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30 juin 2582

C’était un nouveau jour. Identique. Froid. Blanc. Comme tout ce qui nous entoure ici au quartier de vie 341. Tout est en une matière lisse et froide, qui a renouvelée tout le paysage urbain des grandes villes. Nous sommes tous regroupés ici depuis la grande épidémie, dans ce cocon de verre et de matière. Toute pollution est très fortement réprimandée, personne, surtout l’Autorité, ne veut réveiller la colère de la terre mère, matrice maintenant considérée comme un être à part entière capable de se venger du mal qu’on lui fait. Les autres quartiers du monde ne doivent pas être très différents. On sait que l’Afrique a été désertée de toute vie humaine. La faune et la flore ont repris leur droit et personne ne s’en plaint, les puits de pétrole ou de minerai ont tous été asséchés, ruinés. Les villages en pierres comme au temps des années 1900 sont tous déserts et ne servent plus que de musée. Mais il est rare que les hommes s’y aventurent, l’Autorité ne délivre pas souvent les autorisations obligatoires pour ce genre d’excursions. Seuls les riches originaux, les historiens et autres "zinzins", comme les appellent les gens, ont le cran de s’y rendre, et jamais sans une équipe d’hygiène. Certains n’en sont pas revenus à ce qu’on raconte. La peur dirige tout à chacun, la peur de l’amour, de l’inconnu, de l’étranger, et l’Autorité tire sa pleine puissance de ce qu’il est protecteur de tous ces dangers imagés, conceptualisés, mais non compris. J’aimerai me rendre à l’extérieur, affronter ces peurs qui ne sont pas les miennes et voir comment c’est de vivre et de mourir naturellement. Car ici rien ne meurt, mais rien ne vit non plus, surtout sans autorisations.

Nous sommes anesthésiés, les hommes et les femmes baisent mais jamais ne s’unissent ; les enfants ne jouent pas dehors, ils ne connaissent pas l’odeur des fleurs ou la caresse de l’herbe sous leurs pieds nus. Ils sont élevés par une organisation du gouvernement car les mères et les pères ont besoin de la liberté prônée par le gouvernement. Sa devise « Des Humains libres font une société heureuse ». Accrocheur. Mais de quelle liberté nous parlons ? Regardez-nous, nous sommes prisonniers dans une vie froide et blanche. Un aquarium antibactérien où tout déplacement est contrôlé, nous ne pouvons circuler que sur autorisation. Tout ici est froid et blanc. Toujours. Tout le temps. Les couleurs s’y font avalées. Plus rien ne réchauffe le cœur. Si. Une chose. Les arts. Les sept arts ont survécut à la grande épidémie et sont même devenus ce qu’il y a de plus grand et de plus noble dans notre monde. Mais nos artistes eux aussi sont morts à l’intérieur. Ils aiment le froid et le blanc. A moins qu’ils ne voient plus que ça. Environnement qui nous enferme même dans notre propre tête. Pourtant aujourd’hui je me rends au centre des artistes pour voir une exposition. Pas de soucis pour avoir une autorisation. Je sais que ce que je vais voir va être encore une fois quelque chose au-delà de la limite. Mais ceci en étant toujours aussi fade à nos âmes lissées. La semaine dernière un homme du nom de Marcus Zamblimop a exposé des enfants entre trois et six ans écorchés et séparés en plusieurs morceaux ce qui rendait une sorte de puzzle. Ces nouvelles œuvres sur les cadavres font un succès depuis l’invention du produit qui permet d’empêcher un corps de pourrir. Il y a un bon marché, les artistes payent très cher ceux qui acceptent de donner des corps à l’art. Je pense que certains étaient bien vivants lorsque l’argent a changé de main. J’entre dans l’immense pièce qui précède la salle d’exposition, une pièce très haute, blanche. Des piliers blancs se dressent tout le long d’un tapis blanc qui conduit à la porte blanche. Il faut bien dix minutes pour traverser cette pièce. Puis les portes s’ouvrent. Je vois quelque chose que je n’ai jamais vu avant et qui éveille quelque chose en moi.

Un corps de femme est assis sur un trône de couleur or, ses cheveux sont flamboyants, des frisotis éclatants et dessus une couronne aussi doré que le trône, un visage blanc mais si peu froid en apparence. Elle parait vivante, sa robe en tulle vert jaillit des deux côtés du trône et laisse apparaître des jambes blanches, immenses et si fines qu’on imaginerait qu’elles se casseraient sous le poids de la jeune femme. Je m’approche. Ses yeux sont restés ouvert, ils sont vides mais d’un vert intenses et ses faux cils lui donne un air lascif. Elle semble, non morte, mais en attente. Quelqu’un va venir la chercher. Ses petits pieds nus ne semblent pourtant pas prêts à un long voyage. Je veux m’approcher encore, la toucher. Mais un cube de verre la protège. Je pose dessus mes doigts longs et blancs et je vois que le cadavre a plus de couleurs que moi. J'ai les yeux grands ouverts. Ma mâchoire pend légèrement. Je reste ainsi une heure avant de me rendre compte que d’autres m’attendent. Jamais autant d’émotions éclatèrent ainsi en moi. J'étais entourée de vie au milieu des morts. Je ne pus toutes les voir tant elles me charmaient une à une, ne me laissant guère les quitter sans difficultés. Vint le moment de rentrer, ils fermaient.

4 juillet 2582

Je suis retournée à l’exposition durant les cinq derniers jours. J’y étais à l’ouverture, partais à la fermeture. Je suis épuisée ce soir, mais dans un état de grâce. L’extase que me procurait la beauté de ces femmes palpite encore dans mon ventre et j’ai le sourire aux lèvres. Je pense que demain je pourrais y retourner à nouveau. Ces corps pourront m’éclairer d’avantage encore sur ce que je ressens devant eux. Je veux connaître aussi la main qui fait ça. Je veux voir le visage qui s’est penché pour faire naître cette vie dans la mort. Mon appartement est glacé, mais rien ne peut entamer la chaleur de mes entrailles, il y a quelque chose de mystique dans ces visages qui m’enchantent. Je les jalouse et je les aime. Je m’étends sur le carrelage blanc de ma salle d’eau pour calmer le feu de mon front. La passion rend elle malade ?

Il faut que je mange quelque chose, cela fait six jours que je ne peux rien avaler de plus que quelques verres d’huile nourrissante. Il y a de l’électricité dans mes doigts, je la sens, elle est dans mes nerfs, elle se répand comme le flux de mon sang dans mes veines, elle est informe pourtant, je la localise par fragment. Elle me donne des frissons. Je ne sais plus ce qu’il m’arrive mais je n’ai pas peur, au contraire, je suis subjuguée par les sensations. Je suis vivante.

5 juillet 2582

Je suis sur le chemin, j’ai le cœur qui bat plus fort, mes jambes sont raides et mon estomac se contracte légèrement. J’entre et je le vois tout de suite, c’est lui, le créateur, le père de ces poupées magnifiques. Je le regarde de loin d’abord trop impressionnée pour m’approcher. Il me fait presque peur avec ses yeux bleu aussi froid que les murs blancs qui nous entourent, sa peau est très pâle comme tous ceux qui vivent ici mais elle, elle est presque translucide, une teinte bleuté apparait aux endroits où les veines sont les plus nombreuses, ses cheveux crépus noirs sont totalement décoiffés, tous le monde le voit et le réprouve. Ici toutes les femmes ont une queue de cheval, tous les hommes du gel pour tirer leurs cheveux en arrière en les aplatissant un maximum. Tous le monde est habillé en blanc, des combinaisons qui collent comme une deuxième peau, parfois la forme change où quelque chose y est marqué, une phrase d’auteur, un dessin de peintre…. Mais toujours en noir sur le blanc. Jamais de couleur. Lui, il porte une combinaison en deux parties, le haut et le bas sont séparés et elle est entièrement noire, sauf sur les côtés, il y a comme des marques de griffes d’animal, les marques sont rouge sang. Il s’est tourné vers moi et ses yeux m’ont bloqué. Je n’ai plus pu bouger jusqu’à ce qu’il m’est rejoint. Il est d’une beauté effrayante, à la limite de la laideur avec ses joues creuses et ses veines qui ressortent par endroit, mais ses yeux, ses lèvres, son nez, rien n’est plus parfait que ses traits. Il me touche et tout mon corps est prit de frissons. « Suis-moi. » Sa voix est grave et dur. Cassante et chaude à la fois. Je m’exécute.

Nous nous dirigeons dans un étroit couloir derrière la galerie. Nous marchons ce qui me semble un très long moment avant d’arriver à une petite porte. Elle est rouge. J’en suis choquée par habitude. Il sourit en ouvrant la porte sans cesser de me regarder. La pièce est circulaire et en pierre, des tables sont rangées ici et là, recouverte de bâches blanches presque transparentes, juste assez pour savoir qu’est-ce qui est couché dessous. Il a un petit rire sans joie en voyant mon expression, puis me fixe à nouveau, un léger sourire sur ses lèvres pleines. Je suis alors immobilisée. Il s’approche. Il est si près que je vois chaque détail de ses yeux.

« Qui es-tu ? Demande-t-il en faisant glisser un doigt le long de mon visage.

- Psymiotique. Réponds-je le souffle court.

- Je suis Psyban.

- Nous avons le même âge.

- Oui. Nous sommes la catégorie défectueuse. Tu le sais Psymiotique, n’est-ce pas ?

- Comment ?

- Combien sommes-nous à ton avis ?

- Combien ? Mon cerveau commence lui aussi à être paralysé, il est beaucoup trop proche.

- Très peu. Nous sommes défectueux, les autres sont tous morts avant l’âge d’un an. Mais nous, nous avons survécut. Sais-tu pourquoi ? Sa voix est calme et claire.

- Pourquoi ? La mienne n’est plus qu’un murmure à présent.

- Parce que nous sommes amenés à ramener la terre à la vie. Tu l’as vu n’est-ce pas ?

- Je l’ai vu dans vos œuvres. Je lève les yeux et plonge dans les siens.

- Plus vivante que les humaines froides qui déambulent dans cette ville.

- Plus vivante.

- Veux-tu que je te rende vivante Psym ? Me permets-tu de t’appeler Psym ?

- Oui. Dis-je dans un souffle sans même m’en rendre compte. Je réponds aux deux questions. Il fronce légèrement le front avec un petit sourire qui me fait froid dans le dos.

- Tu auras trois ans pour vivre ta vie comme tu le souhaite, tu auras tout ce que tu veux, tout l’argent qu’il te faut. Une fois ces trois années écoulées tu me reviendras Psym et je te tuerai pour te redonner vie. Il a bien articulé la dernière phrase, je prends l’ampleur de la chose et je me rends compte que cela m’excite atrocement et que je veux qu’il me tue, là, tout de suite, dans cette pièce ou des cadavres reposent en attendant qu’ils les ressuscitent.

- Oui. Répétai-je alors, la respiration haletante.

- Mais peut-être puis-je t’être utile d’une autre façon pour le moment. » Dit-il avec un sourire lubrique après un silence. Il a remarqué mon trouble à son contact. Il me prend la main, sa peau est froide comme celle d’un mort. S’il est de l’année Psy cela n’a rien d’étonnant. Les enfants de l’année Psy sont défaillants, comme il l’avait dit, quelque chose n’allait pas chez eux. On peut le voir par leur physique maigre et long et chacun a une propriété. Psyban avait surement une peau qui ne se réchauffait pas en plus d’être translucide. Pour ma part je suis une sorte d’albinos, à l’exception que mes yeux ne sont pas rouges mais vairons : un œil marron, un œil blanc argent ; et les deux mèches de cheveux noirs et grises, presque bleues, dans ma chevelure neige. Peu de personnes soutiennent mon regard. Il m’emmène vers une autre porte rouge. On entre dans une chambre qui semble venir de l’ancien temps, avant la grande épidémie.

Il me prend alors dans ses bras et plaque ses lèvres sur les miennes dans une brutalité calculée, j’implante ma langue dans sa bouche, agrippe mes doigts dans ses cheveux. Il me pousse contre le mur, défait la fermeture de ma combinaison, je fais de même avec sa combinaison double. Il me met face au mur et me possède en me mordant douloureusement le cou. La douleur mélangée au plaisir me fait partir en une sorte de transe. Nous jouissons ensemble puis il s’éloigne de moi.

- J’ai imprégné ta peau. Où que tu sois maintenant je saurai où tu es, nous sommes liés, tu ne pourras pas m’échapper si tu changes d’avis. Sa voix était à nouveau dure et cassante. Il avait remit une barrière. Mais je ne compte pas m’arrêter là.

- Pourrions-nous recommencer ? Je demande aussi froidement que lui.

- Pas aujourd’hui. Il s’est détourné de moi, a remit la partie basse de sa combinaison, restant torse nu, se sert ensuite un liquide rouge sang dans un verre ancien.

- Je reviendrai demain. » Il se retourne, me fixe dans les yeux et a ce sourire angoissant en hochant la tête par l’affirmative. Je reviendrai demain.

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