Hier

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Léo et p’tit gars cavalaient aussi vite que leurs pattes le leur permettait. Fonçant, virant, traçant dans un dédale de rues en pierres pavées. Fallait se cacher, au plus vite, trouver un endroit où ils seraient en sûreté. Mais leur course effrénée les avaient amenés dans une banlieue chic où aucune habitation ne semblait abandonnée, impossible de faire demi-tour, les hommes uniformisés allaient la retrouver. Et alors là, ils seraient faits comme des rats ! Il était absolument inimaginable qu’on la ramène en arrière ! Elle s’arrêta une minute, p’tit gars sur les talons. Il lui fallait sortir de la ville, ils trouveraient plus facilement une maison abandonnée en campagne, mais ils devraient marcher un bout de temps. Tant pis, ils n’avaient pas d’autres choix. Au moment où ils reprenaient une marche pressée, les pas des uniformes se firent entendre. Ils reprirent la course. Mais elle commençait à fatiguer la petite, fallait dire qu’ils n’avaient pas mangé depuis la veille, les dernières provisions partagées au petit déjeuner. Mais la liberté valait qu’on se batte pour elle, alors ils continuèrent à courir. C’est alors qu’elle heurta quelqu’un et s’étala de tout son long sur le pavé.

« Hey ! Fais gaffe gamine ! Une voix d’homme outrée.

- Désolée. Répondit-elle, hargneuse. Elle se releva, prête à tracer, mais une main pareille à une serre vint lui empoigner le bras. Elle détailla l’agresseur, l’homme était tout en rondeur. Un rond fait homme.

- Tu vas où gamine ? P’tit gars grogna, l’homme lâcha prise.

- Je rentre chez moi. Répliqua-t-elle, certaine qu’il ne poserait pas plus de question. Elle se trompait, alors qu’elle ramassait son sac en hâte, il ajouta.

- T’es en fugue, hein ? Elle s’immobilisa, se trahissant bêtement. Je peux peut-être quelque chose pour toi ?

Si tu veux je peux t’offrir un repas chaud, et un lit pour cette nuit. Elle leva les yeux pour croiser les siens. Elle était exténuée, en vérité elle aurait tout donnée pour ça, mais p’tit gars ne semblait pas confiant. Le chien aussi aura sa pitance, tu reprendras ta route demain. Elle regarda son compagnon, il la regarda aussi, méfiant, mais il avait compris que la nourriture allait venir, sa queue frétillait déjà.

- Ok, mais je dormirai dehors.

- Vraiment ? Tu peux…

- Non, je… P’tit gars leva les oreilles. Les uniformes. Allons-y, d’accords ? »

L’homme rond jeta un coup d’œil à la ruelle, puis acquiesça. Il se dirigea vers la maison qui se trouvait juste sur leur droite. Une petite maison en pierre, dont la cheminée fumait, entourée d’une barrière en bois fraîchement repeinte. Le jardin était tout propret, l’herbe tondue, les arbres droits, tutorés, la haie taillée. Un jardin dont le parfait entretient trahissait la maniaquerie.

***

Il était en retard. La petite aiguille de sa montre à gousset annonçait sept-heure trente du matin. Il lui fallait encore remonter la rue, passer par la place, et il pourrait, dans le jardin, se rendre à sa destination. Le vieil homme rangea sa montre dans son gilet et leva la tête alors qu'il reprenait une marche droite et noble. Il portait une moustache fort longue et fine, ses cheveux ressemblait à une crinière de lion un peu courte, ses lunettes en demi-lune protégeaient deux yeux bleus vifs et bienveillants. Sa haute stature, sa carrure fine et longue, inspirait un respect mêlée d'étonnement devant cet être qui semblait perpétuellement osciller entre une profonde sagesse, et une folle fantaisie. Mais pour cet homme, son rendez-vous serait immanquablement manqué.

Car, alors qu'il arrivait sur la place pavée, un petit squelette aux yeux noirs vint trouver les siens. L'enfant ne portait qu'un pantalon noir, déchiré au genou droit, tout le reste était nu. Un chien haletant la suivant. Elle semblait en détresse, perdue, et terrifiée. Alors le vieil homme eut un soupire de résignation et alla à l'enfant. Il eut un sourire, l'enfant était sale, ses yeux semblaient immense, sur son visage blanc qui implorait son aide. « Il va falloir courir. » Elle acquiesça et se remit sur ses cannes frêles pour prendre la main longue et ridée qu'on lui tendait. C'est alors qu'ils l'entendirent. Ses pas résonnaient alors qu'il courrait en tout sens pour retrouver sa proie. Ses mots, aussi ronds que lui, rebondissaient sur tous les murs. L'enfant eut un sursaut de terreur alors que le vieil homme semblait chercher le chemin pour s'enfuir. Le jardin n'était pas loin. Ils y arrivèrent en peu de temps, mais le rond la poursuivait avec ténacité, gueulant toujours sur les murs qui renvoyait sa voix. Ils tentèrent de se cacher, mais dans un mouvement de panique, l'enfant lâcha la main du vieil homme et voulut aller se cacher seule, avec le chien toujours sur ses talons. Alors il lui tomba dessus. Sortant d'une haie du labyrinthe, les yeux ronds, le visage rond, le nez rond, le sourire rond, il s'avança lentement vers l'enfant, déclamant encore des paroles que l'enfant ne comprenait plus tant la peur la paralysait. Il était presque sur elle, ses doigts ronds étaient sur le point d'écarter ses petites jambes. Alors le vieil homme intervint, il claqua le sol de sa canne dont la vibration résonna et fit chanter son pommeau d'argent. L'eau se mit à monter. Elle envahissait tout, comme sortit de terre, le monde sembla soudain être un immense verre qui se remplissait. L'eau monta, alors que l'enfant et le vieil homme se laissait porter par elle, main dans la main. Des choses étranges allaient et venaient, petites ou grosses choses du monde qui était en train de se noyer. Et alors ils émergèrent. Un soleil éclatant leur indiqua une maison de pierre qui trônait seule sur une colline verdoyante. Le vieil homme y amena l'enfant dont les yeux n'avaient jamais été si grands. « Voilà un endroit où tu seras bien. Lui annonça le vieil homme en poussant la porte d'entrée, lui étirant un merveilleux sourire. Ici, rien ne pourra vous faire de mal.

Et vous êtes en droit de faire ce qu'il vous plaît le temps que les choses passent. » Elle entra, à tâtons. P’tit gas renifla l’air et prit le devant, attaché à son rôle de protecteur. Il avait faillit avec l’homme rond qui l’avait enfermé pour qu’il ne puisse venir au secours de sa bipède. Mais elle ne se débrouillait pas trop mal celle-là pour un petit humain. Ils traversèrent un couloir tapisser de tissus bigarrés, d’affiches, aux mots hauts en couleur, des phrases plus lisibles que d’autres dans ce fouillis d’éclat de verbe : « Si tu ne te plante pas, jamais tu ne pousseras ! », « La vie n’est que le reflet des couleurs qu’on lui donne. », « Agissez comme s’il était impossible d’échouer », « Toi, là ! Je t ‘aime ! » et fit connaissance avec les habitant alors qu’ils entraient dans une sorte de salle de bal, de par sa taille et son plafond décoré, réhabilité en une bibliothèque-salle à manger-cuisine-atelier. La plupart étaient des animaux forts singuliers, mais fort drôles, tous très impolis et avenants. Ils étaient tous occupés à divers ouvrages. Certains tachait de couleur des toiles immenses, d'autres trafiquait dans des rouages, des ressorts, tuyaux et autres mécanismes dont elle ne comprenait rien. D'autres encore étaient blancs de farine, ou noir de chocolat, des tissus semblaient chanter sous les ciseaux que commandait un autre. Léo jeta un coup d’œil à P’tit gars qui lui répondit d’un sourire béat, la queue frétillante. Il avait aperçu d’autres chiens qui gambadaient, dormaient, chinaient, jouaient… Elle s'instruisit, apprit les échecs, le tam-tam. Elle parla le dromadaire, la chèvre, le lion, ainsi que l’arabe, l'anglais et le français. Elle lut tous les livres qu'elle pouvait trouver, s'adonna à la danse, au Crockett, au Pencak Silat. Rien ne lui manqua durant de nombreux mois. Mais un jour le niveau de l'eau descendit. Vite. Et alors Léo prit peur. Les monstres sous l'eau allaient se réveiller, et le vieillard l'avait laissé ici sans ne plus jamais revenir. Elle ne savait plus rien du monde extérieur. Le monstre rond était certainement tapi, la guettant pour à nouveau toucher son entre-jambe. Et l'eau laissa bientôt place à de belles et immenses landes verdoyantes. Mais rien de ce que le nouveau monde offrait ne chassait l'homme rond de la pensée de l'enfant. Les humains et les animaux avaient envie, cependant, d'aller voir le monde.

Léo ne pouvait le supporter, elle avait besoin que ses amis restent près d'elle, qu'elle puisse les protéger en cas de danger. Et surtout, qu'elle ne soit pas seule si l'homme rond revenait pour elle. Alors elle les accompagna dans leur exploration, n'ayant pu de ses crises convaincre ses amis de rester entre les murs épais de la belle maison en pierre. Léo et P'tit gars firent plusieurs kilomètres en leur compagnie. Ils rencontrèrent tant de personnes. Des écrivains, des magiciens, des mécaniciens, des sorciers, des voyants, des techniciens, des pilotes, des cuisiniers, des physiciens. Le monde semblait soudain effervescent après le déluge. Mais comment avaient-ils pu survivre sous l’eau ? C’est alors qu’elle en vint à la conclusion qu’elle n’était pas allée ailleurs sur cette terre, mais ailleurs tout court. En un autre monde, et que celui-ci, finalement, pouvait ne pas être si mal si ses amis s’y sentaient bien. Des questions la taraudaient cependant. Comment avait fait le vieil homme pour l’y emmener ? Avait-il noyé l’homme rond ou seulement floué sa tête pour qu’elle oublie ? Mais les animaux étaient bien là non ? Alors elle les dévisagea, et vit que leurs visages s’étaient transformés en masques, qu’ils ne semblaient pas encore vouloir quitter mais l’humain qu’ils étaient devenu était bien là, peau nue, cheveux, jambes et bras, etc, etc. Elle avait posée des questions à propos du vieil homme qui l’avait laissé en leur compagnie, mais on ne lui avait que sourit chaleureusement, le regard aimant à son évocation, mais pas un mot. Juste un amour infini et silencieux. Elle ne pouvait que suivre cette marche étrange, tumultueuse et virevoltante. Ils s’arrêtèrent dans tous les villages qu’ils croisèrent, se firent inviter à des banquets, même héberger dans des lieux grandioses, parlèrent plusieurs langues, échangèrent des idées, des rires, des soupirs. Elle ne se posa plus de questions à propos du vieil homme. Alors que les semaines s’écoulaient comme des jours, le monde ressortit les griffes. Le village où ils entrèrent était fait de pierre de toutes les couleurs, la musique résonnait, les gens étaient pleins d’amour et de chaleur. Des troubadours se disputaient l’espace, voguant parfois entre les spectateurs qui déambulaient, béats, entre les chars de toutes formes et de toutes couleurs, dont les éclats rebondissaient partout. Avec les rires !

tantôt doux, tantôt fort, gonflant dans les rues pavées et s’évanouissant au carrefour, abattu par la musique. Des musiciens de tous instruments, tous horizons, amenant au rêve ou à l’expansion de soi. Tous s’émerveillaient de tous les détails qu’ils pouvaient avaler avec leurs yeux ronds, mais pas assez nombreux pour goûter à tout. Léo tentait de graver les moindres détails, P’tit gars semblait extatique, sautillant étrangement, ses yeux ciel grands ouverts lui aussi, la langue pendant à son sourire. Les odeurs délicieuses s’élevant ici et là, le perchait quelque part où lui seul savait, dans un état de bonheur doucement dingue. Et puis… Le feu, rien à voir avec les feux de camps ou d’artifice, le feu meurtrier. Le feu plein de haine. Quoi ? Comment ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Les gens court, terrorisés, ils fuient, mais pas seulement devant le feu. Des hommes à la force sûre frappent violemment la moindre âme passant à leur porté. Qu’est-ce qu’il se passe ? Où sont-ils ? Léo ne voit plus ses amis bipèdes, seul P’tit gars est resté à ses côtés, prêt à tout, attendant sa décision. Elle décide de courir aussi, ne pas atterrir dans les mains des hommes baraque. Mais le feu brûle aussi, partout. Et ça zigzague entre les foyers, quadrupède sur les talons. Ça évite de peu des maisons qui s’effondrent, des flammes folles furieuses. Elle court au plus vite, mais sa respiration est laborieuse, elle s’étouffe. P’tit gars est prêt à la tirer hors de cette fournaise, il sait le faire, il connaît. Mais si elle pouvait éviter les langues de feu… Pourtant elle tient jusqu’aux portes du village, elle est presque à la rivière. Mais alors qu’elle relève la tête, s’essuyant ses yeux pleins de larmes, elle se stoppe soudain. Les fuyards sont agglutinés devant une barrière humaine uniformisée. Les veilleurs. Léo frissonne. Elle recule d’un pas, mais elle mourra si elle retourne là-bas. Pourtant elle hésite. P’tit gars grogne, les babines relevées, les oreilles couchées. Lupin. Les veilleurs se retrouvent dépassés par l’hystérie de la foule, résolue à fuir le brasier. C’est alors que les hommes baraque arrivent par derrière. Léo se retrouve dans la foule, le chien à ses côtés. Alors que les hommes baraque poussent un cri uni, les veilleurs sortent leurs bâtons et frappent. Elle est paralysée.

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