Chapitre 12 : Conseil de guerre - (2/2)

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Dayan arrêta soudain de se lisser la barbe. Il allait prendre la parole.

— J’en doute, les contredit-il, cela fait des années que les habitants de la région cherchent à se débarrasser des brigands qui les contrôlent. Cela ne fera que les motiver davantage, ils n’en deviendront pas plus forts pour autant.

— Les pentarques pourraient utiliser la même technique qu’au Kushan, proposa Brun.

— Ils pourraient en effet.

Devant l’incompréhension des deux femmes, le ministre expliqua.

— Ils ont formé et organisé la résistance au Kushan. Quand les légions de l’Helaria sont entrées dans le pays, les chefs de guerre ont dû faire face à la fois à une armée régulière et à une guérilla locale. Ils n’ont pas tenu deux ans.

— La technique a prouvé son efficacité, ajouta Brun, à l’époque, l’Helaria était beaucoup plus petite, elle ne comptait que ses provinces maritimes et une infanterie bien plus réduite. Le Kushan fournit plus de la moitié de ses effectifs aujourd’hui.

Deirane avait saisi. Les livres d’histoire ne donnaient pas tous les détails. Elle comprenait aussi pourquoi ils avaient plus de mal avec le Lumensten. Le Kushan comportait une grande ville, trois moyennes et une multitude de villages. Le Lumensten était deux fois plus peuplé avec trois cités et plus d’une dizaine de petites villes. Les préparatifs de la pentarchie étaient forcement plus longs. Ce qui s’était produit à Elvangor montrait cependant qu’ils seraient bientôt prêts.

— Si nous passions à vous, reprit Brun. Vous vouliez me voir. C’était, paraît-il, une question de vie ou de mort.

Deirane n’était pas étonnée qu’il sût. La piscine, où elles discutaient souvent de sujets anodins, était sous le contrôle de ces mystérieux yeux feythas. On devait les espionner au moment où elles évoquaient la catastrophe à venir. Cela n’avait rien de surprenant, les gardes devaient difficilement résister au plaisir d’épier de jeunes femmes s’ébattant nues dans l’eau.

— Je ne sais pas par où commencer, hésita Dursun.

— Par le début, répondit Dayan. Et allez droit au but !

— D’accord.

Elle s’humecta les lèvres de la langue.

— Deux causes peuvent déclencher un tsunami : un tremblement de terre ou un volcan.

Elle regarda Deirane qui l’encouragea à continuer.

— Si ce tsunami résulte d’un tremblement de terre, tout est fini, on peut réparer les dégâts et reprendre une vie normale. En revanche, si c’est un volcan, alors ce n’est que le début. Si nous ne nous préparons pas, beaucoup vont mourir.

L’annonce jeta un froid sur l’assemblée.

— Que voulez-vous dire par « ce n’est que le début » ? demanda Brun.

Dursun chercha ses mots.

— Lors d’une explosion volcanique, l’éruption ne constitue que le déclencheur d’une série d’événements qui peuvent mener à une catastrophe.

— Je n’ai jamais entendu dire qu’un volcan pouvait provoquer un raz-de-marée, contesta Dayan.

— Il faut des conditions bien particulières, reconnut Dursun. Le volcan doit être de taille importante. Et une partie de sa structure doit glisser dans l’océan. En fait, ce n’est pas l’éruption en elle-même qui est à l’origine du tsunami, mais cet effondrement.

— Je vois, répondit Dayan. Comment sais-tu tout cela ? Il n’y a pas de volcans en Aclan.

— L’école dispose d’une bibliothèque bien fournie. Enfin, plus correctement que dans beaucoup de pays. Tous les détails y sont mentionnés.

— Je vois, répéta Dayan. Donc nous avons une éruption, un raz-de-marée. Le volcan envoie de la lave et des pierres en l’air. Puis le phénomène s’arrête. Que peut-il arriver d’autre ?

— Ce ne sont pas les pierres et la lave la menace. Sauf envers ceux qui sont proches du phénomène. Le danger, il vient de ce qu’on ne voit pas. Les gaz. Et aussi la cendre, très fine, que le vent peut emporter très loin. Une éruption puissante envoie tant de cendres dans l’atmosphère qu’elles cachent la lumière du soleil. La température tombe. Il fait froid. Il peut même neiger.

— Neiger ? demanda le capitaine. Qu’est-ce que c’est ?

Dayan ignora la question.

— C’est ridicule, s’écria-t-il. Un volcan c’est chaud, il rejette de la lave ; ça peut réchauffer l’air, pas le refroidir.

— La remarque du seigneur Dayan me semble pertinente, intervint Brun. Qu’avez-vous à y redire ?

— Je ne suis pas une experte…

— Exactement, riposta Dayan, il n’y a pas eu de volcans actifs dans la zone civilisée de notre monde depuis l’arrivée des feythas. Personne n’a pu constater leurs effets. Rien n’étaye tout ce que vous évoquez.

— Ça peut être utile de se préparer.

— À quoi ? Au froid ? On aura qu’à chauffer un peu plus les maisons et puis voilà.

— C’est plus grave que…

— Vous avez exposé votre point de vue, l’interrompit Brun. J’ai toutefois plus confiance dans les avis de mon ministre que dans les vôtres. Cela fait des années qu’il me conseille. Vous, je vous connais à peine.

— Nous devons constituer des réserves de nourriture, tenta Dursun une dernière fois.

— Nous en avons, répondit Dayan.

Brun tapa dans ses mains. L’eunuque qui avait accompagné les deux femmes entra dans la pièce.

— Ramenez ces deux personnes à leurs quartiers, lui ordonna le roi.

Il s’inclina légèrement pour saluer, puis il invita les deux amies à le suivre. Elles s’exécutèrent sans discuter.

— Ils sont fous ! s’écria Dursun une fois dans le couloir.

— En quoi le froid peut-il nous gêner ? demanda Deirane. Au contraire, notre monde est trop chaud.

— S’il fait trop froid, les récoltes ne mûrissent pas et meurent. Et sans récolte, pas de nourriture. S’ils ne se préparent pas, nous allons connaître la famine.

— Écoute, je suis née dans une ferme. Nous récoltons deux moissons par ans. Et même en hiver, le blé arrive à maturité. Je suppose qu’au nord des montagnes, là où il fait vraiment glacial, les plantes ne poussent pas. Mais chez nous, il fait chaud. Si la température diminue un peu, je ne vois pas où se situe la catastrophe.

— Elles ne vont pas baisser un peu, répondit Dursun, elles vont carrément chuter.

— Dans l’hypothèse où un volcan aurait provoqué le tsunami. Et s’il résultait d’un tremblement de terre.

Dursun caressa la joue de son amie.

— Tu as raison, dit-elle enfin, je m’inquiète peut-être sans raison, même si ton rêve semble privilégier cette hypothèse, d’autant plus que je ne sais pas trop ce qu’on pourrait prendre comme précaution.

— Quel dommage qu’on n’ait pas accès à des caves, déplora Deirane !

— Des caves ! Pourquoi ?

La jeune Yriani adressa un sourire en coin à son amie.

— Aurai-je eu une idée à laquelle tu n’as pas pensé ? ironisa-t-elle.

Dursun leva les bras afin d’exprimer son impuissance.

— Des champignons, expliqua Deirane. Je ne sais pas ce qu’il faut pour les cultiver, mais ils n’ont pas besoin de lumière. On peut en faire pousser à l’obscurité à l’abri sous terre.

Le visage de la Shacandsen s’éclaira.

— C’est une excellente idée, s’écria-t-elle, je vais me renseigner. L’Helaria a réussi à nourrir tous ses habitants pendant les moments difficiles de l’ère feytha. Et dans la ville, nous devons disposer d’autant de caves qu’à Imoteiv avec une population nettement inférieure.

— Ça signifie que, non seulement on pourrait en produire suffisamment, mais qu’en plus on en exportera.

— Attends ! la tempéra l’Aclanli. Nous ignorons comment les cultiver, en combien de temps ça pousse, ni où trouver la semence. D’ailleurs, ça pousse comment ? Des graines ?

— Je ne crois pas. Ils peuvent apparaître spontanément sur les murs. Et je n’ai jamais vu de graines sur les murs.

— Je vais consulter la bibliothèque de l’école. Je découvrirai peut-être quelque chose dans un livre.

La bibliothèque. Deirane n’y avait trouvé que frustration. Elle était destinée à éduquer des enfants, pas à former des scientifiques. Tous les sujets y étaient abordés, malheureusement à un niveau basique qui la laissait souvent sur sa faim. Seuls des domaines pratiques tels que la mécanique, l’économie ou la politique bénéficiaient d’ouvrages de haut niveau, aptes à assouvir la soif de connaissance de la jeune femme. Malheureusement, elle ne possédait pas encore les bases qui lui auraient permis de les comprendre.

Elle regarda Dursun s’éloigner. L’éventualité de trouver quelque chose d’intéressant la rendait joyeuse. Elle retrouvait la petite fille qu’elle avait rencontrée un an plus tôt. Elle ne découvrirait certainement que des généralités. Cependant, elle était intelligente, elle pourrait peut-être en tirer quelque chose. Et puis, peut-être qu’Ard savait.

Un mouvement dans son ventre la détourna de ses pensées. Elle posa la main dessus et le caressa doucement. Un sourire éclairait son visage.

— Que veux-tu devenir plus tard ? Un joueur de cam-cam ?

Elle retourna vers la salle commune, comptant profiter du bassin pendant qu’il était encore désert.

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