Hier

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Après avoir salué les premiers collègues du jeune homme, elle salua son ami et disparu dans les escaliers. Elle courut, pressée d'être de nouveau perchée dans l'arbre. Elle prit la porte de derrière, contourna les hauts murs et… tomba nez à nez avec un groupe d'adolescents. Manquant de les heurter, elle fut tout de suite remarquée. On l'a repoussa brutalement avant d'afficher des sourires moqueurs. Elle devina très vite qui était le dominant de la meute, il était nonchalamment allongé dans l'herbe, fixant l'enfant, tout comme ses congénères, mais qui, habitués à suivre, jetait des regards au jeune homme attendant de voir comment il se conduirait. Celui-ci laissa passer quelques secondes, jaugeant le petit monstre. Elle lui jeta un regard plein de mépris, ce qui le fit se lever.

-On ne t'a jamais apprit à t'incliner devant tes supérieurs ?

-Tu dois passer ton temps penchée ! Encouragea un de ses comparses.

-Tu as finis la vaisselle souillon ? Parfait, ma chambre a besoin d'un nettoyage de printemps. Lança une belle blonde aux boucles lourdes et soyeuses.

-Fichez-moi la paix ! Ils ricanèrent de concert. Léo s'empourpra, furieuse.

-Mais quel est cet attirail ! Une vraie guenille que tu as sur le dos, pourtant tu ne manques pas d’argent !

-Non, seulement de quelques neurones seulement, c’est pourquoi on l’a abandonnée cette pauvre chose… Une brune, la coupe au carré, des yeux limpides et infini, lui attrapa une manche et tira. L'enfant voulut se défaire de la prise, mais elle ne fit qu'arracher totalement le tissu. Un autre jeune homme lui donna une gifle qui la fit tomber par terre.

-On ne t'a pas appris à dire merci ? Je vais t'enlever l'autre manche et j'espère que tu sauras te montrer plus reconnaissante envers notre talent de styliste. »

Alors qu'elle tentait de fuir, ils se mirent à plusieurs pour arracher la robe de Léo. Lorsqu'elle entendit un hurlement, elle s'aperçut qu'un flot de sang coulait du nez de la belle blonde. Elle se mit alors à courir, courir aussi vite qu'elle pouvait. Elle avait blessée quelqu'un. La directrice allait la renvoyer cette fois-ci. Et où irait-elle alors ? Elle ralentit, jusqu'à s'arrêter totalement. Elle s'était enfoncée loin dans les bois, mais elle le connaissait par cœur. Arriverait-elle à rentrer pour le dîner ? Et sa robe ? Non… Elle ne pouvait pas rentrer. Elle décida de s’enfoncer plus encore dans la forêt, jusqu’à ce qu’elle trouve un arbre qui lui semblait assez confortable pour la nuit. Elle grimpa avec agilité et se retrouva lovée entre deux branches qui se retrouvaient pour se disputer le soleil. Elle songea au délicieux repas servit dans la grande salle. Au dortoir ; une salle carrée et très haute de plafond, lambrissé, avec ses soixante lits en fer blanc et tables de chevet. Les draps en coton et les couvertures en peau de mouton. Elle allait avoir froid ainsi emmitouflé dans son jupon, les chaussettes humides, mais tant pis. Elle avait faim aussi. Mais tant pis. Elle réussit à s’endormir d’un sommeil lourd. Elle rêva au grand escalier en bois patiné qui montait vers la bibliothèque, la salle de danse, la salle de musique et de dessin. Au salon des élèves, endroit qu'elle fréquentait le moins possible n'étant friande ni de billard, ni du brouhaha incessant des conversations. Elle préférait de loin jouer de l'accordéon en salle de musique, ou se donner en salle de danse. La salle était grande, rectangulaire, avec un plafond haut, le parquet si lisse que les pieds s'y posaient volontiers nus. Deux murs faisaient offices de grands miroirs, les autres étaient en pierres claires.

À l'entrée, sur une petite table, reposait un tourne-disque lié à quatre enceintes encastrées dans chacun des murs. Les disques étaient divers et variés. Elle remplaçait sa robe uniforme par un juste au corps. Alors que la musique s'élevait, son corps était parcouru de frisson, puis commençait à se mouvoir avec le rythme des sonorités. Elle tombait à genoux, se relevait, tournait, courrait, tombait, rampait, sautait, s'envolait, tournant sur elle-même à une vitesse vertigineuse. Mais elle ne voulait plus que cela soit si dur. Elle en avait assez d'être ici. Elle se sentie étouffer. Les murs se resserraient. Assez de voir toujours les mêmes visages, les mêmes murs, les mêmes histoires. Partout, une boucle infernale sembla la poursuivre alors qu’elle tentait de sortir de l’orphelinat, courant de pièce en pièce alors que les murs se resserraient en couloir. Elle se réveilla en sursaut et manqua de tomber de son perchoir. Elle se maintint à deux branches in extremis. Elle se stabilisa et entreprit de descendre directement. Une fois en bas elle regarda la forêt qu’elle ne connaissait pas avec un large sourire. Oui. Il était temps pour elle de partir. Peut-être, - qui sait ? - retrouverait-elle un parent quelque part ! Il serait troubadour ! Et voyagerait à travers le monde ! Elle ria dans le jour qui se levait doucement. Elle devait retourner là-bas. Il lui fallait attendre la nuit cependant. Et en attendant, ce jour lui appartenait. Elle se mit d’abord en quête de nourriture, par chance, c’était l’automne, les mûres abondaient dans les sous-bois. Elle en mangea jusqu’à satiété, puis se mit en quête de trouver un point d’eau où se débarbouiller et boire. Elle marcha. Un long moment. Jusqu’à devenir inquiète de l’absence d’eau. Jusqu’à ce que la soif devienne une obsession. Elle décida de retrouver les abords de la forêt, où l’espérait-elle, quelqu’un lui offrirait à boire. Elle marcha encore, jusqu’à ce que le soleil perce un peu plus et qu’elle entendit un cheval hennir. Elle avança dans la direction de l’animal et se retrouva aux abords d’un lopin de terre fraîchement labouré par un frison noir d’une incroyable beauté, majestueuse. La jeune femme derrière la charrue vit le regard de son animal de trait en direction de la forêt et le suivit, aussi aperçut-elle le petit être sale et étrange que paraissait Léo. Elles se dévisagèrent un moment avant que la jeune femme au teint olivâtre, les mains et les cheveux sales, ne lui fasse signe d’approcher. Méfiante, Léo recula d’un pas.

« Je ne te veux aucun mal, je t’offrirai de quoi manger et te vêtir si ça te tente de me suivre à la ferme.

-J’ai soif.

-J’ai de l’eau aussi. Soudainement elle lui jeta une gourde en osier que la petite rattrapa de justesse.

-Merci ! Elle but presque tout le contenant.

-Tu viens ? »

Elle était à moitié nue, son livre était tombé de sa poche éventrée, elle était sale et fatiguée de sa mauvaise nuit dans l’arbre. Et la proposition était alléchante. Léo détailla plus avant la jeune paysanne. Les cheveux et les yeux marron, ses sourcils fins trônaient sur deux grands yeux brillants. Sa peau était tannée par le soleil, ses dents étaient belles, son regard franc et sincère. Léo se décida et avança vers l’âme charitable. Elles sortirent toute deux de demi-hectare fraîchement labouré et suivirent un chemin de terre jusqu’à une cour en calcaire où se dressait une grande bâtisse en pierre, sa dépendance et un hangar. Léo suivit la jeune femme dans l’écurie, la regarda prendre soin du frison et le remettre dans sa stalle avant de se diriger vers la maison. Elle suivit la paysanne à nouveau à l’étage où celle-ci lui montra la salle d’eau en lui disant qu’elle laisserait de quoi se vêtir devant la porte et l’attendrait dans la cuisine avec de quoi la nourrir pour quelques heures. Léo n’en revenait pas de tant de gentillesse et se surpris à penser que la vie était assez facile et belle.

Elle se lava, trouva les vêtements comme convenu, une vieille robe noire qui n’avait pas été portée depuis plus de vingt ans, des collants et un manteau tout aussi vieux, puis rejoignit son hôtesse en cuisine. Une délicieuse odeur de gâteau au chocolat lui vint au nez, puis celle du lait, plus subtile. Elle alla s’asseoir face à son hôtesse qui lui fit signe de se servir. Les yeux noirs de la petite fille semblèrent vouloir se changer en vortex pour tout aspirer d’un seul coup. Elle se contint cependant et mangea avec la meilleure distinction dont elle était capable, une fois qu’elle eut finit, elle regarda son hôtesse plus attentivement et devina les longs jours de labeurs et les nuits courtes, les vêtements qu’elle portait devait lui appartenir quand elle avait son âge. Etait-elle seule ? Léo ouvrit la bouche pour poser la question. « Ne demande pas ton reste et file ma grande, je peux pas te garder ici moi. » Léo plongea son regard ténébreux dans la chaleur de celui de la paysanne et y lut une crainte, elle ne vivait pas seule, et sa compagne ou son compagnon ne devait pas apprécier les enfants. Elle se leva, l’embrassa timidement sur la joue et déguerpit. En entrant dans les bois elle défia la forêt du regard en direction de l'orphelinat et repartit vers lui, déterminée.

La nuit était noire lorsqu'elle fut aux abords de la bâtisse. Léo passa une nouvelle fois la porte de derrière, vive et légère, personne ne la vis atteindre l'escalier. D'autant qu'à cette heure, tous devaient être réunit pour le dîner. Aux odeurs, la petite fille sentit son estomac se contracter. Elle grimaça mais focalisa sur son but. Arrivée aux dortoirs de sa section d'âge, les cinq à dix, elle alla à son lit et sortit son cartable en cuir brun pour le mettre sur son lit. Elle le vida. Y remit sa trousse, un cahier vierge, deux livres. Ensuite, elle alla à son casier. L'ouvrit. Se rembrunit. Hors sa cape, un pull et ses collants, elle n'avait que des robes et ses bottines d'hiver. Elle prit le tout, sauf les robes. Elle alla mettre ses affaires sur son lit. Ce dont elle avait besoin, c'était d'un pantalon ! Où trouver cela ? La réponse était évidente : le dortoir des garçons… Elle devait descendre au rez-de-chaussée, ce qui ne l'enthousiasmait guère. Elle devait repasser devant la porte de la grande salle et l'escalier des cuisines. Bientôt, les premiers élèves iraient se détendre au salon des élèves, ou iraient directement à leurs dortoirs respectifs. Elle enfila donc le pull, le collant, les bottes et la cape. Mit quelques culottes dans son sac, une brosse à cheveux et à dents, le mit sur son dos. Une fois devant la porte du dortoir des garçons de la section onze à quinze, elle souffla un peu. Tous étaient encore occupés au repas ! Elle se faufila et repéra le nom d'un de ses condisciples de douze ans. Elle enleva son pull, enfila la chemise aux manches trop longue, puis le pantalon trop large, qu'elle boucla d'une ceinture trouvée là. Elle faillit remettre son pull, mais se ravisa et prit celui qui se trouvait dans le casier. Elle se sentit incroyablement légère et sure d'elle ainsi affublée. Elle eut un sourire, ramassa son sac et sortit du dortoir.

Tout allait pour le mieux… du moins… elle avait faim. Il lui fallait quelques vivres pour tenir si elle voulait prendre la route. Elle tenterait d'aider au marché pour gagner de quoi se nourrir ensuite, mais lui fallait-il au moins une base. Les cuisines étaient encore pleine à cette heure, le dessert venait à peine d'être servit. Léo le savait au tintement de leur clochette ridicule qu'il secouait hautainement à chaque plat qui changeait. La petite fille songea qu'elle devait se cacher le temps que tous partent, puis elle irait prendre ce dont elle aurait besoin, avant de disparaître dans la nuit. Elle se sentait comme une héroïne de roman. Elle trouva une cache idéale, un "nid d'oiseau" camouflée par une tapisserie. C'était un trou dans le mur, à un mètre cinquante du sol. Il lui fut difficile d'y grimper, mais une fois cette épreuve réussit, elle se trouva lovée contre la paroi rocheuse, parfaitement invisible et avec une vue imprenable. Elle dut attendre plusieurs heures cependant. Après le brouhaha de la sortie de la grande salle, le tintement du service et les murmures fatigués de l'équipe de cuisine, elle attendit assez longtemps dans le silence pour sortir de sa cachette. Elle fut tout de même soulagée de trouver un couloir et un hall vide. Elle descendit alors aux cuisines. Elle ne se fit pas la réflexion qu'il était étrange que les lumières soient encore allumés, pressée par son estomac vide. Elle se hâta vers les garde-mangers, fourrant dans son sac du pain, du fromage, des fruits secs, des graines, des biscuits… Alors qu'elle se détournait, fière de son butin, elle se retrouva face à Adrien.

« Je peux savoir ce que tu trafiques ? Elle pensa à s'enfuir en courant, mais les yeux du jeune homme l'en dissuadèrent.

-Il vaut mieux pour toi que tu n’en saches rien.

-Et pourquoi dont ?

-A cause des Veilleurs.

-Pourquoi les Veilleurs viendraient-ils me voir ?

-Je me tire d'ici ! Lâcha-t-elle.

-Léo ! Ce langage n’est pas autorisé !

- Exactement à cause de ça ! J'en ai assez que l'on me dise ce que je dois faire, d'être le mouton noir, je veux trouver un endroit où… où quelqu'un m'aimera ! Elle eut du mal à retenir ses larmes, mais elle garda les yeux humides, sans déborder pour autant.

-Léo, tu as neuf ans, que penses-tu faire toute seule dehors ? Adrien semblait perplexe mais compatissant.

- Je verrai. Je ferai les choses comme je le pourrai.

-Je vois… Il sembla réfléchir un instant alors la petite fille gardait sa posture défensive, prête à fuir à tout moment. Sa tenue prouvait qu'elle avait réfléchit un tant soit peu et était déterminée à quitter ce trou. Bon. Comment lui en vouloir ? Mais la laisser partir serait totalement irresponsable, il devait trouver autre chose. Et en attendant…

-Repose ce que tu as pris. Elle fronça ses sourcils.

-Non ! Ils peuvent aisément le remplacer, j'en ai besoin !

-Je te donnerai tout ce dont tu as besoin Léo. Remets ça, qu'on ne jette pas la faute sur l'un des travailleurs de cette cuisine. »

Le ton était ferme et sans appels. Elle s'exécuta, puis il lui fit signe de la suivre, avant d'éteindre. Adrien vérifia quelques secondes qu’ils étaient seuls et indiqua à l’enfant que la voie était libre. Ils sortirent ensemble de l'orphelinat par la porte de derrière.

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