Incident

3 minutes de lecture

   L’incident mit un terme à la soirée et chacun alla s’isoler dans sa chambre. Malgré les tentatives réconciliatrices de Jade, Claire se montra complètement muette pendant des jours. Elle fut absente tout le week-end mais Monsieur Grandet n’osa trop rien dire, puisque toute la famille semblait liguée contre son autorité. Il décida qu’il valait mieux, pour son entreprise et pour sa famille, qu’il passe les journées au travail plutôt qu’à la maison. Le lundi, il s’y rendit en fin de matinée.

   –– Si tu ne veux pas faire d’efforts pour redresser la compagnie, laisse-moi au moins la possibilité d’en faire ! plaida Justin en regardant l’heure.

   Comme il n’était pas question de donner les rênes à quiconque, Charles Grandet assura qu’il arriverait désormais tous les jours à huit heures sonnantes. Le lendemain, il prit la voiture bien avant que le jour se lève et se trouva coincé dans les embouteillages, auxquels il n’avait plus été confronté depuis bien longtemps. Il arriva très en retard et dut se rendre à l’évidence que le train, malgré son odeur rebutante et la racaille qui y traînait, était le moyen de transport le plus fiable.

   Les vacances scolaires commencèrent le vendredi soir. Jade passerait les deux semaines chez Aurore et son vieux mari. Pour Monsieur Grandet, cette légère différence d’âge était aisément compensée par la le confort financier qu’offrait le brave homme. Baptiste et Claire, qui admiraient nettement moins leur grande sœur, iraient à la montagne chez leurs grands-parents maternels. Une fois délesté des enfants, le couple se rendit à l’église pour la fameuse fête du chœur.

   Les premières rangées de bancs avaient été remplacées par un immense buffet qui croulait sous les pâtisseries et les boissons. Une trentaine de personnes était déjà présente : ici, on chantait des prières à quatre voix en s’esclaffant et là, on s’empiffrait de canapés en buvant du mousseux. Madame Grandet présenta, ravie, ses camarades à son mari, qui fit mine d’être intéressé.

   –– Marie, ma chère, comment s’est passée ta semaine ? apostropha un grand blond qui devait entamer sa quarantaine. Bonjour, Charles, n’est-ce pas ? J’aurais pu douter de ton existence, railla-t-il en tendant la main, si ta femme ne parlait pas autant de toi !

   –– Vous devez être nouveau, car je suis déjà venu à ce pot, rétorqua l’intéressé d’un ton froid.

   –– Tout juste dix ans. Pas si nouveau, mais c’est vrai qu’ici, il y a un paquet de carcasses ! Au fait, je m’appelle Franck.

   Monsieur Grandet mentit : il n’était pas enchanté par cette rencontre, ni par les suivantes. Une forte cohésion régnait entre les chanteurs et il se sentait totalement étranger, ici, dans sa propre église, à un kilomètre de chez lui. Il reconnut pourtant quelques visages croisés à la messe et tâcha de faire la conversation. Prenant sur lui, il accompagna sa femme sur la piste de danse, pour compenser les pâtisseries, plaisanta-t-il même. Pour la dernière danse, il offrit son bras à une soprano octogénaire qui en fut très touchée. Le bilan de la soirée lui semblait presque positif, seulement, achevant de danser avec sa femme, Franck revint vers lui, éméché :

   –– J’ai oublié de te dire, mon Charles. Il paraît que tu diriges une grosse boîte. Mon fils Bryan a besoin d’un stage, c’est pour l’école. Tu ferais ça pour moi ?

   Il lui confia une enveloppe et se dirigea vers sa moto. Madame Grandet l’en empêcha et décida de le raccompagner chez lui en voiture.

   –– Où est sa femme ? s’étonna Monsieur Grandet.

   –– Ils ont divorcé avant la naissance de Bryan !

   Les semaines suivantes s’écoulèrent très vite. Un nombre incalculable de lycéens profitait des vacances pour prendre des cours de soutien auprès de Madame Grandet, si bien qu’elle n’avait pas plus de temps libre que son mari, absorbé par le redressement de la compagnie. Il lui fit toutefois remarquer que ce rythme ne serait pas tenable dès lors que les enfants reviendrait. Et comme elle avait de nombreuses responsabilités domestiques, il était peut-être préférable qu’elle arrête son travail.

   Curieusement, elle ne fut pas de cet avis. Une nouvelle routine matinale s’installa donc à la reprise : le petit-déjeuner était pris en famille, puis tout le monde montait dans la voiture. Claire déposait Jade à l’école sous la surveillance attentive de Madame Grandet, puis se garait sur le parking de la gare. De là, elle marchait avec Baptiste jusqu’à leur établissement tandis que leur père montait dans le train et leur mère reprenait la voiture pour vaquer à ses occupations, multiples et variées, comme l’avait bien compris Monsieur Grandet. Il n’arrivait pas à huit heures, mais montrait malgré tout sa bonne volonté à son fils. Justin avait cessé de réclamer plus de pouvoir, et ils ne se disputèrent plus.

   Du moins, jusqu’à ce qu’il soit question du stage de Bryan.

Annotations

Vous aimez lire Fongus ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0