054 Passagère clandestine

5 minutes de lecture

   — Melle Kalemberg, je peux vous donner un coup de main ?

En quelques foulées rapides le mercenaire avait rattrapé Christa.

   — Ah c’est vous Carlos. Merci, ce ne sera pas de refus. Mon équipe est en train de démonter notre matériel, on sera prêt à partir dans trois heures. Vous pouvez m’aider à porter ces sacs ? Je me sens encore un peu faible…

   — Pas de problème. Donnez-moi tout.

Carlos s’empara des deux gros sacs de Christa et les souleva sans peine. Ils sortirent du bâtiment et traversèrent la cour, en direction des astronefs. Un petit vent frais fit frissonner la scientifique. Elle hésita une seconde avant de parler, consciente de l'énormité de ce qu'elle allait dire.

   — Carlos , j’ai un service à vous demander.

   — Allez-y, ce sera avec plaisir.

   — Heu… je ne crois pas. Je voudrais embarquer dans votre astronef…

   — Quoi ?

Carlos s’était arrêté de marcher et lui faisait face.

   — Vous n’êtes pas sérieuse ?

Inconsciemment elle monta le ton.

   — Vous croyez que c’est sérieux de penser que je me contenterais de jouer la garde-malade ?J'ai deux amis en danger et vous voudriez que je reprenne sagement la direction d'Ursianne ? Que feriez-vous à ma place ?

Carlos secoua la tête, incrédule.

   — Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas à votre place : moi, je suis un mercenaire. Me battre c’est mon métier. Laissez faire les professionnels, vous pouvez avoir confiance en nous. Vous avez déjà pu vous en apercevoir par le passé.

Christa pâlit en repensant aux événements de Solera, mais elle revint très vite à l'idée qui l'obnubilait et frappa le sol du talon, impatiente.

   — Si vous me rendez ce service je vous paierais bien. C’est important pour moi.

Le mercenaire fronça les sourcils, choqué qu'elle puisse envisager de l'acheter. Puis, il réalisa que conception de l'honneur n'était pas comprise par son interlocutrice. Il essaya de lui expliquer calmement la situation.

   — Ce n’est pas une question d’argent. Erin me tuera lorsqu’elle vous découvrira à bord. Faire monter un passager clandestin, c’est mon licenciement assuré. Et pas question de retrouver du travail dans une autre équipe.

   — Carlos, vous savez bien que je ne serai pas un passager clandestin quelconque. Je vous assure que je plaiderai votre cause auprès de Steve et qu’il m’écoutera. Je vous en supplie…

Carlos se remit à marcher lentement, la tête basse. La cicatrice en travers de son ventre était encore douloureuse, surtout en ce moment, avec les sacs lourds et encombrants qu'il portait. Il ne balança pas longtemps entre reconnaissance et discipline.

   — Dans une demi-heure je remonte à bord. Je vous ouvrirai la soute pour que vous puissiez entrer. Pour le décollage ça ne va pas être confortable, calez-vous bien dans un coin. Ensuite, je vous ferai entrer dans la partie pressurisée avant que nous soyons dans l’espace. Mais c’est une très mauvaise idée… Ça va brasser quand on vous trouvera.

   — Merci Carlos, merci beaucoup. Je m’en souviendrai.

   — Si vous pouviez seulement sauver mon job…

Christa perçu toute l’inquiétude qu’il y avait chez Carlos, presque de la détresse. Une fraction de seconde, elle s’en voulu de le mettre dans une position aussi inconfortable. Profiter de la dette qu'il avait envers elle pour l'obliger à risquer sa carrière, ce n'était pas bien. Mais la pensée que Ruslan et Hugues étaient en danger redevint vite prioritaire. Elle espérait juste avoir assez d’influence sur Steve pour sauver la mise au mercenaire après coup.



Erin avait pris le siège de commandant et prenait son rôle avec grand sérieux. Certes, elle avait déjà remplacé Steve à la tête de ses troupes, mais jamais au départ d'une mission aussi délicate. Elle avait confiance en elle, bien sûr.  Seulement, elle avait donné sa parole à Christa. Elle ne se voyait pas revenir devant la jeune femme, pour lui annoncer l'échec de la mission, voire la mort de ses amis.

L’aéronef avait décollé depuis quelques minutes et surplombait déjà les nuages d’altitude.

   — Tout le monde reste à son poste. On va sauter immédiatement.

Carlos blêmit.

   — On ne prend pas un vecteur progressif ?

   — Pas le temps. Je veux rattraper Ivanov avant qu’il ne se foute dans la gueule du loup.

Elle tendit la main vers le tableau de bord. Carlos fit vivement un geste pour la stopper.

   — Attend, ne fait pas ça !

Erin suspendit son mouvement.

   — Pourquoi ? Il y a encore une bombe ?

Carlos soupira et se tassa dans son siège.

   — Il y a un passager clandestin dans la soute.

   — Quoi ?

Erin, incrédule, fixait son lieutenant.

   — Un passager clandestin ? Et c’est toi qui l’as fait entrer ? Qui est-ce ?

Carlos aurait préféré être invisible. Il murmura:

   — Melle Kalemberg.

Un silence lourd s’établit pendant de longues secondes. Erin se tourna finalement vers Rob et ordonna d'une voix sèche :

   — Vas me la chercher.

Rob claqua des talons et sortit. Carlos, la tête basse, n’osait plus respirer. Le silence glacial d’ Erin l’effrayait plus que la terrible engueulade à laquelle il s’attendait. Quelques minutes plus tard, des pas résonnèrent dans la coursive. Rob réapparu, suivi par Christa. Erin la regarda froidement.

   — Melle Kalemberg, vous êtes montée à bord de mon astronef sans autorisation. En conséquence, vous serez consignée dans une cabine durant tout le temps du voyage, jusqu’au retour sur Ursianne. Nous déciderons alors de la conduite à tenir : vous remettre aux autorités et porter plainte contre vous, ou trouver un règlement privé à cette situation.

   — Mais si je suis ici c’est pour aider…

   — Vous ne m’avez pas comprise : vous n’êtes pas en position de négocier quoi que ce soit. Rob, enferme là dans la cabine numéro quatre.

   — Mais c’est la moins confortable…

   — Ce n’est pas un voyage d’agrément !

Erin avait hurlé. Instinctivement, Rob se remit au garde à vous et, d’un signe de tête, demanda à Christa de sortir de la passerelle. Erin jeta un regard noir à Carlos.

   — Je te jure que tu vas me le payer. Je vais m’occuper de ton cas en rentrant sur Ursianne. En attendant tiens-toi à carreau.

Elle se retourna vers le tableau de bord et appuya rageusement sur les boutons. Carlos resta tétanisé sur son siège. Il s'attendait à une sortie violente, et pourtant, sauf sur une phrase, Erin avait gardé un ton mesuré mais glacial, qui lui donnait des frissons dans le dos. En particulier, il était terrorisé par la rage qu'elle avait manifesté envers Christa Kalemberg : il était persuadé que les deux femmes étaient très amies, hors elle l'avait traitée en étrangère, en délinquante même.

Rob ouvrit la cabine numéro quatre et s’effaça pour laisser entrer Christa.

   — Je suis désolé…

Elle haussa les épaules et jeta un coup d’œil à sa cellule, car, en fait, il s'agissait bien d'une cellule. La pièce étroite disposait de deux lits superposés, mais elle servait surtout de pièce de rangement. De nombreuses caisses étaient entreposées, certaines sur les lits. Christa entreprit d’en dégager un, pour pouvoir s’allonger. Il n’avait pas de drap, seulement un matelas rudimentaire. Le rôle de celui-ci semblait être d’assurer seulement un minimum d’isolation, par rapport au châssis métallique et aux planches qui remplaçaient le sommier.

Il faisait froid dans la pièce. Elle s’acharna un moment sur le réglage de la climatisation, mais le boîtier semblait en panne. Prise d’une crise d’anxiété, elle tambourina sur la porte, mais personne ne vint. Désorientée, elle retourna se glisser sur la couchette où elle se recroquevilla en position fœtale, pour lutter contre le froid. La paroi vibrait légèrement, alors que les moteurs poussés à fond arrachaient l’astronef à l’attraction de la planète. Elle ressentit alors toute la fatigue due aux épreuves traversées ces dernières heures.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Guy de Grenoble ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0