CHAPITRE 7 - Comme un mauvais tour de passe-passe

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21 novembre 2014

Après cette incursion, Caroline avait baissé les paupières, puis son visage s'était éteint. La seconde d'après, une larme avait perlé entre ses cils, sa bouche s'était mise à trembler et la pièce s'était chargée d'une lourdeur supplémentaire. En empathie avec la souffrante, le professeur Bernard avait dodeliné de la tête et attendu l'autorisation de poursuivre sa lecture. C'est par un léger signe de la main qu'elle lui en avait donné la permission.

— Au début, reprit-il avec lenteur, j’avais la sensation d’avoir rencontré mon double... mon complément... Dans mon esprit il allait être celui qui ferait de moi une femme comblée. Il était mon Adam et moi, j’étais sa côte manquante.

— Oui…. rapport à la Bible... avait précisé Caroline avec un sourire triste, sans relever les yeux.

— Ah ! Oui bien sûr, avait agréé le médecin sans s'attarder davantage sur la référence chrétienne et reprenant le fil de l'histoire. C’était magique. Il était juste PARFAIT ! Nous avions les mêmes goûts. Il pensait exactement comme moi et ne me contredisait jamais. Il me couvrait de mots doux et me faisait régulièrement livrer des fleurs, des cadeaux ou des chocolats dans des boites en forme de cœur. Il m'avait même offert un chien. Un adorable caniche toy que j'ai appelé Lilou. Moi qui me trouvais plutôt commune et assez gauche, qu'un homme tel que lui s'intéresse à moi et soit à ce point attentionné, m'a fait perdre la tête. Pour ses beaux yeux, j'ai abandonné mes études et j'ai délaissé mes amis. Il faut dire que j'avais l'impression de vivre un rêve éveillé. Un rêve qui, je le pensais, durerait toujours.

.... Les premiers mois, je me sentais heureuse à ses côtés. Je n'avais pas encore perçu le loup déguisé en agneau. Durant la phase de séduction, il était génial. Il contrôlait sa folie et se présentait à moi avec le masque de la perfection. Le rêve quoi ! Tout allait parfaitement bien dans le meilleur des mondes, jusqu’au jour où le conte de fées a viré au cauchemar. Arriva le moment où Pierre Martin décida qu’il était temps de passer à l'étape supérieure et d'entreprendre son travail de sape. Consciencieusement, méticuleusement, il commença à faire descendre de son piédestal sa " Soi-disant princesse " et à briser la jeune femme crédule et bécasse que j'étais alors.

Durant ce temps de silence et d'écoute, Caroline avait récupéré suffisamment de force pour intervenir à nouveau.

— Avant lui docteur, j’étais une jeune femme gaie... Pfft... avoua-t-elle d'une voix fébrile. Pour preuve, mes amis m’appelaient Carorire parce que je riais tout le temps et pour un rien. Seulement, lui l’a tué Carorire... Pfft... Je suis même certaine que c’est pour cela qu’il m’a choisie... Pour détruire ma gaieté et anéantir ma joie de vivre. Le pire, c'est que le bougre a réussi... À son contact, j’ai tout perdu. Carorire est devenue Carovide... Pfft... Mais à vous, docteur. À vous, je vous prie de lire la suite...

— Après les grandes effusions d’amour, articulait le professeur Bernard, Pierre a commencé par se comporter comme un salaud de première. Un lapin, deux lapins... Il prenait un malin plaisir à me faire poireauter aux rendez-vous qu'il me donnait, et ne daignait ni me prévenir de son retard ni décrocher son téléphone. Voyant que " Bonne poire ", je l'attendais sagement sans lui faire un ersatz de reproche, il s’est amusé à augmenter les temps d'attente. Il est arrivé que je moisisse plus de deux heures au point de ralliement. Quelle cruche j’étais alors ! Deux heures sans bouger par crainte de le manquer ou de le mettre en colère ! Quand j’y pense, c’est aberrant ! C'est stupide et tellement dégradant ! Je n'ai compris bien plus tard qu'en agissant ainsi, il testait ma soumission. Quelle ordure de me laisser seule et désœuvrée dans des quartiers glauques et malfamés ! Quelle ordure de me laisser là, à l'attendre comme une cruche sans savoir comment le joindre ni savoir quoi faire. Partir ? Rester ? Hantée par la crainte de le perdre ou de le décevoir, je n'osais pas me rebeller... Je subissais sans rien dire... Le pire, c’était la nuit lorsqu'il prévoyait un rendez-vous dans un endroit chaud de la capitale et, qu'à plus de minuit, je me retrouvais à faire le pied de grue en talons hauts et robe moulante. Bien entendu, j'étais habillée "Sexy" tel que LUI l'avait souhaité ! Taré de mec ! Oui, parce qu'évidemment, accoutrée comme une prostituée, les hommes intéressés par une petite gâterie ou carrément pour un grand chelem, m'accostaient en me sortant leurs billets.

Victime consentante de ces situations, je me sentais souillée dans mon corps et salie dans mon âme. Salie parce qu'abordée par des bonshommes aux regards libidineux qui, de leurs mains poisseuses, tâtaient la marchandise avant de l'acheter. Par peur d'être violée ou embarquée de force dans une voiture, je tremblais de la tête aux pieds. J'espérais de toutes mes forces me téléporter loin de ces ambiances nauséabondes et anti-romantiques, mais je restais. Je restais et je persistais à l'attendre vaille que vaille. Oui, il est certain qu'à cette époque, si j'avais eu ne serait-ce qu'un peu plus de jugeote ou un poil de réflexion, j'aurais quitté illico ce calculateur et j'aurais pris mes jambes à mon cou sans demander mon reste. Oui, mille fois j'aurais dû fuir ma honte et m'éloigner de lui... Mille fois, j'aurais dû me délier de son emprise et lui dire NON ! Mille fois, j'aurais dû reprendre ma vie d'avant... Seulement, je l’aimais... plus que de raison.

... Aveuglée par cette passion, je restais là, docile, le cœur brûlant d'amour à le guetter sous une pluie battante ou dans le froid mordant. Et bien que partagée entre mon désir de l'embrasser et l’envie de pleurer, rabaissée par ces regards vicieux posés sur moi, je l'espérais... À l'époque, je ne voyais pas le mal. Je n'imaginais pas que tous ces scénarios dans lesquels il me mettait en scène, servaient à me faire tomber dans ses filets. Des années après, j'ai compris. C'est en faisant des retours en arrière que j'ai compris son calcul et ses intentions. Oui, des années après, en sachant de quoi ce sadique était capable, que j'ai compris la teneur de ces rendez-vous répétitifs. La raison est qu'il devait se planquer pour me regarder me faire humilier par des hommes en mal de sexe. Je l'ai compris avec le recul. Mais à quoi bon regretter ?

... En ce temps, je ne soupçonnais pas le mal. Quand une petite voix dans ma tête me disait que quelque chose ne tournait pas rond chez lui, je rejetais aussitôt la faute sur moi en pensant tout interpréter de travers, et en blâmant ma rigidité. Faisant fi de mes faux raisonnements, j'ai laissé faire. Le cerveau lavé, je me suis soumise à ses idées tordues. J'étais à point pour une nouvelle étape. À force de persuasions, de paroles doucereuses et de chantage, monsieur le pervers m'a aussi entraînée dans le candaulisme passif. Il ne me l'a pas imposé immédiatement. Cela s'est fait petit à petit, insidieusement. À la genèse, il m'a d'abord encensée, m'a dit que j'étais attirante et sexy. Moi qui me voyais ordinaire et sans attrait particulier, j'étais flattée. Au fil de ses éloges sur mes courbes et mon physique, je prenais de l'assurance. Je finissais par me trouver belle. Quand il m'arrivait de plonger mes yeux dans ceux des hommes rencontrés, j'y repérais de l'envie. C'était si nouveau pour moi. À la fois curieux et excitant. J'avais un pouvoir insoupçonné et Pierre l'avait révélé. Il m'encouragea à m'en servir pour asservir les hommes, me répétant qu'il était fier d'être l'heureux propriétaire de cette séduisante femme, pendue à son bras. Aveugle je l'étais. En ce temps, je ne trouvais cela ni absurde, ni tordu ni malsain, et pourtant... Quel homme sain d'esprit et amoureux voudrait que les autres reluquent sa copine comme une gourmandise à consommer ? Je n'ai rien venu venir, trompée et adulée par ses paroles perfides. Un jour, Pierre me demanda d'enlever ma culotte sous mes jupes et sous mes robes, et de me balader fesses à l'air toute la journée. Il était si heureux ; excité de me savoir nue et offerte sous mes vêtements. Il me le disait tout le temps. Son sourire fier et ironique lorsque nous marchions dans les rues fréquentées, en était le témoin visible. Alors que sans m'en apercevoir, je m'emmêlais et m'attachais aux filets de ce manipulateur, je tombais dans ses fantasmes. Et ce qui me rebutait auparavant et m'aurait fait crier " Au fou ! ", je le lui concédais, juste par plaisir de voir le plaisir dans ses yeux. " Allons dans ce bar ! ", me disait-il " Asseyons-nous en face de ce gars ! " Regarde-le et ouvre discrètement tes cuisses dans sa direction ! ". " Je veux qu'il voie ta chatte ! " " Je veux qu'il bave d'envie en découvrant ton sexe ! " Je m'exécutais. J'écoutais Pierre. J'écartais les jambes en ayant l'air de rien et je faisais deux heureux. Pierre tout d'abord, qui transpirait et bandait comme un phoque à côté de moi, et cet étranger qui ne détachait pas ses yeux de mon intimité. La chose s'est reproduite plusieurs fois. Puis, un jour j'ai dit " Stop ! ". J'ai dit à Pierre que je ne voulais plus le faire ; que ça me gênait. Pierre a accepté. Il m'a dit être déçu, mais il n'a pas insisté longtemps. Ce fantasme est passé aux oubliettes, mais d'autres allaient suivre... Le temps passant, sa persistance à m'imposer des situations malsaines, a fait naître et grandir en moi de la colère. Une colère d'abord dirigée sur lui, car j'estimais qu'il profitait de ma confiance et de mes sentiments. Puis, j'ai détourné la colère sur moi. Oui, parce qu'identique à une mendiante, j'excusais tous ses abus en le remerciant de m'aimer. En agissant ainsi, j'étais complice de ses actes et je ne pouvais donc pas m'en plaindre.

— Comme je vous l’ai dit docteur, j’étais une gentille fille à l'époque... avait rajouté Caroline, les yeux dans le vague... Oui, gentille, mais aussi confiante, idéaliste et malléable à souhait... La proie parfaite pour un Don Juan calculateur...Pfft... Lui, ce compagnon de vie, censé me rendre heureuse et non me détruire. Je le fantasmais. Je m'accrochais à cet idéal d'homme que je projetais sur lui. J'étais tellement éprise que j'avais résolu de tout faire pour le garder... Pfft... Absolument tout. Jusqu'à accepter de le voir enlacer une autre femme et l'embrasser devant moi. Idiote que j'étais... Pfft... En le laissant faire, je l'autorisais à me tromper ouvertement... à me manquer de respect... à me dégrader... Offense après offense, ma réaction ne différait pas... Pfft... Je ne lui reprochais rien... Je n'intervenais pas... Je ne faisais que détourner le regard, prendre sur moi et ravaler mes pleurs... Bécasse que j'étais.... En fermant les yeux sur ses abominations, j'ai signé mon arrêt de mort... Pfft... Pour ma défense, j'étais jeune et immature. Je n'avais pas conscience d'être sous son emprise... Je refusais de voir la vérité en face en négligeant tous les signaux d'alerte... et je n'ai pas mesuré les conséquences de ma servilité... Pfft... Oui... je l'avoue... Alors que toute personne un tant soit peu réfléchie, l'aurait quitté dare-dare... et s'en serait félicitée, la jeune femme en déficit d’amour que j'étais à l'époque... Pfft... a mis des années pour admettre que cet homme était un fou pathologique... Quelqu'un de dangereux...

Un soupir exaspéré et une main dépoussiérant le drap, avaient autorisé la reprise de la lecture :

— Ainsi donc, une fois que ce pervers a vu que je lui mangeais dans la main, il a voulu qu’on fasse appartement commun. Proposition à laquelle j'ai répondu favorablement. Nous étions au mois d'octobre 2005. Autant dire que tout avait été très vite. Emportée dans le tourbillon de l'amour, j'étais incapable de réfléchir intelligemment et en à peine deux semaines, nous nous sommes installés ensemble. Inutile de préciser que j’étais aux anges. Seulement, ma joie s’est vite tarie. J’ai déchanté en découvrant que ce soi-disant beau parti portait un masque d'hypocrisie et de fausseté. Au quotidien, j'ai vu un homme taciturne et maussade qui s'emportait très vite et ne s'excusait pour ainsi dire jamais, ou alors du bout des lèvres. C'est avec tristesse que j'ai compris qu’il n'était pas l'homme rêvé que j'avais forgé dans ma tête. Néanmoins, malgré ma déception, je demeurais confiante. Je prévoyais qu'il change avec le temps, qu'il acquiert de la sagesse et qu'il se bonifie. Au bout de mes ambitions, je visais l'homme parfait. Dès lors, pourvue de mon âme d’infirmière, de mes bons sentiments et de mon empathie naturelle, j'ai investi en lui. Béate d'amour pour cet homme que j'admirais encore, je suis partie en quête de le guérir de ses emportements et d'en faire quelqu'un de bien. C'était sans savoir qu'il naviguait dans un monde de raisonnements tordus et perfides, contre lequel il me serait difficile de lutter.

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