Répit

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Je suis à présent dans le salon. Les lieux ne me sont pas familiers. Deux types s'y trouvent aussi, occupant deux côtés opposés de la pièce. Ils sont jeunes, moins que moi, la trentaine environ. Le siège se trouve entre les deux, un peu à l'écart de la fenêtre. Il m'attend. La couleur bleue du fauteuil est agréable à voir, elle lui donne l'air plus doux et confortable. Le bois massif est imposant et chaleureux, vivant. Son style ancien est réconfortant.

« Alors ? Comment ça se présente ? Il n'y a pas de contretemps à prévoir, je suppose. Pas de complications ? » Je reconnais la voix qui est venue me chercher dans la chambre close. Le type en question est blond avec les cheveux légèrement décoiffés, assez pour lui donner l'image désinvolte de ceux qui ont de l'assurance. Pour une raison que j'ignore, je dirais qu'il s'appelle Léonard. L'autre, en revanche, je ne me l'explique pas non plus, mais un nom flotte au-dessus de sa tête lorsque je le regarde : Idriss. Cheveux châtains, calme, attentif quoique fatigué, il me surveille.

Soudain, la situation m'apparaît des plus claires : des criminels, certainement des meurtriers. Je dois me sortir d'ici le plus vite possible, gagner du temps, faire en sorte qu'ils ne se débarrassent pas de moi de sitôt. Comment ? Parler, en apprendre plus si possible, s'exprimer de façon évasive, neutre, pour ne pas se faire prendre en grippe par ces deux-là.

« Le programme ? dis-je spontanément avec une hasardeuse tranquillité.
  • Le mieux, ce serait de faire le point, dit Léonard, non sans saisir mes sous-entendus.
  • Ensuite ?
  • On te garde avec nous. C'est plus sûr. »

Dans cette atmosphère détendue qu'il y a chez ces types et leur fatigue naissante, j'entrevois une, sinon la seule, opportunité de m'échapper. Je me rappelle que j'ai toujours le revolver chargé sur moi. Il faut que j'attende le bon moment, lorsqu'ils sont distraits et qu'ils ne me regardent pas. Je doit réussir dès la première tentative. Mais que faire ? Les menacer, le premier qui dégaine en priorité et tirer, aussi. Tant de paramètres à tenir en compte, ma tête explose, rien de ce que je prévois n'est moins sûr.

J'essaye d'adopter une attitude naturelle qui me permettrait de dégainer rapidement. Sauf que rien ne me facilite la tâche.

« Tu es plus épuisé que d'habitude, je dirais. »

Cela m'énerve encore plus et il s'en aperçoit.

« Ce n'est pas la peine de te fatiguer davantage. »

Je ne veux plus attendre. Il n'est plus que question de faire les bons mouvements. Je glisse doucement ma main... Non ! Je suis blessé à la main droite ! Trop tard. Je dois le prendre au plus vite avant qu'ils ne répliquent.

« N'essaye même pas ! »

Avant même d'avoir pu mettre la main sur le revolver que déjà les deux types ont leurs bras tendus avec leurs pistolets pointés sur moi. Je pressens le pire, ce qui m'empêche de faire le moindre geste. Je suis incapable de bouger.

Léonard rengaine son pistolet tandis qu'Idriss me tient toujours en joue. Le premier s'approche de moi et prend le revolver ainsi que les feuilles que j'ai récupérées de ma captivité. Il vérifie aussi les autres poches et me prends la lettre où est écrit le mystérieux mot avant d'aller s'asseoir examiner le tout sur le bureau. À ce moment là, Idriss a lui aussi rengainé son pistolet.

« Tu es cinglé. Tu n'en as pas eu besoin. De toute façon, tu n'en avais pas besoin. Tu as aussi rapporté les notes. C'est honorable, mais pas absolument nécessaire. »

C'est toujours Léonard qui parle. Il a fait le point tout seul sur ce qui me concerne. Il n'a rien laissé transparaître sur ce qu'ils ont l'intention de me faire. Je suis perdu au fond d'une multitude de possibilités sur lesquelles je n'ai aucune prise et qui vont m'emporter avec elles sans qu'elles ne me correspondent.

À présent, plusieurs petits instants se sont écoulés depuis l'incident. Mon cœur ne bat plus aussi fort et vite que tout à l'heure, mon corps est plus reposé, les deux types n'ont pas bougé plus que ça et l'ambiance silencieuse me tranquillise. Mes oreilles entendent une douce musique que jouent nombre d'instruments : piano, violon, saxophone... une musique ralentissant le temps des inquiétudes pour les remplacer par une joie indescriptible accompagnée par les plus belles émotions.

« Tu es si fatigué que ça, Gangi ? » me demande Léonard. Je ne lui réponds rien. Je ne comprends pas la question et ne trouve rien à lui répondre.

« D'accord. Emmène-le se reposer et monte la garde. Je m'en occuperai à mon réveil. » Idriss obéit et me dit de prendre l'enceinte qui se trouve dans l'armoire. Elle doit jouer depuis que je suis arrivé. Ce n'est que maintenant que je m'en rends vraiment compte. Mais ce n'est pas du tout le même son que lorsque j'ai été sauvé du R.A.I.D.. Peu importe. Sûrement un autre appareil qu'ils ont ramené. Cependant, je ne comprends pas pourquoi je dois la prendre avec moi.

Idriss me guide, façon de parler, dans ma chambre, encore façon de parler. La pièce n'est pas très grande : il y a un lit, une chaise et une table de nuit. Les volets sont fermés et les rideaux tirés. Je suis juste derrière le passage par lequel je suis entré dans cette maison.

« Pose-la où tu veux. »

Je pose l'enceinte en face du lit.

« Si tu as faim, il y a du saucisson. »

Je prends le saucisson qu'il me tend. C'est vrai que j'ai faim ! Je n'ai pas mangé depuis avant mon réveil dans la chambre close. Malgré la faim, je peine à manger et ce n'est qu'avec de petites bouchées que je finis lentement le saucisson.

La situation est déprimante ; je suis l'otage de quelques fous furieux et l'une des seules rares choses qui m'aient fait tenir le coup vient de disparaître d'entre mes mains : le saucisson. Il était bon, le saucisson. Une saveur que je n'aurais pas pensé retrouver ici, dans le feu de l'action et cette situation des plus précaires. Une situation bien critique, en effet.

« Tu ferais mieux de dormir. »

La présence opprimante d'Idriss me gêne, mais je me résous à essayer de dormir ; je suis vraiment très fatigué.


Hein ?

Je suis réveillé. Il fait encore noir et je reprends doucement mes esprits. Ainsi, mon regard fixe le vide devant moi en se heurtant contre l'obscurité. Mon corps se trouve dans cet état, pendant le réveil, où le cerveau ne rêve plus mais se trouve impuissant face à un corps qui fonctionne par automatismes et dont la coordination entre les deux entités laisse s'échapper d'hasardeuses réponses cognitives.

N'importe quoi ! Arrête de dormir !

Idriss est toujours là et m'indique de m'activer. Je pense bien faire en me dirigeant vers la porte mais son regard désapprobateur m'intime de ne pas le faire. Ses yeux parcourent rapidement la pièce pour finalement me faire comprendre que je ne dois pas oublier de prendre l'enceinte avec moi. Quelle fixation ! Je sors néanmoins de la pièce avec l'objet dans la main, presque en me faisant pousser.

Je me retrouve à nouveau dans l'espèce de bureau ou de salon dans lequel je les ai rencontrés. Une horloge montre qu'il est 9 heures. Léonard semble travailler. Ce dernier, en me voyant, termine rapidement ce qu'il était occupé à faire.

« Te voilà ! » Le temps de mettre un semblant d'ordre dans ses affaire et il reprend la conversation.

« Si tu as faim, il y a du saucisson.

  • Il n'y a que ça à manger, ici ? dis-je, le morceau de charcuterie en main.
  • Je n'aurais pas eu à te le proposer si tu ne t'étais pas endormi comme un loir. »

En voyant par la fenêtre, la pluie continuant de tomber et les ténèbres qui s'en dégagent, je comprends que le soir est déjà bien avancé.

« Quoi qu'il en soit, mets-toi à l'aise, prends de l'eau, installe-toi confortablement... parce qu'il faut encore parler de la lettre. »

Après quelques instants d'hésitation, je m'avance doucement vers la bouteille d'eau que je prends avant de m'asseoir dans le généreux fauteuil bleu. La sensation que je sens en laissant couler l'eau fraîche dans mon corps est merveilleuse. Une très belle sensation que je fais durer le plus longtemps possible en profitant au mieux de chaque gorgée dans l'optique de retarder le moment des explications.

« Ouvre l'enveloppe. Qu'est-ce que tu attends ? »

C'est ce que je fais.


1-Sabrina : teint pâle, cheveux blonds, yeux verts, inoffensive.

2-Salle 514ty terminé : fenêtres faiblement bloquées faible visibilité, revolver chargé 6 fois, otage, YAUR, bombe, sûre.

3-Famille : rançon 30000000 50 millions, demander, faire peur, exiger, agir, danger.

4-Police : recherche, négociation, observation, dangerosité inconnue. Libération ?

5-R.A.I.D. : armer, cacher, fuir, détruire, très dangereux.

6-Repaire : musique, repos, préparatifs, sûr.

7-Bâtiment : explosifs, surveillé, recommencer, entrer. Dangereux ?

8-Samuel : vérifier, corriger, attendre, faire confiance.

9-Démolition : signal, mise à feu.


Ce sont les instructions qu'il y avait dans la chambre close. Cette fois, par contre, elles sont complètes. C'est aussi la même écriture neutre que l'autre fois. Je suis perdu. Qu'est-ce que je suis censé faire avec cette lettre ? Est-ce qu'ils attendent quelque chose de moi, maintenant ? Si c'est le cas, ils risquent de ne pas être très contents.

« Et alors ? »

À peine ces mots dits, que je me demande si je ne suis pas complètement suicidaire.

« Et alors ? Tu as un peu plus d'une semaine avant d'en finir avec l'opération. Pendant ce temps, tu pourrais t'occuper en revoyant les étapes du plan. » Le type passe sa main dans ses cheveux blonds, légèrement bouclés, tout en me regardant avec incompréhension. « Il y a un problème ? » Devant ma passivité manifeste, il commence à douter. « L'opération ? » La situation se faisant toujours plus critique, je tente, mais en vain, de répondre. « Attends... Non ! Ne me dis pas que tu as perdu la mémoire ! »

Le type s'énerve en gardant un léger sang-froid. « Amnésique ! Comment, d'abord ? » Il regarde l'horloge, ce qui le tranquillise un peu, je crois. « Bientôt 9 heures et demi... Il ne devrait pas tarder. »

Les minutes s'écoulent dans cette atmosphère tendue où ma peur rencontre l'énervement de l'autre. Seul son complice est relativement calme. Attendre. C'est ce que tous les trois faisons. Mais je suis le seul qui ignore ce qu'il attend. Pourvu qu'ils m'oublient un peu.


Quelques minutes plus tard, la sonnette retentit. C'est Idriss qui ouvre la porte, en laissant entrer un jeune homme aux cheveux noirs, d'une vingtaine d'années environ.

« Joaquim ! On t'attendait. »

Léonard accompagne l'invité dans une autre pièce, sûrement la cuisine pour lui offrir à boire. Lorsqu'ils reviennent, ils ont tous les deux une bouteille de ce que je pense être de la limonade. Personne n'a l'air de prêter attention à moi. Sauf Idriss, dont le regard observe la scène dans son ensemble, prêt à intervenir au moindre problème. La visite, attendue, de ce Joaquim, est très détendue.

Léonard, pourtant, se dépêche soudainement de finir sa bouteille.

« Bien... Et pour ce qui est de ta contribution ? »

Bien qu'il ait été détendu jusqu'à maintenant, Joaquim reste silencieux, toujours souriant. Son regard s'assombrit légèrement, ses traits deviennent plus sérieux. Je n'arrive pas à dire s'il est embêté par la question ou s'il se fait désirer. Il finit tout de même par répondre à son interlocuteur.

« La... brune... aux cheveux roux...

  • La brune aux cheveux roux...
  • Et aux yeux argentés. »

Ce dernier détail révélé, Léonard sort son arme et la pointe sur Joaquim, le bras franc.

« C'est la dernière fois que tu me déçois ! »

Le jeune homme n'est pas intimidé par l'arme mais semble désolé.

« Je ne peux pas sincèrement dire que je n'en ai pas envie... mais à chaque fois que je suis sur le point de le faire... je me retrouve perdu avec un obstacle insurmontable qui m'empêche d'aller jusqu'au bout. »

Le voyant dans cet état, Léonard range son arme. Je devine qu'il attend les aveux ou les confidences de Joaquim. Des confidences que je crois connaître. Un air familier dans ses paroles a dû bouleverser quelque chose en moi. En le regardant bien attentivement, je peux dire qu'il me ressemble beaucoup. Serait-ce parce qu'il est jeune ? Ou bien à cause de son regard indifférent mais sans malveillance ? Y aurait-il une autre raison ? Je ne la cherche pas, préférant me concentrer sur ma propre situation et rester attentif à leurs réactions, surtout celles de Léonard.

« Ce n'est pas comme si c'était difficile à faire. Tu n'as même pas besoin d'argent. Mais je peux te donner 5000 euros si tu veux. Sérieusement, tu as une voiture et la Suisse est juste à côté. Il te suffit juste de franchir la frontière. Et puis tu passes déjà beaucoup de temps avec elle. À chaque fois que tu rentres de Lyon, vous vous retrouvez au lac. Tu le sais mieux que moi : il n'y a aucun obstacle sérieux sur votre chemin. »

Je ne comprends pas très bien ce dont il s'agit, mais je peux déjà dire que je n'aime pas l'histoire de Joaquim.

« Je le sais bien, ça... c'est moi qui te l'ai dit. Pourtant, lorsque la semaine au Parc est terminée, je suis décidé à franchir le pas. Tout au long du trajet, je ne fais que me convaincre de plus en plus que je veux le faire. Jusqu'au moment où je vois le panneau Bourg-en-Bresse. Une fois que je suis arrivé, je me sens incapable d'aller plus loin. Mais je suis toujours aussi persuadé qu'il faut que le fasse.

Alors, j'emmène Béatrice en voiture... au lac, souvent... où juste faire une ballade... sans réussir à aller plus loin. Tous les deux, on passe la journée ensemble... J'aime bien ces moments là, lorsque je suis loin, très loin du Parc. Le Parc... Il y a les meilleurs de la moitié de la France, mais je ne m'y plais plus... J'étais très content au début, mais maintenant, je ne sais pas ce qui m'empêche de l'être.

Et lorsque je suis sur le point de retourner à Lyon... le lac réfléchissant un léger coucher de Soleil qui apporte ses belles couleurs chaudes... Béatrice, allongée à côté de moi, ses cheveux brillant à la lumière du jour... et ses yeux étincelants...

Elle voudrait faire comme moi, je suis une sorte de modèle pour elle. Pour moi ce n'est rien : la première fois, lorsque j'ai rencontré son ami Gallois au golf, je lui parlais naturellement en anglais ; mais ça l'a impressionnée de m'entendre parler parfaitement anglais. Je l'entends encore me dire de sa douce voix que je le parlais divinement. Il y a aussi mon projet d'aller vivre à Miami. Elle rêverait d'y aller avec moi. Elle voudrait être aussi sûre d'elle qu'elle pense que je le suis de moi, de vivre un brillant avenir comme elle voit le mien... Pour ça, elle a même décidé qu'elle irait au Conservatoire l'année prochaine.

Et moi, j'en suis réduit à me demander si je vais gâcher ma vie en mettant le plan à exécution. Non. Je ne risque pas autant. Et si je suis discret comme prévu, je ne risque rien. Je veux dire, c'est à peine plus compliqué qu'une fugue bien organisée. Le problème reste que ça peut quand même mal finir, toute cette histoire. Je pourrais me faire tuer. Elle, pourrait se faire tuer... C'est le risque, je pense. Mais ne t'inquiète pas, je sais pourquoi je le fais.

Son regard argenté perdu dans la joie et la tristesse... peut-être que je suis amoureux... belle litote en tout cas ! Ce qui ne change rien au final : ce que j'ai déjà fait est irréversible, et avant la fin de l'année, ce sera permanent aussi pour Béatrice. »


À suivre...

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