Chapitre 24 : Les Sangärens - (3/3)

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Un toussotement discret interrompit leurs ébats. Par réflexe, Deirane se redressa brutalement et croisa les bras sur sa poitrine. Anders s’avança. Atlan masqua Deirane de sa tunique.

— Que voulez-vous ? reprocha-t-il.

— J’ai le devoir de ramener les concubines royales au harem. Je suis venu vous prévenir qu’on ne va pas tarder à s’en aller.

— Immédiatement ? demanda Atlan.

— Mericia n’est pas réveillée. Vous avez le temps de finir ce que vous étiez en train de faire.

— Mericia dort encore ? s’étonna Deirane. Au harem, elle est l’une des premières levées.

Anders se passa la main derrière le crâne, l’air gêné.

— En fait, contrairement à vous, cette nuit elle ne s’est pas contentée de caresses et de baisers.

Anders s’éclipsa. Deirane se rallongea. Atlan se pencha sur elle.

— Le comportement de Mericia me surprend, fit remarquer Deirane. C’est l’une des plus fidèles à Brun. Cette incartade ne lui ressemble pas.

— Es-tu sûre de vouloir parler de ça maintenant ? l’interrompit Atlan.

— Excuse-moi, je réfléchissais tout haut.

— Je ne connais pas Mericia. Pourtant je peux affirmer que ce qu’elle a fait cette nuit n’est que le résultat de la terreur qu’elle a éprouvée hier. Elle avait besoin d’oublier. N’y vois pas de faille dans sa fidélité au roi ?

— Bien que tu ne la connaisses pas, tu l’analyses bien.

— Non. Je connais les gens. Et c’est toi que j’ai étudiée.

— Moi ?

— Tu n’aimes pas le roi et tu veux échapper à son emprise. Tu cherches des alliés. Malheureusement, tu n’en trouveras pas en elle.

Sans lui laisser le temps de répliquer, il l’embrassa.

Sitôt la jeune femme habillée, Atlan ramena Deirane auprès des gardes rouges. Mericia, accompagnée du sergent Calas, les rejoignit. La belle concubine semblait s’être reprise. Elle était tellement habituée à jouer le rôle d’une personne forte et hautaine que cela était devenu comme une seconde nature, même en ces circonstances tragiques. Elle enlaça sa compagne d’infortune.

— C’est fini, la réconforta-t-elle, le monstre est blessé. Peut-être mourant. On va rentrer au palais.

— Blessé ? releva Anders.

La veille, aucune des deux femmes n’avait raconté ce qui s’était déroulé depuis le moment où cette horreur avait capturé les deux concubines. Mericia combla cette lacune. Même si elle semblait assurée, ce n’était pas le cas. Et son histoire fut passablement embrouillée. Pourtant Anders donna l’impression d’avoir compris.

— Serait-ce une manifestation du pouvoir de votre tatouage ? demanda-t-il à Deirane.

L’interpellée hocha la tête.

— Intéressant, ce tentacule représentait donc un danger par sa simple présence.

— J’ai bien senti le danger, répondit Mericia, c’était atroce. Une douleur similaire à celle qu’on éprouve quand on se renverse du jus de citron sur une plaie.

— Un effet corrosif sur la peau. Une agression chimique au lieu de physique. Cela correspond à ce que l’on sait de ce sort de protection. Mais…

Il se tourna vers Mericia.

— Si je comprends bien vous vous teniez proche de Serlen quand le tentacule vous a enveloppée.

— On était dans les bras l’une de l’autre.

— Pourquoi n’avez-vous rien ? Partout où elle est visible, votre peau a l’air intacte.

Mericia baissa les yeux vers son propre corps. Et hormis une légère rougeur, indice d’une brûlure minime, toutes les parties exposées d’elle-même semblaient indemnes. Quelques jours à l’infirmerie et elle retrouverait sa beauté immaculée. Le lieutenant fit courir ses doigts le long du flanc de la jeune femme, du haut du buste vers la hanche. Quand il arriva au niveau de la taille, elle poussa un cri de douleur et s’écarta.

— Vous êtes blessée, dit-il, montrez-moi.

Mericia hésita. Puis elle releva sa tunique jusqu’à la poitrine. Une série de petites cloques lui ceignaient la taille. Sans gravité, mais elles mettraient plus de temps à guérir qu’une simple rougeur.

Un soldat arriva avec une miche de pain et un morceau de fromage qu’il partagea entre les deux femmes. Deirane s’écarta de lui dès qu’elle eut pris sa part. Mericia se dépêcha de se rajuster. Pendant ce temps, le lieutenant Anders marchait en réfléchissant. Pendant que la mante religieuse les transportait, chacune par un tentacule, son contact avait brûlé Mericia. Puis, une fois fortement enlacée avec Serlen, elle n’avait plus rien subi. Il se tourna brutalement vers Deirane.

— Connaissez-vous les limites de votre pouvoir ? lui demanda-t-il.

— Les quoi ?

Surprise par la soudaineté de la question, elle n’avait pas entendu le début.

— Le sort qui maintient les joyaux en place, jusqu’où s’étend-il ? Je veux dire, à quelle distance de votre corps. Est-ce qu’il englobe une petite zone autour de vous ? Ou est-ce plus subtil ? Un contact étroit suffit-il à protéger une personne ?

— Je ne sais pas. Pourquoi ?

— Dame Mericia n’a rien. Elle devrait être morte, ou au moins grièvement brûlée, défigurée par ce monstre. Pourtant, elle n’a rien de plus que vous. Comment ? Je pense que votre pouvoir l’a englobée dans sa sphère d’action.

Mericia mit un moment à assimiler les paroles d’Anders. Le regard qu’elle posa finalement sur Deirane avait changé. Il contenait maintenant de la reconnaissance.

— C’est important ? demanda Deirane.

— Je ne sais pas. Je suis un garde rouge, chargé de la protection du Seigneur lumineux. Et cela est un moyen de protection. Si quand vous êtes dans ses bras, aucune flèche ne peut l’atteindre, je dois en tenir compte. Cela ne me rendra que plus efficace dans ma tâche.

Deirane mangea le dernier morceau de fromage, puis but une gourde presque entière. Sa nuit avec Atlan l’avait rétablie, et son cerveau recommençait à travailler. Et les paroles du lieutenant l’atterraient. Elles signifiaient qu’elle allait devenir encore plus proche de Brun qu’actuellement. Et si comme elle le soupçonnait, ce phénomène était dû au contact étroit, peau contre peau, qu’elle avait eu avec Mericia, sa pudeur allait largement en souffrir. Elle risquait de ne porter, à partir de maintenant, guère plus de vêtements sur elle que sa compagne de voyage.

Le capitaine attendit qu’elle rendît la gourde au soldat.

— Vous êtes prêtes ?

Les deux femmes hochèrent la tête.

— Alors on y va. Nous devons rentrer au palais.

Atlan enlaça Deirane une dernière fois afin de l’embrasser.

— N’oublie pas que la tunique que tu portes m’appartient, lui rappela-t-il.

— Veux-tu que je te la rende ?

— Non, garde-la. Je passerai un jour la récupérer.

— C’est un souhait ?

— C’est une promesse.

Quand ils se séparèrent, il laissa traîner la main sur la hanche de la jeune femme aussi longtemps qu’il le put. Puis il rejoignit son cheval sans la quitter des yeux.

Mericia n’avait pas perdu une miette de la scène. Elle profita de leur proximité pour échanger furtivement quelques paroles.

— Je vois que tu ne t’es pas ennuyée cette nuit, releva-t-elle.

— Tu peux parler, lui renvoya Deirane. Et Callas alors !

— Tu t’en es rendu compte ?

— Tu n’as pas été très discrète.

Mericia se pencha sur l’oreille de Deirane.

— Si quelqu’un l’apprend, je te tuerai.

— Moi je ne te trahirai pas. Seulement as-tu pensé aux gardes rouges ? Eux aussi sont au courant.

Mericia resta muette. Elle avait oublié ce détail. Toutefois, quelque chose disait à Deirane que rien de ce qui s’était passé cette nuit ne serait porté à la connaissance de Brun. Quant à Mericia, elle se ressaisit vite. Elle verrait ce qui arriverait et y ferait face le moment venu comme à son habitude. Elle préféra reporter son attention sur un autre sujet.

— Cet Atlan, il est bien fils de Mudjin ? s’enquit-elle auprès de sa compagne.

— C’est bien ce qu’il a annoncé, confirma Deirane.

— Je suis surpris parce que sa renommée est récente. J’admets que le harem n’est pas l’endroit idéal quand on cherche à se tenir au courant de l’actualité. Cependant, je n’en entends parler que depuis une dizaine d’années. C’est rapide pour atteindre une telle célébrité. Sais-tu d’où il vient ?

— Je n’en ai aucune idée. Il a commencé à être connu juste après ma naissance. Pourquoi ?

— Et tu es née ?

— En 1187.

— Donc, il y a un peu plus d’une dizaine d’années. Ça colle.

Deirane tourna la tête vers Mericia. L’expression de cette dernière était indéchiffrable. Elle ne pouvait pas éprouver des sentiments envers Atlan. Pas Mericia, qui n’aimait qu’elle-même. Et ce même si le jeune nomade lui semblait beau avec ses cheveux noirs, sa peau basanée et ses épaules larges. Inutile de rêver sur lui, ils ne se reverraient jamais.

— Le visage d’Atlan me donne une impression de déjà vu, lâcha soudain Mericia.

— Où l’aurais-tu rencontré ? Aucun homme n’est entré dans le harem ces dernières années. Sauf Biluan. Mais je pense que ça ne compte pas. Il n’en est pas ressorti.

— Cela ne peut dater qu’avant mon arrivée. Atlan est trop jeune. Regarde-le. Je suis sûre qu’il l’est plus que moi.

— Tu as pu rencontrer son père, en déduisit Deirane. Tu te souviens des circonstances ?

— Les seuls Sangärens que j’ai fréquentés autrefois étaient ceux que Biluan avait engagés comme escorte quand il m’a revendu à Brun.

La conclusion coulait de source. Mudjin devait se trouver parmi eux. Ainsi, le grand chef sangären faisait partie de ceux qui avaient réduit Mericia en esclavage. Ce raisonnement n’était pas stupide. Mudjin avait signé des traités avec l’Orvbel. Peut-être la présence de Mericia dans le harem résultait-elle de ce genre de collaboration. Voilà qui expliquait son comportement de cette nuit, pourquoi elle avait évité Atlan et pourquoi elle s’était réfugiée auprès des gardes quand ils les avaient rejointes.

Le lieutenant donna le signal du départ. Quelques soldats explorèrent la lisière de la forêt à la recherche d’un passage permettant de rallier la ville. Atlan les héla.

— C’est là-bas, leur indiqua-t-il en désignant du doigt la rive opposée du fleuve.

En effet, la veille, il avait montré la route à Deirane. Elle n’y pensait plus. Il fallait dire qu’Atlan lui avait donné d’autres sujets de réflexion depuis. Suivant les conseils du jeune homme, Anders traversa le petit pont de bois, solide, bien que fruste, et s’arrêta devant le chemin. Atlan l’avait rejoint, tenant son cheval par sa longe.

— Il est bien beau ce chemin, constata le garde rouge. À quelles surprises dois-je m’attendre en l’empruntant ?

— Aucune. Cette route mène à un village de garnison qui protège son accès. En plus, elle est surveillée. Vous serez vite repérés. Dans un monsihon tout au plus, vous aurez rejoint la civilisation.

— Merci.

— Que ta lignée soit longue, lieutenant Anders, souhaita-t-il.

Il allait s’éloigner.

— Attends ! s’écria le garde rouge.

Il allait détacher le bracelet qui lui ceignait le poignet. Mais le nomade l’interrompit.

— Je ne suis pas un mendiant qui vit de l’aumône, protesta-t-il. Garde ton or, tu me seras redevable d’un service.

— Tu pourras venir le chercher quand tu le désireras. Que ta lignée soit longue, Atlan fils de Mudjin.

— Je n’y manquerai pas, j’ai déjà une tunique à récupérer.

Atlan adressa un sourire amusé à Deirane, puis il s’éloigna, son cheval derrière lui.

Anders envoya un éclaireur sur la route. Puis, après un délai raisonnable, il s’y engagea accompagné des deux concubines, les autres gardes rouges fermant la marche. Deirane se retourna. Atlan, fièrement dressé sur sa monture, n’avait pas bougé. Il la surveilla jusqu’à ce qu’un coude du chemin la cache à sa vue. Il rejoignit alors ses compagnons. Il était temps de rentrer au camp, son père devait attendre son rapport avec impatience.

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