Journal de bord – Imperial Clipper “Con Soi Don Doc”
3301.06.12 – Système inhabité

Plusieurs semaines déjà que les Corsaires ont choisi de suivre la princesse Arissa Lavigny-Duval. Pourquoi elle ? Je ne sais pas. Torval considère l’esclavagisme comme une source de revenus et non pas comme une mesure de justice, Patreus n’est qu’un mafieux faisant du racket avec une flotte de combat. Aisling n’est qu’une pimbêche superficielle. Arissa en revanche … Elle me fait penser à ma mère. Mais avec un petit air coquin qui éveille en moi des pulsions inavou… MERDE. Putain, je divague encore. Je regarde ma montre.

Mon Clipper tourne tout doucement. L'étoile la plus proche vient illuminer le cockpit à intervalles réguliers. Tout est éteint sauf le système de survie. Les craquements des propulseurs qui refroidissent se sont tus depuis longtemps. Je devine à la lumière de la Voie Lactée le portrait d’Arissa au mur. Cela me rappelle ces routiers de l’espace et leur calendrier d’Aisling Duval. Ah, c’est sûr, elle est plus jeune. Et cette chute de rein… Moi c’est juste les cheveux bleus qui me bloquent. J’avais une poupée gonflable avec les mêmes cheveux lors de ma dernière expédition. Du coup, ça me rappelle dans quel état je l’ai ramenée après trois mois d'exploration, à mon retour à la civi… BORDEL. Je vérifie le niveau d’oxygène. Ça pourrait expliquer que je n’aie plus toute ma tête. A moins que ce soit les deux bouteilles d’Indi que j’ai descendu pour tuer le temps. Je regarde à nouveau ma montre. Et aussi ma réserve d'énergie de secours : 60%, et ça descend à vue d’œil.

Peut-être que je vais crever ici. Seul. Bêtement. Comme une merde. Je n’ai pas fait attention. J’avais un récupérateur de carburant. Je ne craignais rien. Et pourtant... J’aurais dû faire attention. J’avais connu ça lors de mon expédition pour Eta Carinae : d’immenses déserts d’énergie, des naines brunes et des type TTauri sur des centaines d’années-lumière. Je ne pensais pas en traverser aussi près de la bulle humaine *.

5%. Quelques minutes d’énergie avant le grand froid. Je vais mourir dans mon Clipper noir. Un cercueil non dénué d'une certaine classe, je vous l’accorde. J’espère ne jamais être retrouvé car ce n’est pas vraiment en costume que je pilotais mon cercueil.

L’ordinateur de bord détecte une sortie de saut et synthétise un son dans la cabine. Je bascule à la renverse. Il a reçu mon message de détresse finalement ! Le vaisseau de Kaymel Kan s’encadre dans la verrière, face à moi. Je vois mon ami corsaire calé dans son siège. Hilare. Plus qu’hilare.

— Kaymel …

— Ox ! parvint-il à me répondre entre deux hoquets. Bon comment ça marche déjà ? J’ai des drones ravitailleur.

— … Tu n’as jamais fait ?

— Non, jamais encore eu l’occasion. Ça court pas l’espace les commandants aussi cons que toi.

— Rhaa ça va …

Je le vois se démener sur ses interfaces de contrôle. Les rides rieuses au coin ses yeux se sont déplacées sur le front, signe d'une intense concentration. Un court moment, je crains qu’il me dégomme au plasma avec une fausse manipulation. Ça resterait un transfert d’énergie, mais pas un sauvetage … Soudain son visage s’éclaire et avec un grand sourire et un grand geste, il appuie sur un bouton.

Des leurres sortent de sa soute. Ça brille. Ça s'éparpille. Faut avouer que c’est joli. Mais ça n’est toujours pas un sauvetage. C’est à mon tour de rire à gorges déployées. J’en profite car s’il continue à tâtonner ainsi, ce sera mon dernier souffle.

Soudain, un petit drone excité sort de sa soute, me cherche et se précipite vers mon réservoir. Le contact est violent, le transfert est rapide, et l’explosion du drone après usage déstabilisant. Il y a un petit côté sexuel qui me dérange dans cet échange de fluide.

Si l’honneur est perdu, ma vie est sauve. C’est l’inverse de la recette de la gloire mais bon. On s’en contentera pour aujourd’hui.

* La "bulle humaine" est constituée des quelques centaines de systèmes colonisés autour de Sol. Elle représente une infime portion de la galaxie.