Dans un village pas si paisible - V2

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C'était une journée morose, l'automne était arrivé. La chaleur de l'été avait laissé place à des épisodes de pluie qui pouvait durer plusieurs jours. La brise légère des journées chaudes avait été remplacée par des vents cinglants et violent. D'énorme nuage gris se formait formant des nappes orageuses dans le ciel. L'un d'eux se répandait entre le pays de Vendov et de Terrias, deux pays ennemis depuis toujours. Le nuage menaçait de larguer à tout moment son contenu sur la tête des malheureux qui aurait l'audace de s'aventurer en dessous. Et lentement, inéroxablement, se dirigeait vers un petit village vendovien, perdu dans une vallée, encerclé par une forêt qui, comme un champ de fleurs, couvrait l'ensemble de la vallée. Peu de marchands se rendaient sur place, seulement des conteurs de bonnes aventures et des troubadours une ou deux fois l'an. À l'ouest, en contournant la vallée, se trouvait un chemin plus sûr pour les voyageurs se rendant à l'est du royaume de Terrias.

Le village était modeste, composé d'une dizaine de maisons, accueillant chacune une famille, et ressemblait à une petite île au milieu d'un lac. Sa construction avait probablement demandé de déboiser la zone, mais plus personne ne se souvenait de cette période. Les maisons avaient été construites de façon à former une demi-lune, légèrement excentrée du centre de celle-ci, se trouvait une agora permettant le regroupement du village. C'était une grande bâtisse dont l'entrée formait une bouche béate, prête à avaler le village tout entier. On y célébrait tout un tas d'événement, les mariages, les anniversaires, parfois on y installait les artistes qui étaient de passage pour qu'il puisse donner leur spectacle. Une fois l'an la place, ainsi que l'intérieur de l'agora, était couverte de table, et on y préparait les rations de l'hiver. Aujourd'hui pourquoi, ce n'était pas un événement de joie qui avait amené à ce qu'un petit groupe d'adulte se réunisse sous son toit. Un débat houleux s'y tenait, les enfants se tenaient loin de l'agora, ce qui était plutôt rare, eux aimant courir et crier sur cette place immense qui leur laissait la possibilité à jouer à autant de jeux que leur imagination pouvait créer. Les plus jeunes se tenaient debout, campé sur les jambes, les bras croisés, d'autres plus en retrait semblaient un peu perdus dans le débat. Seule une femme se tenait parmi eux, pestant et envoyant ses bras au ciel en réaction aux anciens assis invectivant les hommes et leur stupidité.

En cause de cette agitation, une dépêche arrivée le matin même au village, contenant le message suivant : "L'ennemi est en chemin, la guerre va avoir lieu, aidez les soldats qui passeront."
Clair, simple, efficace. Pourtant, depuis ce matin tout le monde se questionnait sur la position des ennemis et quand passeront ces fameux soldats. Après tout leur village n'était qu'à une demi-journée de la frontière avec Vendov, pays se trouvant à l'est.

Anita était assise, à moitié affalée contre l'agora à l'opposé de l'entrée. De là, elle profitait des quelques rayons de soleil qui n'allait pas tarder à être englouti par l'arrivée d'un altostratus. Bien qu'à l'extérieur, elle pût entendre distinctement à travers les planches du bâtiment, l'ensemble du débat qui s'y tenait. Elle se rappela avoir célébré ici même ses 16 ans, une grande fête juste avant l'été, quand les fleurs commençaient à perdre leur pétale pour laisser place à des fruits. On avait tressé pour elle des couronnes de fleurs d'un bleu lilas. Elle n'était pas du genre à porter beaucoup d'importance à son physique. Mais elle devait le reconnaître, cette couronne avait mis ces yeux gris à l'honneur et se démarquait parfaitement sur ses cheveux raids et noir ébène. On l'avait vêtue d'une robe de lin blanche, qui faisait ressortir sa peau subtilement plus dorée que celle des personnes de la région. Elle s'était trouvée belle, et il lui semblait avoir fait rougir quelques hommes et garçons. Cette soirée-là, elle avait dansé et chanté, accompagnée par les femmes du village, pour célébrer sa future vie de femme comme le voulait leur tradition. Cette perspective ne l'enchantait guère, elle rêvait d'aventures, de quitter le village et voir du pays. Le Royaume de Terrias était grand, et un troubadour avait un jour parlé d'un lac sans fin. Il l'avait appelé la mer, il disait que c'était le berceau de toute eau. Et puis, dans ce minuscule village, elle n'avait pas vraiment le choix des partis. Avec seulement dix familles le composant, les enfants grandissaient ensemble certes mais cela formait de petit groupe de deux trois enfants du même âge. Certains se marieraient entre eux, c'était évident, mais les autres finissaient seul ou quittaient le village. Elle qui préférait l'adrénaline de la chasse à la monotonie de la cuisine avait accepté cette idée. Elle quitterait ces terres dès qu'elle le pourrait. Entendant que le ton montait dans l'agora, elle décida de reporter son attention sur les échanges qui avait lieu.

  • Nous devons faire notre part, si les soldats traversent cette forêt et que nous refusons de leur apporter de l'aide. Il pourrait nous exterminer et personne ne s'en souciera ! Dit sa mère
  • Mais Shanna ! Comment pouvons-nous stocker suffisamment de ressources pour passer l'hiver sans que les soldats n'attaquent nos réserves ? Ce serait de la folie de leur montrer ce que nous possédons vraiment ! Lâcha le boulanger, apparemment très angoissé.

L'échange se poursuivit, et cette fois-ci, ce qui lui sembla être la première fois depuis le début de ce débat, pour trouver une solution. Sa mère ne se démontait jamais, elle était une femme droite, douce également mais que la vie avait endurcie. Elle avait élevé sa fille seule, abandonnée par son mari et le père de son enfant. Elle n'avait pas renoncé et c'était battu pour leur offrir une vie digne bien que modeste. Elle avait aiguisé son esprit critique au fur et à mesure qu'elle avait perdu sa naïveté de jeunesse. Elle pouvait se montrer implacable quand elle éduquait et enseignait les quelques connaissances qu'elle possédait à sa fille. Et d'une douceur et apaisement quand elle soignait les genoux écorchés en fin de journée, après une sortie en forêt. À la fois le fer et la soie, d'un équilibre parfait, elle ne s'emportait qu'à de rare occasion, et possédait comme un talent naturel pour désamorcer tout type de conflit. Ces talents de médiatrice lui avaient valu une place au conseil, et il semblait qu'encore une fois celui-ci se range à son avis. Anita entendit quand l'ancien, Egonis, un petit vieux qui lui arrivait au milieu de la poitrine, demanda un vote. Les votes se répétèrent à plusieurs reprises, certainement car le résultat était trop serré. Après quelques échanges le vote reprenait, et c'est ainsi que fût décidé que la caverne plus au nord du village, perdu dans les bois serait utilisée pour stocker les vivres du village. Seuls les vivres à donner aux soldats seront stockés dans leur vieille cabane, entrepôt commun, depuis qu'ils avaient connu la famine dix ans en arrière. Elle ne faisait pas partie du village quand cela se produisit, mais les histoires qu'on racontait de cette période lui glaçaient toujours le sang.

Seule une personne connaissant les lieux pourrait trouver cette cachette. Anita valida intérieurement ce choix, elle connaissait sur le bout des doigts la forêt environnante, il n'y avait pas meilleur lieu à une distance raisonnable.

Elle se leva, laissa les chefs de famille clôturer leur matinée de débat, et partie faire une première fois le trajet pour baliser la route. D'autres auraient pu certainement le faire mais elle n'était pas du genre à attendre qu'on lui demande de se rendre utile au village. Elle se rendit directement à ce qui leur servait d'entrepôt. Une vieille cabane toute trouée, les planches usées par le temps et les intempéries, ce qui venait contraster avec un toit dans un état impeccable. Le charpentier disait que les trous étaient pour la ventilation, mais elle restait convaincue que tout allait s'écrouler.

Elle se saisit d'une cagette remplie de patates farinées de la saison. Le poids ne la dérangeait pas. En effet, elle était habituée à aller chasser pour nourrir sa mère. Son corps était élancé musclé, rien de ce que les garçons attendaient d'une jeune fille de son âge. Mais elle appréciait cela, cette force et son endurance lui permettaient de passer plusieurs heures en forêt à traquer son gibier. Et quand la prise était bonne elle pouvait même en revendre une partie à d'autres villageois. Elle était la chasseresse de leur village, et par ce rôle elle s'évitait de devoir passer ses journées avec les autres filles à coudre, à tisser et toutes ces activités délicates qu'elle détestait plus que tout.

Sa cagette à la main, elle avait traversé la moitié du village quand la voix de l'apprenti forgeron la sortit de ses pensées

  • Anita ! Vraiment tu ne perds pas de temps.

Elle déposa la cagette à ses pieds avant de le regarder. Il n'était pas désagréable à regarder même pour elle qui n'était pas très portée sur les garçons. Avec son crâne rasé de près ne laissant deviner que la couleur brune de ses cheveux, son regard couleur noisette, ses traits délicats et sa mâchoire carrée, il faisait un peu plus âgé que ses 15 ans tout juste célébrés. Il était apprenti forgeron depuis plus d'une année et avait pu développer une belle musculature en travaillant quotidiennement. Il était un peu plus grand qu'elle et ne se séparait jamais de son tablier, qui laissait voir ses bras encore imberbes.

  • Qu'est-ce que tu veux Maël ? Tu n'as pas des armes quelconques à forger ?

Il prit une mine triste et, pendant quelques instants, il eut l'air d'un petit enfant.

  • Non, nous partons. Mes parents ne veulent pas prendre le risque que je sois enrôlé. Nous allons fuir plus à l'intérieur du pays et nous faire passer pour des marchands. Ma mère possède de belles choses, cela pourrait fonctionner.

Ce fut à son tour d'être profondément chagrinée. Maël avait été son ami dès son arrivée au village.
Son physique exotique lui avait valu de nombreuse raillerie dans son enfance. Il n'était que 4 jeunes avec un âge suffisamment proche pour jouer ensemble. Des petits frères et sœurs avaient suivi dans leur famille, mais elle était restée enfant unique, ce qui n'avait fait qu'accentué sa différence. Elle était la seule fille quand elle est arrivée, et assez rapidement les garçons ont voulu prendre le dessus, et ont commencé à lui jouer de vilain tour. Mais heureusement, rapidement Maël puis sa fratrie l'avaient intégré à leur bande, ce qui l'avait protégé de la violence des autres. Les moqueries n'avaient jamais vraiment cessé, il arrivait encore que certains crachent à son passage. Il eut, même un temps, une rumeur disant qu'un mage lui aurait volé son âme ce qui avait provoqué la perte de couleur de ses yeux. La plupart des gens du pays ont des cheveux bruns et des yeux bruns.

Maël et Anita avaient été inséparables, ils grandirent ensemble. Elle était devenue la deuxième grande sœur des petits frères et sœurs de Maël, Tynia était une petite fille aux bouclettes rebelles. Elle aimait courir et rire et elle adorait quand Anita ramenait des petits lapins, elle essayait de les apprivoiser et finissait toujours en pleurs quand elle les voyait s'échapper. Après Tynia les parents de Maël eurent deux garçons, des jumeaux, Vince et Adel, très bagarreur et très bruyant, ils avaient provoqué quelques remous dans le village, et en tant que bon grand frère et bonne grande sœur, Maël et Anita s'étaient à chaque fois interposés dans les bagarres. Ils avaient récolté quelques coups au passage. Il n'y a que quelques années était venu s'ajouter un petit Cléys. Une petite fille, qui baragouinait beaucoup, et qui avait appris à cavaler très tôt. Mais il y a deux étés de cela, les parents de son ami, sa famille, avaient commencé à avoir des comportements étranges. Elle avait noté des regards en biais et des chuchotements. L'âme en peine, elle avait décidé de prendre ces distances de leur maison. Maël avait ensuite commencé, son apprentissage. Les parents refusèrent de laisser les enfants partir avec elle pour les expéditions dans le village qu'ils avaient l'habitude de mener, prétextant toujours de grande activité familiale, auxquels elle n'était évidemment pas conviée. Alors elle avait abandonné, amèrement elle avait compris que même si elle avait toujours considéré ces personnes comme sa famille, la réciproque était fausse.

Mais l'annonce qu'il venait de lui faire ne la laissa pas de marbre. La colère était mêlée aux regrets de ne pas avoir pu profiter d'avantage de tous les moments qu'elle avait vécu avec eux. Et d'incompréhension de ne pas savoir ce qu'elle avait fait pour être ainsi rejetée. Le départ de son ami serait aussi l'étape finale, elle devrait faire le deuil de cette relation. Elle eut les larmes aux yeux et baissa la tête pour ne pas les montrer.

— Je comprends, ils ont raison, tu dois faire attention à toi, finit-elle par lâcher sans grande conviction. Et puis, tu pourras voir du pays comme nous l'avions imaginé enfants. Quand tu reviendras, tu me raconteras tous ?

Elle continua de fixer le sol, ne glissant aucun regard à son ancien ami. Après un petit silence, elle finit par entendre :

  • Promis.

Elle ramassa sa cagette et repartit. Comme une promesse, elle lâcha d'une voix qu'elle voulait enjouée :

  • À bientôt alors !

Elle pressa le pas. Elle voulait déposer sa cagette, le soleil était déjà haut et son ventre commençait à gargouiller. Les grandes émotions lui creusaient toujours l'appétit.

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