CHAPITRE 8 - Le diable sorti de sa boîte

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21 novembre 2014

— Sotte... sotte... sotte et re sotte... s'exaspérait Caroline en tordant son drap entre ses doigts. Quelle sottise de croire que j’allais le changer... Pfft... parce qu’en réalité, c'est lui qui m’a tout pris... Lui qui m'a vidé l'âme... Lui qui a détruit mes illusions et m'a volé ma joie de vivre... Pfft... Oui... ma joie... Alors qu’aux premiers jours de la rencontre, monsieur répétait sans cesse " Adorer me voir sourire et m'entendre rire aux éclats ", les mois passant, il disait " Ne plus supporter m'entendre m'esclaffer comme une pintade ". À tel point qu'au moindre de mes gloussements, il sortait les crocs et me jetait à la figure que " J'avais un rire de dinde et des grandes dents de lapin… " Pfft... J’ai très soif, docteur... Pourriez-vous me servir, s'il vous plaît ?

Aux petits soins pour la malade, le professeur avait aussitôt vidé le reste du pichet dans la timbale, avant de réclamer deux nouvelles carafes avec un verre supplémentaire à l'aide-soignante qui passait justement dans le couloir. De son côté, Caroline s'était faite songeuse tout en aspirant l'eau tiède avec la paille en plastique.

— Nous n’avions pas une relation de couple d’égal à égal... Pfft... avait confié la jeune femme après avoir étanché sa soif. Passé les premiers temps de roucoulades et de fausses sérénades, il a commencé à se montrer sous son vrai jour. Peu à peu, j'ai perçu son caractère contrôlant, surprotecteur et dominant. Passé les premiers étonnements, sa tendance à vouloir tout décider, tout organiser et tout réglementer... moi, y compris, ne fut pas pour me déplaire. J'avoue même que cela me séduisait et m'arrangeait plutôt. Savoir que mon homme s'emploierait à gérer notre vie, me procurait un sentiment de sécurité. C'est donc sans peine et avec joie, que telle une fillette soumise à son papa, je me suis laissée conduire. De façon naturelle, nous nous étions installés dans une relation de " dominant à dominée " et cela me semblait bon. Enfin "bon"... avec toutefois, quelques retenues. Il est vrai que je trouvais reposant et agréable d'être dirigée par lui, mais parfois j’en souffrais. La plupart du temps, ma voix n’avait pas de poids face à la sienne et cela me frustrait. Tout ce que je disais, pensais ou entreprenais, il s’en fichait comme de sa première tétine à double vitesse. Quand je lui parlais, j'avais l'impression de m'adresser à un mur... Ah, j’en ai usé de la salive pour le raisonner et le faire réagir. J’en ai bouffé de l’énergie les premiers mois... Mais, résultat des courses : rien ! Nada ! Nothing ! Un beau zéro pointé... Pfft... Je me suis épuisée pour rien, parce qu’à chaque fois, il haussait les épaules avec un air dédaigneux qui sous-entendait " Cause toujours, tu m’intéresses... ". J’avais beau lui faire des propositions pour améliorer nos relations de couple, il s’en fichait royalement... Pfft... À force d’être bafouée et ignorée, de me sentir transparente et inexistante, j’ai fini par me taire. Fatiguée de me battre, j’ai laissé le duc de Guise agir à sa guise... Pour info docteur, en me documentant sur le sujet, j'ai su qu’on appelait ça, " La phase de décervelage"... Mais peut-être, le saviez-vous déjà... ?

Interrompue par une aide soignante surgissant avec les deux pichets d'eau et le verre pour le médecin, Caroline s'était tue et lui avait tendu son gobelet vide. À nouveau seule avec le professeur Bernard, elle s'était rafraîchie la gorge à lampées contenues avant de relater sa descente aux enfers.

— Ce n’était pas l’homme de ma vie comme j'avais bêtement voulu le croire, c’était plutôt l’homme qui me pourrissait la vie... renseignait-elle en alternant ton calme et ton irrité... Pfft... Ce n’était pas non plus le prince charmant, parce que " Charmant ", il ne l’était qu’avec les autres... rarement avec moi... ou alors par calcul... D’ailleurs, avec ceux qui l'intéressaient, c’était caresses dans le dos... Pfft... tapes amicales sur l’épaule et dégoulinades de compliments... Avec moi, la chanson était bien différente... Avec moi, c’était injures à gogo, mots d'oiseaux en veux-tu en voilà, mépris, ignorance perpétuelle et moqueries continuelles... Pfft... Quand la plupart du temps, j’avais droit à l'abominable docteur Jekyll, le reste du monde jouissait du merveilleux mister Hyde... Oui... Derrière la porte close de notre Home Sweet Home, j’étais celle sur qui le docteur Maboul exerçait sa méchanceté. Pour sauver ma peau et tenter de survivre à sa schizophrénie, j’ai fait de la contre-offensive... Un certain temps, je me suis débattue... et j'ai tenu tête à sa folie pour ne pas mourir trop vite... Douée pour le rire et l’humour, j’ai utilisé la plaisanterie comme arme de décompression massive... Pfft...

De petites larmes avaient coulé sur les joues de Caroline. Puis, le regard perdu, elle s'était renfermée dans le silence jusqu’à l'intervention du professeur.

— Madame Martin ? s'était-il enquis avec douceur.

Caroline n'avait fait que marmonner entre ses dents.

— Vous allez bien ? avait demandé le médecin qui n'avait pas de réponse claire. Souhaitez-vous que je vous laisse un instant ?

— Je veux bien docteur. Oui, quelques minutes toute seule me feraient le plus grand bien, si ça ne vous ennuie pas.

— Nullement. Nullement. Je vais en profiter pour aller boire un café.

— C'est parfait... Prenez votre temps docteur, j’ai besoin de rassembler mes idées et de refaire le tri dans ma tête... Pfft... Nous allons bientôt plonger dans les moments les plus difficiles de ma vie. La suite de mon récit va m'être pénible. Je le sais.... Je m'y attends... Pfft...

Sans rien ajouter de plus, le professeur s'était relevé de son siège. À pas feutrés, il avait quitté la chambre et abandonné la patiente à sa peine. Seule face à sa souffrance et amollie dans ses draps immaculés, Caroline s'était remémoré les prémices de son voyage au bout de l'enfer, notamment une scène dure et marquante, enregistrée dans sa mémoire à cause des mots particulièrement blessants et volontairement choisis par son pervers de mari. Elle s'en souvenait aussi, parce que ce type d'échanges annonçait les violences psychologiques et quotidiennes qui suivraient et iraient crescendo.


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