06 Dans les bois (2/3)

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 Une détonation retentit, des oiseaux s’envolèrent aussitôt. Celtica tira sur les rênes pour maîtriser le sursaut de Rivalis, qui, paniqué, risquait de le désarçonner. Ce bruit, il l’avait déjà entendu. Il baissa les yeux sur le pistolet alchimique qu’il avait attaché à sa ceinture. Les capsules pouvaient-elle fonctionner sans cette arme ? Ou les ennemis en auraient-il aussi en leur possession ?

 –Allez ! cria-t-il en frappant de ses talons les flancs du cheval.

 Rivalis ne se fit pas prier, et redoubla d’efforts. Des cris résonnaient dans la forêt, Celtica sut qu’ils se rapprochaient à grands pas. Il redoutait ce qu’il allait découvrir. Il s’attendait à tout, mais nourrissait peu d’espoir d’assister à un dénouement heureux. S’il était arrivé quelque chose à Cléon…

 Il aperçut un cheval agité, qui semblait hésiter entre fuir ou attendre. L’arrivée de Celtica et Rivalis le décida rapidement, il s’enfonça plus profondément dans la forêt. Tant mieux pour lui, si des combats devaient éclater, Celtica préférait limiter les victimes. Il y en aurait déjà trop.

 Des éclats de voix lui parvinrent, et grossissaient de plus en plus. De l’arcan. Celtica ralentit l’allure de Rivalis, qui résista un peu à son ordre. Tout doucement, ils évoluèrent entre les arbres, le jeune homme remarqua d’étranges pierres brunes perdues entres les feuilles mortes, les aiguilles de pin et les fougères. Par prudence, Celtica éloigna Rivalis des végétaux, et scruta avec attention le sol. Il ne voulait prendre aucun risque, et l’explosion qu’il avait entendue plus tôt ne pouvait qu’être lié à ces capsules abandonnées. Il se mit alors à espérer.

 Au détour d’un groupe d’arbres, il retrouva ceux qu’il cherchait. Ils n’étaient que deux, et leurs vêtements sombres confirma au prince qu’il ne s’agissait pas des hommes qui les suivaient encore la veille. L’un d’eux était au sol, son cheval couché sur le flanc un peu plus loin, sans doute blessé sinon mort. Le second homme pleurait et hurlait des insanités en arcan que Celtica regrettait de comprendre. Le sol entre le cavalier malheureux et sa monture malchanceuse était brûlé sur un relativement large cercle. Une légère odeur de souffre flottait encore dans l’air, mais il n’y avait plus aucune fumée. Le feu avait dû être rapidement maîtrisé.

 Rivalis marcha sur une branche qui craqua sous son sabot, l’homme conscient se leva et se tourna vers eux. Les yeux exorbités et les cheveux en bataille, il ressemblait à un fou. Mais ce qui frappa le Brasien, fut sa mâchoire maculée de sang, où un énorme hématome sombre fleurissait. Celtica serra ses doigts autour de la poignée de son sabre, et commença à rassembler son énergie.

 –J’espère que ma compagne est en bonne santé, lança froidement le prince en arcan. Où est-elle ?

 –Si j’trouve cette chienne, j’te jure que j’la crève ! cracha-t-il pour toute réponse.

 Celtica eut un léger soupir. Elle était vivante, et probablement loin d’eux. Néanmoins, il fit brutalement taire ses scrupules et s’apprêta à charger. Il ne montait pas un cheval de guerre, mais Rivalis sembla comprendre ce qu’il s’apprêtait à lui ordonner et se positionna de lui-même face à leur adversaire. Même si cela lui en coûtait, Celtica ne pouvait laisser en vie cet homme qui insultait et jurait de tuer Cléon. Très calmement, Celtica fit rouler ses épaules et raffermit sa prise à la fois sur les rênes et le sabre.

 Il n’avait encore jamais tué personne. En réalité, il haïssait l’idée même de donner la mort. Mais la fureur qui l’habitait ne retiendrait pas son bras.

 L’homme dégaina une simple épée. Dans un cri de rage, il se rua sur le cavalier impérial. Celtica talonna Rivalis, et le lança à pleine allure. Lorsque les deux adversaires se croisèrent, l’homme manqua de faucher la jambe du prince, sauvé par un extraordinaire écart de Rivalis. Celtica serra les dents, laissa avancer un peu son cheval, lui fit faire un demi-tour et le lança à nouveau au galop. D’un geste précis et rapide, il trouva la gorge de son adversaire. Il s’écroula aussitôt, dans un terrible gargouillis qui fit frémir le jeune homme.

 Il venait de tuer pour la première fois.

 Celtica se laissa glisser à terre, tout tremblant. La tension du combat se dissipait, et il prenait enfin conscience de l’horreur de son acte. Il n’avait pas eut le choix, s’il l’avait laissé en vie, il les aurait tués, eux ! Cette pensée, bien que rationnelle, lui retourna immédiatement l’estomac, il se mit à vomir.

 Il reprit ses esprits et s’approcha de l’inconnu étendu près de son cheval. Il avait la peau gravement brûlé, les yeux ouverts dans une expression de terreur à jamais figée. Il était déjà mort.

 Surmontant ses réticences, Celtica fouilla ses poches et sa sacoche, y trouva des pièces, une carte abîmée et une lettre.

 –Le prince Celtica Illis de Noblargent doit mourir, lut-il. Ramenez-moi sa tête, tout doit être mis en œuvre pour atteindre cet objectif. Vous toucherez une forte récompense. L’Épervier.

 Celtica fronça les sourcils et plia l’ordre avant de le glisser dans son sac. Il fouilla brièvement celui qu’il venait de tuer, et récupéra une pyrolithe avec sa neutralithe, deux gemmes alchimiques. La première diffusait une douce lumière et une agréable chaleur, la seconde permettait d’empêcher la première de gaspiller son pouvoir. Une découverte très utile, ces gemmes s’avéraient relativement rares, bien que peu onéreuses. Il n’avait pas pu en acheter en quittant Port Lumis.

 Le prince ramassa les capsules qu’il voyait et remonta à cheval. Il fallait maintenant retrouver Cléon. À nouveau, Rivalis sembla savoir exactement où aller, il avançait sans aucune hésitation et refusait catégoriquement de dévier de sa route. Celtica choisit de lui faire confiance.

 Le temps lui donna raison, il finit par trouver une petite silhouette recroquevillée sur elle-même, au pied d’un chêne. Sans attendre que Rivalis s’arrête, Celtica sauta à terre et se précipita sur la petite masse, le cœur sur le point de s’arrêter.

 –Cléon, souffla-t-il, la voix chevrotante.

 Elle ne répondit pas. Il écarta une mèche argenté de son visage, et posa une main sur son front et sursauta. Elle était brûlante ! Il se hâta de défaire ses liens, la manipula délicatement à la recherche d’éventuelles traces de blessure. Elle semblait indemne, mais malade. Au moment même où il la souleva, elle ouvrit les yeux. D’un air hagard, elle lançait des regards autours d’elle.

 –Celtica, gémit-elle avec une sorte de désespoir. Ils…

 –Tout va bien, répondit-il, franchement soulagé. Ils ne poseront plus de problème.

 L’entendre prononcer son nom lui procura un plaisir curieux. C’était un soulagement immédiat, une sorte d’apaisement, un remerciement. Il ne put s’empêcher de sourire. Cléon le lui rendit, les yeux mi-clos, visiblement bien mal en point.

 –Merci, lâcha-t-elle. Merci.

 –Il faudra que tu remercie aussi Rivalis, plaisanta-t-il pour cacher son émotion. C’est lui qui t’a retrouvée.

 –C’est vrai ?

 Quel bonheur de l’entendre à nouveau ! Il n’aurait jamais cru que le son de sa voix le ravirait autant. Il la porta jusqu’à Rivalis qu’elle caressa d’un geste mou, puis la hissa sur l’animal. Elle se coucha sur l’encolure, la respiration saccadée.

 –Celtica ? Il y a une potion dans mon sac…

 Aussitôt, le jeune homme la lui donna, et l’observa l’avaler et grimacer. Il s’agissait de la même potion qu’elle lui avait donnée le soir de leur rencontre ! Aussitôt, il examina ses vêtements à la recherche d’une trace de sang, qui trahirait la présence d’une blessure.

 –Arrête de me regarder comme ça, je vais bien…

 –Mais cette potion…

 –Elle m’aidera à faire baisser la fièvre. J’ai pris froid, cette nuit.

 –Tu m’as donné la même.

 Elle soutint quelques instants son regard, et ferma les yeux.

 –C’est ce qui est formidable avec elle, elle lutte aussi contra la fièvre.

 Celtica se sentit soulagé. Au moins, elle n’avait pas été brutalisée. Il passa un pied à l’étrier, et se hissa sur le dos de Rivalis qui accepta ce nouveau poids sans broncher. Cléon se redressa d’un coup, et se tourna vers lui, comme s’il venait de la trahir. Celtica en eut le souffle coupé. Elle avait une telle expression de haine qu’elle en paraissait effroyablement dangereuse, en dépit de sa fièvre. Sa dague n’était d’ailleurs pas très loin de sa petite main…

 –Qu’est-ce que tu fais ? siffla-t-elle, menaçante.

 –Je monte à cheval, comme tu peux le voir, répondit-il aussitôt, surpris par sa réaction. Il faut qu’on sorte rapidement de la forêt pour trouver un endroit correcte pour que tu puisses te reposer, et je doute que tu puisses tenir toute seule à cheval, dans ton état et sans savoir monter.

 Cléon contractait sa mâchoire dans une expression qui lui rappela aussitôt Aljinan. Elle ne pouvait vraiment pas renier son père ! Mais cette attitude défensive l’inquiétait.

 –Qu’ont-ils osé te faire, Cléon ?

 –Rien. Ils m’ont juste giflée et attaché les bras dans le dos. C’est tout. Mais je veux pas qu’on me touche !

 Le prince analysa leur situation. Il ne voulait pas la contraindre à quoi que soit, et surtout rendre son trajet inconfortable, mais il craignait que son état empire avant qu’ils ne retrouvent la route.

 –Je suis désolé, mais il faudra le supporter. Je n’ai pas d’autres solutions, et je n’ai pas l’intention de courir derrière Rivalis.

 –Très bien, abdiqua Cléon, mais si tu fais quelque chose qui me plaît pas, je t’enfonce ma dague dans la cuisse ! C’est clair ?

 –Comme de l’eau de roche.

 Celtica talonna Rivalis, et ils se mirent en route au trot. Cléon souffrait, c’était évident. Sa respiration saccadée, son maintien vacillant, ses changements perpétuels de position, tout indiquait son malaise. L’allure de leur monture ne lui convenait pas, mais il fallait absolument sortir des bois, et ce très rapidement. Le prince gardait le cap vers le nord, certain de retrouver la route d’un moment à l’autre.

 La Lumissienne vint finalement s’appuyer contre le jeune homme, à sa grande surprise, les yeux clos et le visage ruisselant de sueur. Il se sentit rougir et eut un petit sourire. Ne l’avait-il pas avertie que la nuit pouvait être fraîche, malgré la saison ? Elle n’avait fort heureusement qu’attrapé froid, elle irait mieux après un peu de repos. Ils auraient peut-être la chance de trouver une ville, et ainsi y dénicher un médecin ou un herboriste.

 Celtica resta attentif à son environnement. Quelqu’un, cet Épervier, cherchait à le tuer, et il ne serait pas surpris que d’autres viennent s’en prendre à lui. Il restait à savoir si ceux qui les suivaient faisaient parti des hommes de main de l’Épervier. Le prince n’avait aucune théorie à ce sujet, il pouvait s’agir d’une coïncidence ou d’un piège destiné à les conduire en forêt. Dans tous les cas, il fallait retrouver la route, au plus vite. Il n’y avait pas que les humains à craindre, mais aussi des animaux particulièrement agressifs et dotés de pouvoirs magiques rudimentaires, souvent qualifiés de monstres. Ils étaient au règne animal ce qu’étaient les Sorciers à l’humanité… en moins puissant. Ils posaient rarement problème, mais avec Cléon dans cet état, il ne voulait courir aucun risque. Il n’était pas non plus certain de pouvoir les protéger tous les trois à lui-seul.

 Les mercenaires voleurs d’Ironie avaient sans doute prit beaucoup d’avance sur eux. L’espoir de les rattraper avant la frontière s’amenuisait d’heure en heure, mais Celtica ne voulait pas abandonner. Il ne le pouvait tout simplement pas. Ironie était bien trop précieuse, bien trop importante pour l’empire. Les dieux ne le laisseraient jamais en paix sans elle.

 La forêt s’assombrissait, l’air moite annonçait une forte pluie. Elle ne durerait peut-être pas très longtemps, mais il craignait qu’elle n’empire l’état de son amie. Il l’observa rapidement. Elle dormait et elle semblait respirer un peu mieux. Il n’eut pas le cœur de la réveiller, et décida de forcer l’allure. Rivalis ne protesta pas, malgré la fatigue qu’il avait très certainement accumulée depuis des heures de marche déjà, et le poids de deux humains sur le dos ! Les chevaux n’étaient naturellement pas fait pour transporter un cavalier, alors deux… Cet animal était une force de la nature, qui forçait continuellement son respect. Il ne regrettait pas un seul instant de l’avoir acheté !

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