Hier

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« Lééééééooooo!

Léopoldine soupira. Elle était montée dans l'arbre à peine dix minutes plus tôt, n'ayant eut que le temps de s'installer dans le hamac, qu'elle avait accroché presque au sommet, d’ouvrir son livre et de lire à peine plus d'une page. Ne pouvait-on la laisser tranquille quelques heures… ?

- Lééééoooo! Vous êtes là-haut j'en suis sure! Veuillez descendre sur le champ, méchante enfant! S'écria une femme au pied de l'arbre, vêtue d'une longue robe noire, d'une coiffe et d'un tablier blanc, semblant avoir la quarantaine.

- Qu'il y a-t-il encore ? Je n'ai rien fait aujourd'hui qui mérite quelques punitions et j'ai finis mon travail pour l'école ! La paix je vous en prie !

- Votre insolence vous garantit la corvée de plonge ! Veuillez descendre ! Immédiatement ! Ordonna la femme au tablier. Léopoldine soupira à nouveau mais obéît. Elle sauta de branche en branche et atterrit face à l’adulte rouge de colère. Non mais je rêve ! S'écria cette dernière. Votre robe est à nouveau en lambeaux ! Vous êtes vraiment infernale ! Comme si je n'avais pas assez de travail…

- Ne râlez pas Héloïse, ce n'est qu'un accroc. Remarqua la petite fille avec une moue boudeuse.

- En trente ans je n'ai jamais vu d'enfant si dissipée ! A votre âge qui plus est ! Neuf ans c'est l'âge où l'on devient une demoiselle et non plus une petite sauvageonne ! Gronda Héloïse.

- Je suis encore une enfant, ne faîtes pas la rabat-joie.

Répondit Léopoldine, agacée, en se dirigeant vers un grand bâtiment de brique rouge, aux hautes fenêtres, à l'allure d'un palais du XVIIème. Héloïse lui emboîta le pas, la sommant de ralentir. Il n’y avait pas moins de cinq cent mètres qui les séparaient de l'entrée, le parc qui les entourait faisait plusieurs centaines d'hectares. Léopoldine se mit à courir, non sans avoir tirer une petite langue rose au préalable à la femme qui tentait péniblement de la suivre. Cette dernière cria quelque chose que la petite fille ne prit pas la peine d'écouter. Elle adorait courir, elle était toujours la plus rapide, même parmi les grands. Ses longues heures à l'extérieur avaient foncé sa peau, faisant ressortir ses nombreuses tâches de rousseur. Sa longue chevelure lisse, cuivrée, flottait derrière elle alors que ses deux amandes noirs fixaient la porte, plus qu'à quelques enjambées. Son visage au menton légèrement carré, laissait entrevoir des traits fins sous les rondeurs encore enfantines. Son petit nez droit surmontait une bouche large et joliment dessinée. Lorsqu'elle fut arrivée, elle se retourna et vit que sa moralisatrice avait à peine avancée d'une centaine de mètre. Elle la vit marcher lentement, droite comme un "i", visiblement vexée. Léopoldine se mordit les lèvres, si elle se comportait ainsi, elle devait avoir fermée la porte de derrière, et la petite avait horreur de passer par l'entrée principale où se tenait toujours une ribambelle de gamin prêt à la dévisager. Elle lissa un peu sa chevelure et sa robe noire, la même que ses deux autres robes. Elle attendit patiemment, avec une moue adorable, que la femme la rejoigne. Peut-être l'amadouerait-elle assez pour passer par derrière. Léopoldine était assez grande pour son âge, élancée, mais d'une maigreur presque inquiétante. Beaucoup l'appelait "le squelette", ce dont elle avait horreur, ayant déjà trop essayé de grossir pour que cesse ces moqueries. Pourtant sa finesse lui donnait plutôt des allures de danseuse et faisait ressortir une grâce naturelle que peu de gens, enfants comme adultes, avait.

La madone arriva enfin, légèrement essoufflée par sa marche raide et rapide. La petite fille lui fit un sourire timide, mais Héloïse lui rendit un regard sévère. Perdu…

-La grande porte aujourd'hui mademoiselle.

-Oh je vous en pris, c'était une plaisanterie, ne soyez pas fâchée. »

Mais il était trop tard, Héloïse la dépassa sans ajouter un mot. Léopoldine n'avait plus le choix. Retourner dans l'arbre était on ne peut plus attrayant, mais la punition qui la guettais si elle désobéissait encore n'en valait peut-être pas le coup, et elle devait commencer la plonge si elle ne voulait pas se coucher à deux heures du matin le ventre vide. Elle soupira, et remonta vers les marches qui montaient jusqu'aux battants ouverts de la grande porte en bois. Une fois en haut, elle lut par habitude le nom des lieux gravé au-dessus: Orphelinat des saints sous bois. Comme elle s'y attendait, un tas d'autres enfants, d'âges divers, encombraient l'entrée par petits groupes. Jouant aux cartes, bavardant, s'entraidant pour des devoirs de dernière minute… Comme d'habitude elle fut alpaguée par de nombreux rires et quolibets. Elle prit sur elle et passa l'entrée. Cela la mettait hors d'elle d'être sans cesse le bouc émissaire de ces morveux. C'est vrai qu'elle faisait parler d'elle en commettant de nombreuses bêtises, enfreignant les interdits et autres règles. Mais qu'il y avait-il de mal à rendre leur liberté aux rongeurs de la classe de science ? Elle n'aurait certes pas du mordre la directrice il y a deux ans alors que celle-ci voulait la gifler et lui interdire l'accès à la bibliothèque, mais était-ce si grave de cacher ses vêtements dans la cave ? Ou d'aller nager dans le lac la nuit ? De monter aux arbres ? Elle avait aussi tendance à frapper les grands qui se moquait d'elle, rendait visite aux bébés alors que la nurserie leur était strictement interdite, ramenait divers animaux pour les soigner dans son dortoir, parlait et riait seule, dansait et chantait sous la pluie, passait le reste du temps à lire ou à gambader dans le parc… Bref. Peut-être que oui, elle n’était pas vraiment normale. Peut-être devait-elle se mettre à marcher dans les rangs et alors elle deviendrait enfin invisible… Elle traversa le hall et descendit le couloir du dortoir des garçons en tournant à gauche. Mais avant d'arriver à la porte, elle prit à droite, descendit un escalier sombre et étroit et se retrouva dans la cuisine.

-Tiens, v'là mamzelle Léo ! Quelles bêtises aujourd'hui ?

-Insolence. Imméritée d'ailleurs! Répondit-elle souriante au jeune homme brun qui la regardait, amusé. Il n'était pas très beau, ses traits étaient abrupts, mais son sourire éclairait son visage avec tant de bonté que Léo le trouvait magnifique avec ses yeux bruns enfoncés sous de gros sourcils broussailleux, contrastant avec ses lèvres formant toujours un mi-sourire bienveillant et malicieux. Malgré le travail rude qu'il effectuait en cuisine, il avait toujours du temps pour la petite fille qui passait, mine de rien, pas mal de son temps ici.

-Je ne t'ai jamais entendu dire le contraire, l'injustice pèse sur toi pauvre petite ! Se moqua-t-il.

-Personne ne se donne la peine de m'écouter! J'aimerai juste pouvoir être indépendante, faire ce que je veux quand je veux !

-Comme tout le monde tu sais… Répondit le commis. Elle le regarda un moment, comme pour lui répondre mais son expression la fit taire.

-Je devrais peut-être m'y mettre, sinon je n'aurai même pas le temps de dormir… Râla l'enfant en se dirigeant vers l'évier débordant.

-Tu pourrais si tu posais tes bouquins de temps en temps ! Que lis-tu en ce moment ?

-Le petit Prince ! Il est vraiment… Je ne saurai comment le décrire. C’est heureux et sage, comme un concerto piano, violon. Il y a de la pensée et de la poésie. Répondit-elle, soudain animé par l'évocation de son roman.

-Je n'en doute pas une seconde ! Dit-il en rangeant un plat dans l'immense frigo. Bien, le repas de ce soir est prêt, je n'aurai plus qu'à le réchauffer. Léopoldine avait déjà commencée à frotter laborieusement une immense casserole de cuivre qu'elle était bien incapable de soulever. Je vais te donner un coup de main, j'ai horreur de me tourner les pouces. Il vint s'installer à côté d'elle, prit une éponge et du savon, ainsi que la casserole, lui laissant une poêle un poil plus maniable.

-Tu n'a pas envie de rentrer sculpter ? Demanda-t-elle.

-J'ai finis celle sur laquelle je travaillais hier. Tu pourras venir la voir si tu veux.

-Un peu que je veux ! S'exclama-t-elle réjouie. Merci Adrien ! »

Le jeune homme sourit à la petite. Cela faisait quelque temps maintenant qu'ils pouvaient se considérer comme des amis malgré leur différence d'âge. Il lui avait apprit que c'était son père qui l'avait formé pour devenir sculpteur, dès sa cinquième année. Mais quand il était mort, alors qu'il entamait sa dixième année d'apprentissage, Adrien avait décidé qu'il n'en ferait pas son métier. Il en avait fait son art, une expression de ses sentiments, plutôt que de son savoir-faire. Il avait aussi renoncé à toucher à d'autres matériaux que la pierre, celle que préférait son père. Toute sorte de pierre. La jeune Léopoldine trouvait les œuvres de son ami tout simplement fascinantes, si elle ne l'avait vu travailler à plusieurs reprises elle n'aurait pas cru possible qu'un homme puisse faire cela de ses mains. D'un bloc informe, il faisait naître des créatures fantastiques, ou des animaux, des corps de femme, des visages angéliques… Elle adorait se promener dans son atelier dont ces êtres de pierre semblaient les gardiens. La cuisine en avait même abrité deux ou trois.

C'était une grande pièce, mais le plafond bas, sans oublier la vapeur des préparations culinaires, la rendait étouffante. Lorsqu'on entrait, on se retrouvait directement face à l'évier, qui ressemblait plus à une petite baignoire tant il était long et profond. S'il était vide, Léopoldine pouvait y entrer aisément malgré sa taille. À gauche de l'évier, des fourneaux s'imposaient, face à face, séparés de quelques mètres et d'une longue table de bois où étaient découpés, épluchés, égrainés, fruits et légumes divers. Malgré la capacité de travail, ce jour là, la petite fille et le commis étaient seuls. C'était plus tard que les cuistots, les plongeurs et le reste de l'équipe apparaissaient en créant l’ébullition du lieu. Tout devenait alors moite, spongieux, les cris ricochaient sur les murs de pierre, ainsi que les incessants badaboum des vaisselles glissantes. Mais une fois là-haut, rien de ce remue-ménage ne transperçait dans les assiettes aux doux fumets. Car la nourriture était de qualité. Les orphelins accueillit en ces lieux étaient des enfants aux fortunes confortables. Les parents peut-être morts ou disparus, mais la parenté, aussi lointaine fut-elle, avait ce qu'il fallait pour mener une vie bourgeoise sur plusieurs générations. Excepté en ce qui concernait Léopoldine. Aucuns parents connus. Abandonnée nourrisson dans une couverture déposée sur l'herbe du parc place des Vosges, elle fut trouvée par une actrice célèbre. Cette dernière, venue visiter la maison de Victor Hugo, fut touchée par la détresse de l'orpheline. Elle décida de s'occuper de l'éducation de l'enfant, tout en assurant sa popularité par cet acte généreux. Elle plaça l'enfant dans le meilleur orphelinat d'Europe, laissant une belle somme sur un compte qui deviendrait celui de la jeune fille que serait alors Léopoldine une fois qu'elle aurait atteint l'âge de dix-huit ans. Depuis toujours, la petite fille s'entendait dire quelle chance elle avait ! Vraiment ! Oui… Vraiment ? Car Léo était envieuse de ceux qui avaient une tante, un oncle, un arrière grand-père ou une cousine germaine. Car ils leur racontaient d'où ils venaient, qui avaient été ceux qui avaient mit au monde cet être, leurs histoires…

Non, tout ce qu'elle avait, c'était de l'argent, de la notoriété et des jaloux dont elle se serait joyeusement allégée. Son histoire revenait à cela: elle avait été abandonnée. On l'avait posée là et laissée. On n'avait pas voulut d'elle. L'égouttoir qu'elle tenait lui glissa des mains et tomba au fond de l'évier, la sortant de ses noires pensées. Adrien le prit, le rinça et le mit à sécher avec le reste. Elle s'aperçut que sa tâche était accomplie. En moins d'une heure, grâce à Adrien, ce qui lui permettrai quelques instants de liberté.

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