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6 juillet 2582

Nous nous retrouvons une fois encore dans sa chambre. Tout mon corps est douloureux tant j’ai envie de lui et il le remarque. Alors il prend tout le temps qu’il faut, me couche sur le lit, me déshabille en douceur, y mettant des préliminaires interminables. Chaque caresse m’arrache un soupir. Nous couchons ensemble toute la journée. Au moment où je me rhabille pour le quitter espérant le voir à nouveau le lendemain il lance avec une joie cruelle. « Je pars demain, d’autres villes veulent me voir exposer. » Je le dévisage froidement et part sans rien ajouter. Je suis en totale désarrois, la nuit est longue une fois encore mais quelque chose me revient en mémoire : le contrat que l’on a signé lorsque nous avons couché pour la première fois. C’est très original comme signature, et elle me jure de le revoir et que, en attendant, j’ai le loisir de faire ce que je veux en totale liberté. Des plans se dessinent dans ma tête, chassant Psyban de mon esprit pour un long moment. Le monde m’appartient. Une euphorie et une joie immense enflent en moi et je crois bien mourir. Je vais pouvoir découvrir le monde ! Une telle exaltation me donne le tournis et je sens, plus que je n’emploi, mon corps danser en un rythme effréné. Je peux dire que je suis en vie et dire merci.

2 janvier 2584

Le temps est gris et de la pluie acide tombe drue, mais le paysage s’est adapté et reste éclatant de beauté. J’ai convaincue une équipe de m’amener en Afrique à grands frais. Je me sens envahie d’un calme et d’une sérénité parfaite. Depuis la passion que m’avait offerte Psyban de part ses œuvres et ses étreintes, je suis sujette aux sentiments extrêmes et tant mieux. C’est quelque chose de fort et part conséquent harassant, mais après une vie de platitude, mon âme exulte. Les premières semaines ont été un vrai supplice sans lui. Mais aujourd’hui il vient rarement troubler mon esprit qui coule comme de l’eau, calme et clair. L’équipe m’accompagne depuis maintenant trois mois, j’ai été un peu partout, nous avons bien crut mourir à différentes reprises face aux animaux qui peuples ces forêts et cette savane. Ils avaient surtout peur des insectes, porteurs d’affreuses maladies. Mais les nouveaux insecticides sont si efficaces que nous n’avons pas vu l’ombre d’une araignée ou d’une fourmi. J’aurai pourtant aimé en voir, ne les connaissant qu’à travers les livres. J’ai eu quelques problèmes avec l’autorité à causes de ce qu’ils appellent des « actions hors usage et dangereuses » mais je m’en moque. Ils ont vu avec leur détecteur de puce identitaire que j’étais promise à l’art et donc intouchable. Ils n’ont pas apprécié, mais ils ne pouvaient faire autrement que de me laisser enfreindre certaines règles. Ils ne peuvent aller au-delà des contrats scellés avec Psyban. Il est apparemment le plus grand artiste de la terre ces derniers temps, et donc une sorte de Dieu. On ne va pas contre la volonté de Dieu. Je marche entre les roches sur un coin montagneux. C’est magnifique sous cette pluie mais la combinaison protectrice me gêne, malgré ce qu’on en dit, la vue est diminué même si on est censé y voir aussi clair que si on avait rien devant les yeux.

Je vois nettement la différence. Mais c’est indispensable. Mes bottes à haut et large talon, cerclées d’acier, sont aussi robustes que les sabots d’un cheval. J’en ai vu un troupeau hier, j’ai eu envie de monter l’un d’eux et de partir au grand galop au milieu de la savane. Mais ils sont trop sauvages pour qu’on puisse les approcher à plus de dix mètres. J’accélère le pas, je cours même, zigzagant, sautant. Je me sens libre, pour de bon. Rien à voir avec la pâle copie que nous vend l’autorité. Je pense à tous ces gens qui vivent et meurent dans les quartiers de vie et ça me rend malade, je les méprise tous. C’est mon dernier jour ici. Je pense aller voir la mer ensuite, mais là encore cela risque d’être difficile. Mais j’irai tant bien que mal, je le sais. Je suis à Psyban. J’ai tous les droits. Je rejoins le campement avec regret. Les hommes sont là, ils sont trois. Tous grands, les muscles saillants sous leur combinaison, ils sont tous les trois bruns et bougon du matin au soir. Ils ne m’adressent la parole que rarement, pour me rappeler la date de retour, les heures de repas qu’ils ne supportent pas reporter d’une heure ou deux… Ils sont deux à être de l’année Der, beaucoup plus vieux que moi, l’autre est de l’année Renn, un peu plus jeune donc. De beaux produits qu’on forme. Une joyeuse troupe en général. Je demanderai à changer pour l’excursion marine. J’aimerais bien partir avec un scientifique ou quelqu’un qui a ma curiosité. Mais ces personnes sont d’une rareté affligeante désormais. La grande épidémie a trop marqué les esprits. Cela a commencé avec quelques cas isolés puis la contagion a été très rapide. Nous étions sept milliards. Nous ne sommes plus à présent que sept cent quatres vingt sept millions. La planète a reprit ses droits. Des villes entière ont disparu sous les bombes pour canaliser le virus et maintenant la nature a reprit le dessus. Et personne n’en profite par peur d’une nouvelle maladie qui éteindrait notre espèce. Si cela doit être, ce sera, ils ne pourront rien y faire, enfermer les gens dans des villes en plastiques n’y fera rien.

Mais les gens deviennent stupides quand ils ont peur et la vie morne qu’ils mènent leur convient apparemment. Ce ne sera pas mon cas, je ne mourrais pas avec le sentiment de n’avoir pas vécut. Je ne regrette pas de ne jamais avoir d’enfants, je n’aurai jamais pu le voir élever dans ces organisations, comme des animaux qu’on apprivoise pour les conformer à la vie d’aujourd’hui. Ma mère, elle, m’a élevé, tous les parents des psys on en eu le droit s’ils le désiraient puisque nous étions défaillants et donc fragiles, inaptes à se fondre dans les masses d’enfants des organisations d’éducations. Ceux qui ont refusés ont vu leurs enfants mourir peu de temps après les avoir placés. Peu de parents ont fait le choix de perdre leur « liberté ». Ma mère en faisait partie, et elle m’a aimé. Comme tous les parents des Psys, elle a totalement changé en ayant à élever son enfant. C’est pour cela que nous sommes encore plus différents des autres. Nous sommes plus humains, plus vivants. Mais la société nous étouffe, elle nous soumet pour faire en sorte, avec toute la force dont elle est capable, que nous devenions aussi mornes et vide que les autres. Mais elle a échoué avec Psyban, elle a échoué avec moi. J’aimerai tant en connaitre d’autres. Peut-être un jour… Mais je pense qu’ils ont bien fait les choses, nous éloignant les un des autres un maximum, ils ont peur que la prédiction de Psyban se vérifie. En réalité la liberté des gens leur fait peur. J’ai lus dans un livre, que ma mère avait réussit à voler dans une bibliothèque interdit aux gens du peuple, quelque chose sur un mouvement que l’on appelait anarchie. Si les hommes étaient tous intelligents et désireux d’une liberté pour tous, c’est cela qu’il faudrait. La règle est respectée lorsque tous ceux qui doivent la pratiquer la comprennent et la trouvent légitime. Ce n’est pas mon cas. Mais l’être humain est ce qu’il est. Rien n’est plus destructeur des choses belles, intelligentes, fragiles… L’être humain est une race qui mériterait de s’éteindre en vérité. Mais elle peut être aussi magnifique, l’art nous le confirme parfois.

Cela reste atrocement rare. Je crains que l’être humain soit foncièrement mauvais, tous ce qu’il a fait jusqu’à maintenant l’a confirmé. « Le diner est froid. Dit tout aussi froidement Rennague.

- Vous auriez du m’accompagner, c’était très beau. Dis-je avec un immense sourire, ils sont exaspérés.

- Non merci. Répondent-en cœur les trois hommes. »

Le diner est froid. Le retour est programmé au lendemain, ils ne le soulignent pas une énième fois avant que j’aille me coucher dans mon igloo en toile antivirale, je leur en suis reconnaissante. Le retour serait assez pénible sans en parler sans cesse. Je suis déprimée en me couchant. Essayant de me concentrer sur le prochain voyage, je me tourne et me retourne. Le sommeil vient me prendre à la pointe du jour, je ne dors donc que depuis une heure ou deux quand la libellule arrive. C’est une machine ronde totalement hermétique et transparente pour que l’on puisse profiter du paysage. On y est confortablement installé mais c’est beaucoup trop rapide pour profiter un temps soit peu de ce qu’il y a en bas. Je range mes affaires un poids dans l’estomac et monte dans l’engin avec un soupir, ayant une envie de fuite précipitée, étouffant déjà à l’idée d’être a nouveau enfermée dans la cité plastique. Je me sens arrachée à ce qui est intrinsèquement moi, mon essence : l’herbe, la terre, la roche, les arbres, le vent, la pluie... Je ne peux retenir mes larmes tant je suis bouleversée. Il me semble perdre ma mère une seconde fois.

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