Supernova (1/2)

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Assise à l’ombre du grand chêne, Mélina réfléchissait à son nouveau plan d’action. À l’évidence, son attitude de petit ange obéissant n’avait pas eu l’effet escompté. Si agir de la sorte était une véritable torture pour la fillette, elle amplifiait par la même occasion le côté méfiant et autoritaire de sa tante. En effet, connaissant sa nièce, Lorna savait d’ores et déjà que le répit serait de courte durée.

Profitant des rayons du soleil qui réchauffait sa peau, elle avait entrepris d’arracher les mauvaises herbes qui poussaient au milieu de ses tulipes. Régulièrement, elle jetait un œil vers Mélina en se demandant ce qu’elle pouvait bien mijoter avec son calepin et son stylo. Si Madame Guerry avait été naïve, elle aurait pu croire que l’enfant dessinait tout simplement. L’illusion était saisissante mais était-ce réellement envisageable que Mélina s’adonne à une activité artistique sans qu’on l’y ait contrainte au préalable ? À cette pensée, Lorna réprima un rire sans joie. Cette petite lui ressemblait si peu qu’elle s’était parfois demandée si la mère de Mélina n’avait pas été infidèle. Était-il possible qu’elle ne soit pas la fille de son grand frère adoré ? Après tout, Crystal avait toujours été calculatrice. Elle aurait très bien pu le séduire alors qu’elle était déjà enceinte d’un autre homme.

Puis elle repensait au côté espiègle qu’avait Mark lorsqu’ils étaient petits. Tout comme Mélina, il avait la capacité extraordinaire d’être aussi mignon qu’insupportable. Toutefois, les phases de répit étaient si courtes que leur mère se plaignaient souvent d’avoir une migraine. Finalement, elle ne pouvait nier que Mélina possédait bel et bien le caractère de son père. Attendrit par cette comparaison, elle regarda la fillette et réalisa que, sans sa présence dans sa vie, la maison aurait été vraiment vide. Pourtant une question ne cessait de tourner en boucle dans sa tête : Combien de temps encore allait durer cette accalmie si apaisante ?

La réponse ne se fit pas tarder. Seulement quelques minutes plus tard, Mélina se leva et se précipita dans sa chambre sans un mot. Intriguée, Lorna suspendit son geste pour la regarder filer. La voir passer en trombe n’était jamais bon signe. Qu’allait-elle bien pouvoir inventer cette fois ? Allait-elle à nouveau devoir l’emmener à l’hôpital ? Quelle catastrophe allait-elle provoquer ?

- Pitié, faites que ça ne soit pas trop grave, pria Lorna en fixant les nuages gris qui venaient d’apparaître.

L’atmosphère chaude et agréable s’était considérablement refroidit. La petite brise habituelle commença à agiter ses cheveux. Si les bourrasques arrivaient, il allait bientôt pleuvoir. Après tout, Mélina avait probablement commencé à avoir froid dans sa petite robe à dentelles. À force de rester à l’ombre, ça n’avait rien d’étonnant. Lorna soupira de soulagement et rassembla son matériel de jardinage. Elle l’entreposa à l’entrée de l’atelier de bricolage et replaça rapidement la mèche qui s’était échappée de son chignon. Puisqu’elle ne pouvait plus profiter du soleil, il était temps de se mettre aux fourneaux.

Qu’allait-elle cuisiner ? S’il lui restait des carottes, elle pourrait préparer le navarin d’agneau printanier que Fred aimait tant. Elle se dirigea vers la cuisine et ouvrit le réfrigérateur. Le bac à légumes était presque vide. Au fond, elle distingua le reste d’une vieille courgette ratatinée qu’elle s’empressa de jeter à la poubelle.

Exaspérée, elle attrapa son téléphone sur le plan de travail et parcouru sa liste de contacts. Un instant, elle envisagea d’appeler la voisine mais, après avoir hésité quelques secondes entre deux numéros, elle sélectionna celui de Fred. La tonalité de retour d’appel retentit plusieurs fois. Comme à chaque fois qu’elle l’appelait, elle tomba sur le répondeur. Afin de garder son calme, elle préféra raccrocher sans laisser de message. Fermant les yeux, elle inspira lentement et profondément.

Juste avant de renouveler son appel, elle entendit Mélina redescendre dans le salon.

- J'espère qu'elle va juste regarder la télévision, pensa Lorna en appuyant à nouveau sur le petit symbole "téléphone vert" de son smartphone.

Cette fois-ci, Fred décrocha rapidement.

- Tu n'as pas fait les courses ? Comment je fais, moi, pour préparer le repas de ce soir ? l'incendia-t-elle avant même qu'il n’ait eu le temps de parler.

- Écoute, j'ai beaucoup de boulot là. J'aurais pas le temps de les faire en débauchant. Pourquoi tu n'y vas pas avec Mélina pour qu'elle profite du beau temps ? Demanda-t-il sans se douter du changement brutal de la météo.

- Il est bientôt 17 h et il pleut ! Ça fait 3 jours que je te répète qu'on a plus rien à manger ! Cria-t-elle sans le ménager.

- C’est bon, c'est pas la mort ! Ne t'en fais pas, je ramènerai des pizzas. Allez, je te laisse, mes collègues commencent à se demander qui est la folle qui hurle dans mon téléphone.

Avant qu'elle n'ait eu le temps de répliquer, il raccrocha. Connaissant Lorna, c'était sans doute la décision la plus sage. Avec un peu de chance, lorsqu'il rentrerait ce soir-là, elle se serait calmée.

Pourtant, Lorna hésita à l'appeler à nouveau pour lui expliquer sa façon de penser. Pour qui se prenait-il à lui parler de la sorte !

Mais avant qu'elle ne prenne sa décision, un fracas assourdissant retentit dans le salon. Sans réfléchir, elle posa brutalement son téléphone portable sur la planche à pain et se précipita vers l'origine du bruit.

En découvrant le spectacle, elle porta ses mains à sa bouche. Partagée entre colère et soulagement, elle n’avait pas les mots pour exprimer sa stupeur.

Assise sur le parquet, Mélina était entourée de livres éparpillés et de bibelots cassés. De petits morceaux de verre l'entouraient et avaient entaillé son bras. En face d’elle, la grande bibliothèque en bois reposait sur les restes de la table basse.

Après quelques secondes, Lorna retrouva enfin sa voix.

- Qu’est-ce que tu as fait encore ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils.

Mélina songea alors à dire la vérité. Elle n’aimait pas mentir. Ça compliquait toujours tout. Bien sûr, au début, ça semblait simple. C’était pourtant une illusion. Mentir n’apportait que remords et incohérences. C’était toujours une très mauvaise idée.

Cependant, dans le cas présent, la vérité paraissait absurde. Avait-elle rêvé éveillée ? Avait-elle à nouveau eu une crise de somnambulisme ? Elle ne se souvenait pas s’être endormie. C’était pourtant la version la plus probable.

- Je pense que j’ai dû m’endormir sous l’arbre, commença Mélina honteuse. Avant ça, je réfléchissais à un moyen de récupérer Galaxie.

Lorna croisa les bras et attendit la suite.

- J’ai commencé à avoir un peu froid, je crois. Je suis pas sûre parce que, après, c’est un peu flou dans ma tête. Je ne me rappelle rien. Et je me suis retrouvée ici. Je comprends pas.

- Non, déclara Lorna en secouant la tête, c’est impossible. Je t’ai vu prendre ton antidépresseur.

Elle savait que le traitement n’était pas réellement efficace. Le médecin l’en avait informé. Il n’existait pas de médicaments pour supprimer totalement le somnambulisme. Mais, cette fois, c’était grave. La crise avait eu lieu en pleine journée. Si Mélina disait vrai, cela signifiait que son traitement n’était plus adapté.

- Que s’est-il passé, pendant que tu dormais ? Insista-t-elle en formant des guillemets avec ses doigts pendant qu’elle prononçait le dernier mot

- Je te l’ai dit, je ne m’en souviens pas. Je…

- Très bien ! Coupa Lorna. Je vais te dire, moi, ce qu’il s’est passé. Tu es montée dans ta chambre pour mettre un jean et un sweat. Ensuite, tu es redescendu et tu as escaladé la bibliothèque pour attraper ton jouet ! Et maintenant, tu essayes de me faire croire que tu n’étais pas consciente de tes actes pour éviter la punition.

Bien sûr, Lorna se trompait. De toute façon, Mélina savait pertinemment que la sanction était inévitable. Si elle avait partiellement menti, c’était uniquement parce que la vérité était bien trop incroyable et effrayante.

Si elle avait choisi la vérité, son discours aurait été bien différent.

- J’en avais assez de m’habiller comme une poupée juste pour te faire plaisir. Du coup, je suis allée me changer. Ensuite, je suis descendue et j’ai regardé autour de la bibliothèque pour voir sur quoi je pourrais monter pour pouvoir attraper Galaxie. Je me disais que je la cacherais et que, Quelle que soit ta réaction, au moins je l’aurais. Le problème, c’est que rien ici ne me semblait assez haut et assez solide. Alors, j’ai pensé prendre un balai dans le placard sous l’escalier. C’était parfait. J’aurais fait tomber Galaxie et… Mission accomplie, aurait-elle commencé.

Puis elle aurait dû poursuivre avec un récit qui l’aurait fait passer pour une dingue.

- J’ai retroussé mes manches mais, j’ai pas eu le temps d’y aller. La bibliothèque s’est mise à trembler et un petit point lumineux s’est allumé au milieu de Galaxie. C’était comme une mini-étoile. Ça s’est mis à grossir. J’ai un peu reculé. J’étais hypnotisée et je savais pas quoi faire. C’était beau. Vraiment beau, tata. Et, en même temps, j’avais peur. Elle s’est déplacée vers moi en volant. Les objets ont été comme aspiré par la boule. Ils tournaient autour très vite. De plus en plus vite. Et l’étoile a continué à grossir. Elle est devenue rouge et instable. C’était une supernova, tata. Je te jure ! Une vraie supernova ! Alors, j’ai compris ce qui allait se passer. Je me suis accroupie et j’ai protégé ma tête avec mes bras. J’ai fermé les yeux et… Et ça a explosé. Après, tu es arrivée… J’ai ouvert les yeux et le salon était comme ça.

Qui aurait pu la croire ? Dans la pièce, rien n’avait brûlé malgré la chaleur étouffante qui s’était dégagée de l’étoile. La bibliothèque, couchée de travers et complètement détruite, donnait l’impression d’avoir simplement cédé sous le poids de l’enfant. De plus, la figurine de licorne tombée juste à côté de Mélina venait corroborer la version réaliste de Lorna.

En apercevant son jouet près d’elle, Mélina avait compris qu’il valait mieux laisser sa tante avec ses illusions. Elle baissa la tête et demanda pantoise :

- Oui, tata, tu as raison. Quelle sera ma punition ?

Surprise de son aveu, Lorna réalisa qu’elle n’avait pas encore réfléchi à la punition adéquate. Rapidement, elle balaya le salon du regard. Si les dégâts subis par le parquet semblaient de moindre importance, les meubles étaient quant à eux totalement irrécupérables. Malgré les compétences de Fred en matière de bricolage, elle savait pertinemment qu’il ne pourrait rien faire. Où allait-elle ranger tout ce bazar ? Que faire de tous ces livres ? Elle ne pouvait quand même pas les entasser dans le salon ! Pourtant, elle n’avait pas la place de les mettre ailleurs. Même la bibliothèque de son atelier était pleine. Bien sûr, elle pourrait peut-être les mettre dans le grenier.

- Tu vas aller ranger le grenier et y monter tout ça, déclara-t-elle en désignant le désordre autour de Mélina.

- Mais, c’est tout poussiéreux là-bas ! Protesta celle-ci en faisant la moue.

- Oui, et ici, c’est plein de bouts de verre et de planches brisés ! Alors, ma petite dame, quand on se permet de provoquer des catastrophes, on se tait et on assume les conséquences de ses actes ! hurla Lorna en posant les mains sur ses hanches. Maintenant, monte mettre un pansement et va me ranger ce grenier !

Mélina soupira. Pourquoi devait-elle faire tout ça alors qu’elle n’avait rien fait ?

Oui, mais tu en avais l’intention, dit une petite voix dans sa tête.

À bien y regarder, la situation n’était pas en sa faveur. Elle aurait beau ronchonner et s’expliquer, il était impossible que sa tante puisse comprendre. Pour autant, Mélina était-elle censée s’excuser pour son « soi-disant » mauvais comportement ? Faire semblant d’admettre ses torts n’était-ce pas suffisant ? De toute façon, il le fallait bien. Si Mélina était prête à accepter la punition injustifiée, elle ne comptait pas exprimer de regrets. Après tout, quelle que soit la raison de l’apparition de la supernova destructrice, elle était ravie d’avoir récupéré Galaxie.

Préférant mettre fin au plus vite à la confrontation, Mélina se leva et obtempéra.

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