia :

   — J’apprécie de plus en plus les douches fraîches, pareil pour les bains. A Ladune, il y a dix jours, j’étais la seule à nager dans la mer. Tous les autres restaient sur la plage, ou se mouillaient à peine les pieds. Tu ne peux pas savoir comme je me sens bien après.

   — Bon, habille-toi vite, je prépare le déjeuner.

Trois heures plus tard, ils atteignaient le sommet du pic de l'Orient. Ils s'installèrent sur une roche plane, au soleil, pour se restaurer et profiter du paysage. A cette altitude, l'air avait une transparence magique. Beaucoup plus bas, la vallée restait brumeuses, mais les sommets environnants semblaient taillés au scalpel sur un fond de ciel bleu intense.

Steve, perdu dans ses pensées, mangeait distraitement son casse-croûte. Christa s'en aperçu.

   — Hou hou! Reviens sur terre. Où es-tu parti ?

Il tourna la tête vers elle et lui sourit.

   — Je pense à tout ce qu'implique ton état, et surtout le fait que bientôt nous serrons trois. Tout d'abord, ton appartement va devenir trop petit. Il nous faudrait une maison.

   — Une maison ? Tu as la folie des grandeurs.

   — Je ne crois pas. J'estime que le moment est venu. Nous aurons de longues années pour en profiter.

   — Mais tu veux la payer avec quel argent ?

   — Je comptais faire quelques investissements dans ma société, mais ils peuvent être différés.

   — Une maison...

Christa était rêveuse. Steve continua à livrer les fruits de sa réflexion :

   — De ton coté, il faudrait que tu réfléchisses à certaines choses. Pendant un certain temps, tu ne pourras pas travailler, et ensuite, avec un enfant en bas age, ce serra compliqué. Que comptes-tu faire avec ta société, tes employés...

Un plis de contrariété barra le front de la jeune femme.

   — Je n'avais pas envisagé ce problème. Tu sais comme mon métier est important pour moi.

   — Je sais... Mais admets que les choses vont être plus compliquées.

   — Je...oui, bien sûr. Mais c'est aussi ma seule source de revenu.

   — Je suis capable de pourvoir tout seul aux besoins d'une petite famille. Et puis ton entreprise représente un capital qui t'appartient.

Elle lui jeta un regard furieux.

   — Tu voudrais que je vende !

Devant le ton indigné, Steve se dépécha de faire machine arrière.

   — Pas nécessairement, c'est à toi de voir. Ce que je voudrais, c'est que l'on ai une vrai vie de famille tous les trois, et cela me semble difficile si nous restons, chacun de notre coté, des pigeons voyageurs.

   — Et bien sûr, tant qu'à faire, tu préférerais que ce soit moi qui abandonne mon métier.

La voix était sèche, agressive. Steve soupira.

   — Pas forcément. De mon coté je peux déléguer plus de choses à Erin, et superviser de loin. Il n'y a que sur les gros coups que je serrai obligé de me déplacer. Mais de ton coté, peux-tu faire la même chose ?

   — Il faudrait que j'embauche un ingénieur pour me suppléer...

   — Enfin, nous avons quelques mois pour y penser. Mais cela va vite passer !

Leur discussion fut interrompue par l'arrivée des premiers randonneurs venant du refuge. Steve donna un petit baiser à Christa et ils n'abordèrent plus le sujet. Mais leur discussion avait jeté une ombre sur le reste de la journée.

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