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Othilie s’approcha de Paloma, lentement. Sa sœur semblait immobilisée, assise sur une chaise du bar, un verre au liquide ambré qu’elle tenait dans la main droite sans le porter à ses lèvres. Elle s’assit près d’elle, attrapa la bouteille d’hydromel dans le renfoncement du bar ainsi qu’un verre, se servit et bu. Paloma la regarda alors, ses longs cils humides agrandissaient ses yeux sous son crâne rasé à blanc.

« Tu vas te torturer encore longtemps ? Lâcha la cadette.

- Et toi ? Répondit l’aînée. Othilie grimaça et secoua la tête comme pour chasser les pensées désagréables que sa sœur soulevait. La garde à vue avait durée soixante douze heure, soixante douze heure pendant lesquels elle n’avait pas dit un mot sachant pertinemment qu’elle serait relâchée. Soixante douze heure qui n’avaient pas été vaines cependant, ses méditations avaient portées leur fruit, mais de cela, elle n’en parlerait qu’une fois confiante dans le lien qui l’unissait à sa sœur.

- Nous avons d’autres chats à fouetter. Je suis fatiguée de m’apitoyer. Nous ne sommes pas des parias parce que nous sommes trop sensibles, nous le sommes car nous avons des aspirations autres pour ce monde et ces êtres que ce à quoi on nous a habitués.

- Il en toujours été ainsi. L’être humain, nous-mêmes, avons autant de parts d’ombre et de lumière. Nous avons le langage, certes, seulement nous restons fondamentalement des animaux si nous restons persuadés que nos dualités ne peuvent cohabiter en nous. Le jour et la nuit nous semble naturellement complémentaire, alors que nos ombres et nos lumières nous paraissent contradictoires.

- Nous apprenons et évoluons, ainsi nous avons le pouvoir de faire évoluer les choses par nos impulsions, à nous de choisir dans quelle direction, en tentant de faire de ces ombres et ces lumières un tout unis dans l’amour.

- Chaque point de vue a ses raisons et ses tords, comment savoir si on se trompe ou non ?

- Tu ne pourras jamais le savoir si tu restes ici sans bouger… Othilie sourit à sa sœur et bu une gorgée d’hydromel. Paloma l’imita. Le liquide doux et sucré lui réchauffa le corps, elle ferma les yeux un instant pour savourer.

- Bien. Alors on bouge. Elle finit son verre d’une traite, se leva, attrapa sa veste.

- Où allons-nous ? Demanda Othilie, amusée.

- Danser ! » Le sourire de la cadette s’agrandit, elle finit son verre à son tour et suivit sa sœur dehors, Taowen et Doowie sur les talons. Paloma leur lança un regard désapprobateur, puis haussa les épaules. Elles n’allaient pas dans un lieu interdit aux animaux de compagnie, au contraire, là où elles se rendaient d’autres quadrupèdes seraient présents. Elles décidèrent de sortir de la propriété par le bois, elles arriveraient en ville bien assez tôt. Les chiens les devancèrent rapidement, protecteurs. La nuit était douce, les cigales jouaient sous le ciel nuageux dont les trouées laissaient scintiller quelques étoiles au-dessus des branches des chênes et des hêtres. L’odeur de bois, suave, intense, profonde, les apaisait tous les quatre, leur nature harmonisée. Puis les lumières artificielles vinrent percer leur bulle. Dans l’instant, elles se tendirent légèrement, le pas plus raide, les épaules relevées alors que les chiens diminuait leur périmètre de surveillance pour venir marcher un devant, un derrière. Les semelles et les griffes résonnèrent sur le vieux béton gris, se répercutant sur les façades des premiers immeubles aussi vieux qu’instables. Plus personne ne vivait là. Faisant à présent office de mémorial, ruines du passé que l’on visitait pour chasser des nostalgies ou des espoirs inadéquats. Les villes d’aujourd’hui ne se traversaient plus qu’en bicyclettes ou à pieds, pour les charges lourdes on utilisait les chevaux, les maisons étaient construites en symbiose avec les arbres qui étaient reliés par des ponts suspendus, les sols étaient souvent recouvert de plantes médicinales ou nutritives, cultivées en symbiose avec la terre et la forêt. On y trouvait des herboristes, des tisserands, des guérisseurs, des transformateurs, et autres artisans. Puis les bars et salons de thé. Il y avait aussi des maisons vides pour les voyageurs ou ceux qui voulaient s’installer pour une renaissance après un parcours difficile. Les veilleurs étaient les porteurs des clefs de la cité, ils étaient donc prévenu les premiers. Ils existaient encore des villes où les maisons étaient en pierres, leurs habitants restaurants les anciens villages et s’y installant. Le béton quant à lui avait quasi disparu de la surface de la terre. Du moins, il était exporté dans la zone inferieur pour être détruit, ou en attente d’une transformation qui ne venait parfois jamais. Othilie et Paloma avait une conscience de plus en plus aigu des causes et conséquences. La paix les avait rendu moins forts, avait rendu leur esprit paresseux et faillible. Mais de quelle paix parlait-on ? La zone inferieur ne connaissait pas cette paix, ne l’avait jamais connu. Il y avait toujours deux faces pour une même pièce. Elles arrivèrent dans le dédale de chemins, semi-pavé, où les herbes poussaient, et la terre séchait. Elles prirent une direction, les habitations et commerces émergeaient tous subtilement de la végétation qui semblait pousser depuis la nuit des temps. Au bout de quelques minutes elles se retrouvèrent dans une clairière d’où pendait une trentaine de bouteilles en verre allumée d’une bougie, de formes et de couleurs diverses, face à un arbre qui devait être millénaire. Un sureau dont l’immense tronc avait été sculpté en marches pour que l’on puisse parvenir aisément à ses branches où se tenait une imposante plateforme. Elles montèrent pour s’y rendre et y trouvèrent une cabane au milieu d’une terrasse où des poufs, des chaises, des fauteuils se réunissaient autour de table tantôt haute, tantôt basse. Des bougies y étaient dispersées. Une vingtaine de personne et quelques chiens se trouvaient là, buvant, mangeant, riant, bienheureux dans une bulle qu’ils n’imaginaient guère éclater. L’énergie y était chaleureuse et agréable, aussi prirent-elles place autour d’une table haute, Paloma préférant toujours garder un œil aux alentours. A l’intérieur de cette chaleureuse cabane, on pouvait distinguer un bar qui faisait aussi office de cuisine, et un mobilier tout aussi disparate et charmant qu’à l’extérieur, ainsi que quelques étagères couvertes de livres. Othilie détailla les lieux alors que sa sœur allait passer commande. Lorsqu’elle revint elle devina le trouble de sa cadette.

« On fait le plein d’énergie, le temps de la transformation.

- De la transformation ? Interrogea Othilie.

- Je te laisse le plaisir du spectacle. Répondit Paloma, avec un sourire plus malicieux qu’énigmatique. Elle était ravie de passer du temps entre sœur.

- Qu’as-tu commandé ?

- Sucré-Salé !

- Merveilleux ! Leur complicité leur réchauffa le corps et l’âme. Le serveur vint peu de temps après leur servir des morceaux de biche confits au miel ainsi qu’une sauce faîtes de mangue, de lait de coco et pistaches concassées pour agrémenter leur riz, preuves des prouesses de certains et certaines agriculteurs, agricultrices qui construisaient et cultivaient des serres exotiques.

- Tu as envie de parler de l’enquête ? Demanda doucement Paloma. Othilie tiqua avant de se laisser aller sur sa chaise et d’observer les humains alentours.

- Ils n’ont aucune preuve, fin de l’histoire.

- Vraiment ?

- Quand on cherche on trouve. Répondit la plus jeune, évasive. Elles restèrent un moment à se regarder dans les yeux.

- Je m’inquiète pour toi… Murmura alors Paloma. Othilie baissa les yeux avec un petit rire nerveux.

- Tout ira bien, j’en suis persuadée. Celui qu’on m’accuse d’avoir tué avait juste le goût de prendre le large, à part des encouragements, il n’y a rien à trouver. Après tu connais les veilleurs toi aussi, je pense avoir fait mon temps, ils ne sont pas d’accords. Ils cherchent des prétextes pour me faire rester et conserver en leur sein leur boîte de donnée cérébrée.

- Je croyais que tu aimais ça, rendre la justice, faire partie d’un grand tout avec un sens commun. Tu me disais il y a peu qu’ils avaient une réelle utilité dans cette société.

- Ce n’est pas l’idée que je me fais de la justice ! Répondit-elle soudainement avec humeur. Pardon, dit-elle précipitamment, ce n’est pas vraiment à toi que je m’adressais. Le serveur sembla apparaître à cet instant, comme s’il s’était fait discret jusqu’à une accalmie du flot de paroles pour exécuter sa tâche. Il plaça les assiettes, galettes de ris dans une panière, sauce et boisson, et repartit remplir d’autres missions avec un remerciement souriant des deux sœurs.

- Remettrai-tu en doute tout notre système sociétal, ainsi que je le fis il y a de cela…

- Trop longtemps ! Tout ce temps où tu nous a aidés à ouvrir les yeux mais nous avons préféré restés aveuglés ! Je te demande pardon Palo… L’aînée sourit.

- Merci, ça faisait un baille qu’on ne m’avait plus appelé comme ça.

- Tu es la première victime de cet aveuglement, puis Loyir et Merkhan… Une ombre de profond chagrin passa sur le visage d’Othilie, sa sœur lui prit tendrement la main et la caressa.

- J’ai… J’ai réussis à lui parler. Paloma resta figée. Othilie semblait avoir peur à présent, elle voulut serrer la main de sa sœur mais celle-ci la retira. Othilie respira un bon coup et alla jusqu’au bout. Je sais n’avoir aucune conscience des conséquences de cet acte de magie mais…

- Idiote ! Si elle l’avait giflée, le choc aurait été moins violent.

- Palo… Explique moi au lieu de t’énerv…

- Tu nous mets tous en danger ! TOUS ! Ton précieux Merkhan et toi les premiers certes, seulement tu n’imagine pas ce qui pourrait se produire à la moindre ingérence ! Aux moindres brisures de failles ! Même le changement de tes ondes chimiques peut amener à une aliénation de tous les esprits ! Un mélange cacophonique de tous nos êtres ! Transformations physique, adn, psychique ! Comment as-tu pu prendre un tel risque ?

- Dixit celle qui se la joue Frankenstein avec son sang et les humains pour prouver que nous sommes compatibles. Cingla Othilie, profondément blessée par le mépris de sa sœur.

- Cela n’a rien à voir ! Tu agis sur la maison, une quantité de magie y est relié, nous autres, membres de la famille, sommes un peu en elle, et elle est un peu en nous ! Je ne me mettais que moi et une poignée d’humains en danger ma chère ! Toi tu manque de détruire notre famille !

- Peut-être que c’est ce que je veux. Que je suis fatiguée des intrigues, de la politique et des jeux de pouvoirs. Défia la cadette.

- Quoi ?

- Tu sais ce que c’est l’amour toi hein !? Tout dans le sacrifice, jamais rien pour soi ! Tout pour les autres, toujours être en dernier pour que tous soi heureux ! Mais surtout pas toi hein !? Protéger les secrets, défendre l’indéfendable par loyauté ou devoir ! Admirable à défaut d’être heureuse ! Et bien moi je veux plus que ça ! Je veux de la sincérité, de l’authenticité ! Et non, je n’ai pas envie, je n’ai pas envie d’utiliser les gens. Je n’ai pas envie de ce genre de relation, j’ai envie de réelles et belles amitiés, de grand amour, de personnes sur qui je peux compter. De pouvoir me confier en confiance, d’autoriser mon cœur à faire couler mes déboires. Le petit poisson étouffe et veut quitter le bocal, il veut apprendre à voler même s’il n’est pas oiseau. Avec la musique, avec la danse, avec le chant, avec les mots, et aussi, avec les gens. J’aspire tant au paradis terrestre, trouver la paix en moi, apprendre à communiquer, j’aimerai que nous réussissions à nous comprendre, que les guerres et la souffrance cesse. Seulement je vois en quoi cela est impossible, car l’univers est polarisé, il existe grâce à l’équilibre entre le bien et le mal, le yin et le yang. Les anges et les démons, les bons et les mauvais, si tout est gris, certains tendent vers le sombre, d’autres vers le clair. S’il ne peut être dilué en un blanc unis inatteignable en notre nature, nous pouvons tendre au mieux vers la lumière, vers la sagesse, l’humilité et l’amour. Construire dans l’aspiration au partage, à la solidarité et à l’équité. Merkhan avait les mêmes aspirations et il a fait une erreur. Maintenant il croupit en prison parce que la politique, parce que la peur, parce que la Règle et le grand Ordre ! Je suis fatiguée ! J’en ai marre de jouer à votre jeu, toi plus que personne tu devrais me comprendre et te voilà à me faire la morale ! A défendre ceux-là même que tu as reniés ! » Paloma ne cilla même pas, regardant sa sœur avec un brin d’admiration et d’exaspération alors qu’elle vomissait ses tripes. Othilie gardait le silence depuis si longtemps qu’une fois qu’elle ouvrait la bouche, toute sa réflexion retenue se déversait. Et Paloma devait reconnaître qu’elle était dans le vrai, même si elle commettait des erreurs. Tous allaient bien, personne n’avait remarqué que la cadette avait pénétré dans la tête de son amant malgré les nombreuses barrières alchimiques, et cela impressionnait tout de même son aînée. Elles mangèrent leur repas en silence et restèrent dans leurs pensées jusqu’à ce que la table fut desservît. Les assiettes furent données en prélavage à un gros labrador noir qui semblait ravie de sa tâche. La musique commença à entamer des notes douces mais gaies, qui annonçaient le début du bal. Paloma se tourna vers sa sœur et lui prit la main « Promets-moi de ne plus refaire ça ! Othilie jure-le !

- Et toi ? De m’aider à délivrer Merkhan ? » La musique augmenta encore. Les yeux dans les yeux, elles levèrent un index qu’elles posèrent sur leurs lèvres, puis joignirent leurs petits doigts. Un tintement imperceptible sonna dans l’air, alors elles se levèrent, leur main jointe, et se laissèrent guider par la musique, dansant ensemble jusqu’aux aurores.

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