Ma femme

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Le 26 juin 1876


Elle a réussi à me tuer, la garce. Enfin, je ne suis pas encore tout à fait mort mais c’est inévitable. Je vais mourir. Très bientôt. Et il ne restera de moi que ces quelques lignes. Oui, ces mots seront mon testament.

Ma maudite femme m’a planté un couteau dans le dos. J’aimerais bien savoir ce que j’ai fait pour mériter un tel sort. Je pensais que nous étions heureux. À l’évidence, je me trompais.

Il est vrai qu’il n’a jamais été question d’amour entre nous. Plutôt de petits arrangements entre ses parents et moi. Il faut les comprendre. Quand on a, comme c’était leur cas, une fille à marier trop laide pour être considérée comme étant un bon parti, il faut bien une belle compensation pour le futur mari. Je n’ai pas épousé une jolie femme mais sa dot l’a rendue tolérable à mes yeux. J’aurais cru qu’à défaut d’amour, elle éprouvait au moins un peu de reconnaissance pour ce geste. Son célibat commençait à devenir un fardeau. Sans moi, elle serait restée un poids à la charge de ses parents, cible du mépris de sa famille et de ses amies mariées.

Je ne comprends pas ce qui l’a poussée à me trahir, elle, toujours si douce et si aimable envers les autres. Toujours si prompte à répondre au moindre de mes caprices. Car je le reconnais bien volontiers, je ne suis pas homme sans défauts. Mon sang bouillonne souvent trop vite. Je crie, je tempête, je menace. Parfois, j’égare un coup de canne. Peut-être deux. Pas plus de trois. Toutefois, ma femme n’a jamais émis aucune plainte à propos de mon vif caractère. Non, vraiment, j’ai épousé une perle. Affreuse, certes. Mais très serviable.

Maintenant que j’y pense, il se peut qu’elle ait été assez mélancolique, ces derniers mois. Serait-ce mon manque d’attention qui a éveillé en elle ces pulsions criminelles ? Mes affaires, ainsi qu’une désastreuse infidélité, m’ont tenu loin de mon foyer pendant un temps. J’aurais dû consacrer plus de temps à ma femme, sans doute. Mais pour cela, il aurait fallu affronter son visage ingrat et la source honteuse de ses origines.

De mon mariage, je ne regrette qu’une seule chose : nous n’avons pas eu d’enfants. La lignée de ma femme porte l’entière responsabilité de mon refus de procréer. Au moment de nos fiançailles, personne n’a eu le cran de m’avouer l’origine de la fortune familiale. J’ai découvert bien trop tard que la branche maternelle se déploie depuis les Antilles et que les ancêtres de ma femme sont d’anciens esclaves. Il me paraît inacceptable que mes héritiers légitimes soient des mulâtres. Un bâtard, à la limite… C’est d’ailleurs ce que j’ai hurlé à la face de mon épouse quand j’ai appris cette terrible nouvelle. Ses yeux, beaucoup trop grands pour son visage, me fixaient bêtement. Brièvement, j’ai cru déceler une lueur de haine mais elle n’a pas bronché. Agacé par son air idiot, je l’ai giflée et elle est revenue à la vie. C’est ainsi qu’il faut traiter sa femme pour qu’elle se montre obéissante.


La peur de la mort m’étreint davantage à mesure que l’heure d’expirer approche. Ma main tremble et je peine à tracer ces lignes. Je suis terrifié et si j’en étais capable, je mettrais fin moi-même à mon supplice. Cette mascarade. Enfin, je crois.

L’heure des visites s’est écoulée. Il n’y avait personne pour moi. Hormis un prêtre centenaire mais je n’ai pas le temps pour ses bondieuseries lancées d’une voix chevrotante. J’espérais rencontrer un visage familier, croiser un regard aimant qui me donnerait du courage pour affronter cette ultime épreuve. Mais je suis seul, désormais. Pas d’enfants. Plus de femme…

Ma femme est morte. Ce serait une triste nouvelle si elle ne m’avait pas fait endosser son propre meurtre. Personne ne croit à mon innocence. Et l’histoire est tellement improbable que je peine à y croire moi-même. Et pourtant. Un jour, sans crier gare, elle s’est jetée sur le coupe-papier dont je venais de me servir pour ouvrir une lettre. La lame a découpé ses chairs aussi facilement qu’une enveloppe. Et elle a hurlé. À l’assassin ! À l’assassin ! Le sang a giclé sur mes mains, mon visage, le tapis. Nos voisins, que je pensais être des gens bien comme il faut, ont envahi notre appartement et elle les a pris pour témoins, me pointant de son doigt accusateur, les yeux fous roulant dans leurs orbites. C’est lui ! C’est lui !

Mon Dieu. Je suis bien aise qu’elle n’ait pas survécu à une telle machination. Quelle garce.


J’entends des pas et une clef tourne pour ouvrir la porte de ma cellule. J’espère qu’on m’apporte ma grâce et non mon billet pour la guillotine.

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Ma femmeChapitre3 messages | 3 ans

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