XVII. Quelque chose d'une victoire

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 Le lendemain, je retourne à l'académie accompagnée de Valeriel Folier. L'employé, heureusement différent de celui auquel j'ai eu affaire, s'excuse et se répand en politesses mais ne résoud pas notre problème.

 Nous revenons tous les jours à partir de ce moment. Parfois, lorsqu'il n'est pas disponible, j'y vais seule. De temps à autre je croise Désirée avec son air modeste et entêté sur un banc. Elle n'ose pas m'adresser la parole lorsque le seigneur Folier m'escorte, mais lorsque je suis seule, elle se montre chaleureuse et patiente avec mon langage hésitant. Nous finissons régulièrement la journée ensemble en ville, à déambuler dans les ruelles qu'elle connaît comme sa poche. Je découvre avec elle les jardins, les meilleurs commerces, les belles avenues et les coupe-gorges malfamés qu'il vaut mieux éviter. Elle m'apprend au passage quelques mots et usages de son pays. Je découvre qu'il est bienvenu de s'annoncer avant de rendre visite aux Longardiens, voire d'attendre qu'ils proposent une invitation, qu'il existe une tradition d'offrir des présents aux gens lorsqu'on les quitte pour longtemps afin qu'ils gardent un bon souvenir et qu'il ne faut jamais demander le prix d'un cadeau sous peine de passer pour un malpoli.

 Je me rassure et me remet peu à peu des privations de la prison. En revanche, je manque toujours de sommeil ; le feu et les cris de Brémur hantent mes cauchemars toutes les nuits, en général suivis d'une prison hantée par Jix et de la peine de mort par des moyens plus ou moins cruels. Je m'en réveille en sursaut dans le lit à baldaquin, terrifiée et écrasée par la culpabilité, et me ramasse en boule en espérant en vain ne pas me rendormir.

  • Ca ne peut pas continuer.

 Aucun éclat de voix. Le seigneur a énoncé son opinion avec une détermination sévère mais sereine, comme s'il ne doutait pas que le monde allait se plier à sa volonté. J'approuve de la tête en silence, pensive, les mains jointes sur mes genoux. Valeriel se penche sur la table et pose ses mains aux angles, le front plissé, absorbé dans une réflexion qui n'a rien à voir avec les documents que ses yeux ne parcourent même pas.

  • Je vais devoir faire jouer mes relations et mon influence pour qu'ils acceptent de t'inscrire. Personne ne peut s'opposer à moi bien longtemps dans cette ville et dame Rombel n'a pas de raison de me refuser une si petite faveur. Hors de question de rester à la merci de bureaucrates inefficaces.

 Il soliloque tout seul car je suis bien incapable de répondre quoi que ce soit de pertinent à ce charabia. Devant ma moue, il conclut :

  • Ca va changer, crois-moi. Je m'en charge.

 Ai-je le droit de lui demander une faveur ? Je serre mes lèvres en espérant ne rien laisser échapper de stupide ou d'insensé, mais la question lutte pour sortir à voix haute et tourne dans ma tête. Finalement, le mot s'échappe sans même que je sache si je l'ai voulu :

  • Na'hil...
  • Oui, Nahini Rh'oz ?
  • Je peux... demander ? A vous ?
  • Que veux-tu ?

 Je déglutis, peu rassurée par son froncement de sourcil, mais je maintiens.

  • Je demande aide pour Désirée Valangue. En retard avec moi.

 Je l'affronte cette fois franchement du regard.

  • Pour qu'elle entre aussi à l'académie ?

 Hochement de tête et mesure de regards silencieux.

  • Pourquoi ?

 La question me coupe le souffle. Je n'y avais pas pensé.

  • Elle a aide moi avant.

 Il rumine ; cela lui déplaît. Mais je ne renoncerai pas. S'il refuse, je n'ai aucun moyen de le faire changer d'avis. Je lui dois obéissance, pas l'inverse. En cet instant, je le regrette amèrement. Anxieuse, je scrute les microscopiques changements de son visage.

  • Je n'ai rien à gagner à user de mon influence pour elle. Si tu veux lui être reconnaissante, c'est ton problème, pas le mien.

 Son ton sombre et irrévocable me traduit son avis sur la question aussi clairement qu'un dictionnaire. Il ne m'aidera pas. C'est compréhensible, je n'ai rien à lui offrir en échange. Même ma vie lui appartient déjà. Il va falloir que je trouve un autre moyen d'aider Désirée.

 Je me retrouve par conséquent désoeuvrée dans l'immense demeure pendant que mon protecteur fait jouer un écheveau politique obscur. La plupart du temps il est absent, et même sa présence a quelque chose de vide et de lointain. Je passe mon temps à admirer les illustrations dans des livres que je ne peux comprendre et à lier avec les domestiques, en particulier Nadia qui sous son apparence revêche, fait preuve d'un certain humour caustique et sans fard qui me plaît. Elle teste sur moi de nouvelles coiffures, ce qui la passionne et m'amuse. Mes cheveux noirs, fluides et épais la fascinent. Elle me reproche qu'ils soient aussi courts avec des petits claquements de langue. En effet, chez moi, la tradition veut qu'ils soient toujours courts et même s'ils ont poussé depuis mon départ, ils atteignent à peine le niveau de mes épaules. Malgré tout, elle tente de les friser ou de les nouer et je me prête à ses jeux de bonne grâce.

 Je découvre les raffinements du parfum et des bijoux, des artifices qui m'étaient inconnus ou du moins peu familiers. J'avoue éprouver une fascination coupable pour ces pièces d'artisanat admirables, cette dépense folle de savoir, de temps et d'énergie dans l'unique but de l'apparence. Je n'ose pas me hasarder à l'adresse de Désirée pour lui annoncer que je vais entrer à l'académie et probablement pas elle. En revanche, il faut me préparer. Je passe un temps fou avec Nadia à reprendre et vérifier tous les habits qui sont à ma disposition dans la penderie au prétexte qu'ils ne sont pas à ma taille. Valeriel est formel : je ne peux enlever mes gants qu'avec l'accord de mes professeurs. Rien que cette idée me donne une boule d'angoisse dans la gorge, dont je fais mine de ne pas m'apercevoir.

 Il s'écoule environ une semaine et ma santé est tout à fait remise, mis à part mes nuits difficiles, quand le seigneur Folier entre dans la cuisine alors que j'essaie d'aider les employées tout en leur expliquant que j'ai travaillé dans une auberge - sans plus m'étendre. Il devait me chercher, car il affiche une mine surprise et ne semble vraiment pas à sa place au milieu des ustensiles. Et moi, figée par la surprise aussi, les mains encore pleines de farine que j'essuyais sur mon tablier trop grand pour moi, j'ai presque compris avant même qu'il ouvre la bouche. C'était écrit sur son visage, pour une fois, dans le fond de ses yeux trop clairs, même s'il essayait de le masquer par la solennité et les convenances.

 Je suis restée immobile, le souffle suspendu, avant qu'il ne confirme du bout des lèvres ce que je savais.

  • Nahini Rh'oz, tu vas pouvoir entrer à l'académie. J'ai pu faire fléchir la Sapience. Tu as rendez-vous dans deux jours là-bas.

 J'ai l'impression qu'un courant de rivière puissant m'emporte vers l'avant. Ma vie reprend son cours et je vais pouvoir progresser réellement, me battre pour quelque chose.

On va pouvoir se remettre au travail, Nahini.

 Le cri de joie ne franchit pas mes lèvres ; mais même l'odeur des brioches aux épices qui cuisent dans le four a quelque chose d'une victoire.

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