Galaxie

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" As-tu déjà rêvé de pouvoir voyager dans l’espace ? De voir tous ces mondes lointains et fascinants ? Ce serait cool si on pouvait y aller toutes les deux. Tu imagines s’il y a des extraterrestres ! Oui, je sais, Céleste, les adultes les ont sûrement juste inventés. Mais, quand même ! Il doit y avoir une moyenne de cents milliards d’exoplanètes uniquement dans notre galaxie. Crois-tu réellement que la Terre puisse être la seule et unique planète de l’univers à abriter la vie ? C’est vrai quoi ! La Terre, dans la voie lactée, c’est qu’un grain de poussière ! Enfin, tu vois ce que je veux dire. "

Assise sur le rebord de sa fenêtre, une petite fille contemplait le ciel nocturne en caressant une minuscule boule de poils blanche enroulée sur elle-même. Les étoiles brillaient de mille feux cette nuit-là et il aurait été dommage de ne pas profiter de l’absence de nuages alors que l’école ne reprenait que dans deux semaines.

Comme en réponse à son monologue, la petite chatte angora se leva et sortit de la chambre.

Il faut croire que le nom du félin ne l’avait pas poussé à s’interroger sur les mystères du ciel. L’astronomie n’intéressait que l’enfant.

Mélina regarda l’animal franchir la porte et poussa un long soupir. Il était peut-être temps d’aller se coucher après tout.

Malgré plus de trois heures d’attente, Mélina n’avait pas réussi à voir une seule étoile filante. Elle avait pourtant été patiente et attentive.

Voir des météorites pénétrer dans l’atmosphère terrestre, ça n’arrive pas tous les jours !

Mélina avait étudié les conditions d’observation pendant des heures. C’était bien la nouvelle lune. La maison, située en plaine campagne, semblait suffisamment éloignée des sources de pollution lumineuses. La météo estivale était également favorable.

Bien sûr, si elle avait pu accéder à son télescope dans le jardin, ça aurait été tellement mieux !

Tout le monde dort. Si je descends, je pourrais l’utiliser, songea Mélina.

Dans la chambre d’à côté, son oncle ronflait bruyamment. Mélina tendit l’oreille. Si elle parvenait à entendre la respiration, habituellement saccadée de sa tante, elle saurait que la voie était libre.

"Rrron pifffch Rrrrr fffiou", faisait son oncle.

Impossible de détecter un autre son avec un tel vacarme !

Mélina se leva et se dirigea vers sa petite salle de bain privée. Sur l’étagère au-dessus du lavabo, elle trouva son verre à dents. À la télévision, elle avait déjà vu des gens coller un verre sur un mur afin d’amplifier le son. Pourquoi ne pas tenter ?

Elle plaça le gobelet sur la paroi mitoyenne. Elle s’accroupit et posa son lobe contre le plastique.

"Pffch rrhh ppsh", entendait-elle toujours. Rien d’autre.

Malheureusement pour elle, elle ne savait pas que la matière du récipient était importante pour le couplage acoustique.

Selon elle, il n’y avait donc que deux explications possibles : soit sa tante n’était pas encore montée se coucher, soit elle lisait tranquillement dans le lit conjugal. Dans les deux cas, descendre au rez-de-chaussée équivalait à un suicide.

- Bon, c’est raté pour ce soir, admit-elle à contre-cœur en rangeant son verre.

Déçue, elle se glissa sous les draps frais.

Était-il possible qu’elle se soit tout simplement trompée de soir ?

Le matin même, son oncle lui avait pourtant montré l’article du journal qui prévoyait pour cette nuit « un événement phénoménal qui n’arrive qu’une fois par an ». Il lui avait d’ailleurs promis de distraire sa tante pour qu’elle puisse admirer le spectacle.

La tâche s’était révélée être plus difficile que prévu. Pour Madame Guerry, il était en effet inconcevable, pour une enfant de seulement dix ans, de rester éveillée après vingt-et-une heure. Peu lui importait que Mélina soit passionnée par les constellations (qu’elle connaissait sur le bout des doigts), le système solaire, les trous noirs… L’important, c’était qu’elle soit une fillette sage, obéissante et ordinaire.

Malheureusement pour elle, Mélina n’avait rien du petit ange stéréotypé qu’elle rêvait d’élever. A part son apparence, bien évidemment. Avec ses cheveux ondulés couleur miel et ses yeux azur, on avait toujours tendance à penser que la petite adorait jouer à la poupée, cueillir des fleurs et s’habiller en rose. Pourtant, Mélina détestait tout ça.

Son oncle l’avait bien compris et s’efforçait régulièrement d’arrondir les angles entre elles deux.

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- Tu sais bien qu’elle adore tous ces trucs de l’espace, avait plaidé oncle Fred. Ce n’est pas si grave si elle se couche tard.

L’assiette sale que Lorna nettoyait avait atterri bruyamment au fond de l’évier.

- PAS SI GRAVE ? C’est une gamine Fred ! avait hurlé Lorna. Arrête de la traiter comme si elle était ta pote. Même s’il te manque, elle ne peut pas remplacer mon frère !

Tête baissée, il avait fixé ses chaussures un instant. Le cœur serré, il s’était dirigé sans un mot vers le réfrigérateur. Discrètement, il avait essuyé la larme qui coulait sur sa joue avant de prendre une bouteille de bière. Il n’en avait pas réellement envie mais il n’avait rien trouvé de mieux pour justifier son déplacement. S’il voulait atteindre son objectif, il ne pouvait pas laisser sa femme percevoir une quelconque faiblesse en lui. Pourtant, elle avait vu juste. Une sensation de vide et de ténèbres avait envahi son cœur depuis la disparition de son meilleur ami Mark et de son épouse Crystal. Et Mélina était comme la fameuse lumière, au bout du tunnel de la mort (sauf qu’elle lui redonnait envie de vivre.)

Bien sûr, on pourrait croire que son amour pour Lorna aurait pu suffire. C’était sans compter sur le côté strict et impitoyable de la jeune femme dont le cœur semblait s’être figé dans la glace. Lorsque les parents de Mélina avaient disparu, Fred aurait eu besoin de compassion et de partager sa peine avec celle qu'il aimait. Pourtant Lorna en était apparemment incapable. C'est donc sa nièce, étant dans un cas similaire de perte importante, qui avait été son exutoire.

- On dirait que toi, tu ne ressens rien ! C’était quand même ton frère, comme tu dis ! Et, en plus, tu la traites comme l’enfant que tu n’as pas pu avoir, avait rétorqué Fred avant de regretter ses paroles.

C'était mesquin de sa part et il s’était attendu à ce que Lorna entre dans une rage folle. Peut-être même qu’elle lui lance quelques assiettes au visage. Il s’était attendu à devoir ramasser la vaisselle brisée tandis qu’elle serait partie faire un tour à vélo pour se défouler. Elle aurait eu raison. Quel droit avait-il de lui rappeler son infertilité de façon si abrupte ?

Pourtant, Lorna s’était simplement retournée. Ses yeux gris s’étaient mués en deux fentes noires. Franchissant l’espace qui les séparait, elle l’avait regardé droit dans les yeux et dans un ton froid avait lancé :

- En attendant, je l’ai adoptée. Que tu le comprennes ou pas, c’est MON enfant ! Je décide de son éducation. Alors si elle regarde ses fichues étoiles, c’est que JE l’aurais décidé !

Il n’avait pas insisté mais avait cherché une solution alternative.

Le soir même, en effet, il était venu border la fillette et avait "oublié" de fermer les volets.

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Le lendemain matin, Mélina fut réveillée par les rayons du soleil qui filtraient à travers les rideaux.

Par crainte de faire trop de bruit, elle avait préféré ne pas ouvrir la fenêtre pour rectifier l’oubli intentionnel de son oncle. En effet, afin d’atteindre les battants de bois, elle aurait dû monter sur le rebord de sa fenêtre et se pencher vers l’extérieur. Sa chambre étant située à l’étage de la maison, l’expérience se serait donc révélée périlleuse.

Encore fatiguée, Mélina se retourna et enfouit sa tête dans son oreiller. Il était beaucoup trop tôt. Elle serra ses paupières et pria silencieusement pour que le sommeil revienne.

C’était peine perdue.

S’asseyant sur le bord du lit, elle se frotta les yeux et bailla. Quelle heure était-il ? Le coq avait-il déjà chanté ?

La chambre était déjà bien éclairée mais la maison semblait silencieuse.

Sur sa table de nuit, elle attrapa son réveil qui indiquait dix heures et treize minutes.

Impossible !

Déconcertée, elle le reposa et soupira. Mélina avait l’impression d’avoir à peine fermé les yeux. Comment pouvait-il être si tard ? Et pourquoi n’y avait-il aucun bruit ? Était-il envisageable de penser que son oncle et sa tante puissent dormir encore à une heure pareille ?

Après avoir enfilé ses chaussons, elle décida de descendre au salon pour vérifier sur l’horloge.

Près de l’escalier, Céleste dormait encore. En entendant la porte grincer, elle ouvrit brièvement un œil.

Mélina s’approcha des marches, le plus silencieusement possible, sur la pointe des pieds.

Le parquet craqua légèrement.

Les yeux verts de la petite chatte se posèrent sur l’enfant dont le bas de pyjama trainait sur le sol. Le regard qu’elle lui lança semblait plein de reproches.

- Désolée, s’excusa Mélina dans un murmure.

Pour toute réponse, Céleste fila se recoucher sur le lit défait de la fillette.

Mélina, attendrie par l’attitude désinvolte de son chat, sourit.

Décidément, elle la connaissait vraiment par cœur. En seulement un mois, l’animal était, en effet, devenue son amie la plus intime. Bien sûr, à l’école, elle s’entendait bien avec Gabin et Lucie mais c’était différent.

Les autres enfants de son âge avaient tendance à la trouver bizarre. Peut-être était-elle trop casse-cou, trop maladroite ou trop malchanceuse ? Peut-être qu’ils avaient peur qu’elle leur porte la poisse ? Il faut dire qu’autour d’elle, les accidents et les événements étranges ne cessaient de se répéter.

Peu importe, pensa-t-elle en descendant au rez-de-chaussée.

À peine eut-elle posé son pied sur le carrelage froid du salon qu’elle aperçut sa tante lovée dans le fauteuil en cuir et jouant avec sa tablette.

- C’était bien ta nuit des étoiles ? demanda joyeusement Lorna sans détourner ses yeux de l’écran.

Abasourdie, Mélina ne sut pas quoi répondre. Était-elle censée dire la vérité ou nier qu’elle lui ait encore une fois désobéi ? Choisissant d’opter pour la première option, elle entreprît de s’excuser afin d’adoucir la colère potentielle de sa tante.

Les mains jointes dans son dos et la tête basse, elle bafouilla « désolée, tata, j’aurais dû t’écouter » d’une petite voix chargée de remords.

Le silence qui s’ensuivit lui glaça le sang. Sa tante l’avait-elle entendue ? Faisait-elle exprès de ne pas répondre ? Dans le doute, Mélina n’osait pas bouger.

Après plusieurs minutes qui semblèrent durer des heures, sa tante parla enfin.

- Va me chercher ta petite licorne aux cheveux arcs-en-ciel, s’il te plaît, demanda-t-elle d’un ton neutre.

- Galaxie ? Non, pas Galaxie ! supplia l’enfant désespérée.

- Quel nom stupide ! Je ne vois vraiment pas le rapport entre ton jouet débile et une voiture, avait murmuré Lorna plus pour elle-même que pour la fillette.

Bien sûr, le nom de la licorne n'avait rien à voir avec le monospace Ford Galaxy. Il faisait référence à la constellation de la licorne située en grande partie dans le triangle d’hiver (à gauche de la constellation d’Orion).

Toutefois, le nom « constellation » lui semblait trop long et (même si elle les avait toutes apprises) elle n’appréciait pas réellement ce terme.

En effet, le géocentrisme ayant été réfuté par Galilée et Newton au XVIIème siècle, elle ne comprenait pas pourquoi on continuait à regrouper les étoiles et autres objets célestes en lignes imaginaires en se basant sur l'horizon terrestre.

Elle avait également envisagé le nom scientifique « Monoceros » mais ça lui faisait trop penser à rhinocéros.

Puis, elle avait aperçu la vieille poupée russe de Lorna sur la cheminée.

Étrangement, son esprit avait alors créé une connexion entre l’Univers et l’objet de collection inestimable de sa tante.

Ainsi, dans son esprit, la première poupée (la plus petite) représentait la Terre, notre belle planète bleue.

La seconde correspondait au système solaire.

La troisième symbolisait la voie lactée, notre galaxie.

La quatrième matriochka incarnait le Groupe Local, l’amas contenant entre autres la Voie Lactée et la galaxie d’Andromède.

Enfin, les trois dernières représentaient respectivement un superamas, un filament galactique et l’Univers.

Suivant ce modèle, la galaxie, regroupant plusieurs étoiles (comme une constellation), devenait l’ensemble astronomique le plus susceptible de ressembler à une constellation et donc, de définir son jouet.

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- S’il te plaît Tata, sanglota Mélina. C’est tout ce qu’il me reste.

Cette petite figurine demeurait en effet le seul objet ayant appartenu à sa mère. Le souvenir de son visage et de sa voix s’étant peu à peu effacé de la mémoire de la fillette, elle considérait ce jouet comme étant sa plus précieuse possession.

Comprenant qu’il allait lui être confisqué, elle tenta d’obtenir une punition alternative.

- Je ferai tout ce que tu voudras, avait-elle ajouté en désespoir de cause.

- Raison de plus pour me la donner. Ça te servira de leçon. Et, crois-moi, entre ta mère et moi, tu gagnes au change. Cette bonne à rien ne t’aurait apporté que des ennuis. Il suffit de voir comment elle a manipulé mon pauvre frère. Tu l’aurais vu avec cette espèce de sorcière ! On aurait dit un pantin !

- Il était amoureux et maman n’était pas une bonne à rien, protesta Mélina.

- Qu’est-ce que tu en sais ? Tu avais à peine quatre ans quand ils t’ont laissée ici. Fred pense qu’ils ont été tués mais sois réaliste ! La police n’a trouvé aucun corps ! Ils t’ont abandonnée, tu comprends ? hurla Lorna en se levant brusquement.

Du bout de l’index, elle pointa le sommet de l’escalier. Elle n’ajouta aucun mot mais ses narines frémissantes et ses yeux exorbités poussèrent l’enfant à coopérer.

Le cœur lourd, Mélina retourna donc à l’étage sans insister davantage. De toute façon, elle savait que, quoi qu’elle dise, ça ne changerait rien.

Pourtant, sa tante avait tort. Ça ne faisait aucun doute. Si Mélina se souvenait bien de quelque chose concernant ses parents, c’était qu’ils l’aimaient plus que tout au monde. Jamais ils ne l'auraient abandonnée volontairement.

Arrivée dans sa chambre, elle fixa un instant la petite statuette en plastique posée sur son bureau. Elle caressa la longue crinière multicolore du cheval et sentit une larme s’échapper de son œil. Elle l’essuya rapidement avec sa manche, renifla et prit son jouet contre sa poitrine.

Céleste, qui observait la scène à l’envers, miaula. La petite chatte était couchée au bord des draps comme un humain sur le dos, la tête quasiment dans le vide et ses pattes remuaient légèrement. Elle était trop mignonne.

Mélina sourit brièvement en imaginant la signification du miaulement. Elle pouvait presque l’entendre dire « bah pleure pas, je suis là moi ».

- Tu as raison. C’est pas si grave. Je la récupérerai plus tard, répondit Mélina en se ressaisissant.

Une semaine entière s’écoula et sa tante ne lui rendit pas son jouet.

Celle-ci l’avait posé en haut de la vieille bibliothèque en bois aggloméré à gauche de la télévision. Bien en vue, mais totalement inaccessible.

Mélina estimait avoir été patiente. Chaque jour, elle s’était efforcée d’être la plus sage possible. Elle avait déjà complété tous les cahiers de vacances que sa tante lui avait achetés. Elle avait mis la table, débarrassé et fait la vaisselle à chaque repas sans que l’on ait besoin de le lui demander. Elle avait rangé et nettoyé sa chambre dans les moindres recoins. Et surtout, elle avait obéi à toutes les requêtes énoncées tel un automate qu’on aurait reprogrammé.

Cet après-midi-là, Mélina, lassée de s’habiller en robes roses pour faire plaisir à sa tante, décida qu’il était temps qu’elle récupère sa licorne et sa liberté.

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