Chapitre 12 : Conseil de guerre - (1/2)

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Deirane avait très bien dormi. Cela faisait plusieurs jours qu’aucun rêve n’avait perturbé ses nuits, ce qui lui avait permis de rattraper son sommeil en retard. Elle serait restée davantage à paresser au lit si Chenlow en personne n’était venu la réveiller.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle d’une voix assoupie.

— Tu es convoquée au bureau de Brun.

— Quand ?

— Maintenant, tu t’habilles et tu y vas.

Elle s’était redressée, tout en gardant les draps plaqués contre sa poitrine. Malgré sa présence dans le harem depuis presque deux ans et les tenues qu’on la forçait à revêtir, elle ne pouvait se résoudre à se montrer nue devant un homme, même un qui avait l’âge de son père. Elle se comportait sur ce plan très différemment de ses amies Dursun et Nëjya qui n’avaient pas peur de porter des toilettes osées, voire de Mericia, cette très belle femme qui ne semblait posséder dans sa garde-robe que des pagnes et des bijoux.

— Pourquoi ?

— Regarde dehors, répondit le vieil eunuque.

Elle se leva en s’enveloppant du drap, ce qui arracha des cris de protestation aux fillettes qui dormaient en sa compagnie. À pas de loup, elle se dirigea vers la fenêtre. Elle ne remarqua rien de particulier. Le ciel, encore sombre, commençait tout juste à s’éclaircir. Les étoiles étaient toujours visibles. De la ville, elle ne distinguait que les toits des maisons les plus proches du palais. Dans le bâtiment juste en face, elle vit de la lumière dans ce qui semblait être le bureau de Brun.

— De l’autre côté, lâcha Chenlow.

Elle hésita un instant. Passer de l’autre côté signifiait sortir nue dans le couloir. Après tout, enveloppée comme elle l’était, sa pudeur serait préservée. Elle s’exécuta, l’homme sur les talons.

La fenêtre donnait sur les jardins et au-delà la forêt qui entourait Orvbel. Le soleil était encore sous l’horizon. Il éclairait un ciel dépourvu de nuages. Et pourtant, il brillait d’un rouge comme elle ne l’avait jamais vu. On aurait dit qu’il était en feu. Son rêve se réalisait.

Elle retourna dans sa chambre. Loumäi s’était réveillée. Comme Deirane, elle dormait nue. Contrairement à cette dernière, c’était une nécessité. En tant que domestique, elle ne possédait que peu de tenues, toutes consacrées à son travail. Elle ne détenait aucune chemise de nuit ni aucun sous-vêtement. En la voyant fouiller dans l’armoire, afin de chercher de quoi l’habiller, Deirane se promit d’y remédier.

En les entendant entrer, Loumäi se retourna, une robe à la main. Elle poussa un cri de surprise et de panique en découvrant la présence de l’eunuque en compagnie de sa maîtresse. Elle plaqua la pièce de vêtement contre sa poitrine.

— Chenlow ? prononça juste Deirane.

— Je suis un vieil homme, répondit-il.

Vieux, il l’était par l’âge, c’était vrai. Cependant, il était encore en pleine santé et ne manquait pas de charme. Beaucoup de concubines ou de domestiques se seraient bien laissées entraîner dans un coin discret avec lui. Ce qu’il avait toujours évité.

— Pas Loumäi, protesta Deirane, elle est femme de chambre, pas concubine. Elle n’est pas habituée à ça.

Elle entendit juste la porte se refermer. Chenlow avait anticipé ses paroles. Il était sorti bien avant qu’elle l’y invitât. Deirane se demanda un instant si cela ne serait pas une bonne idée de se montrer moins pudique avec lui. Après tout, elle aimait bien mettre ses seins en valeur ou exhiber ses jambes quand elle était adolescente. Pourquoi cela la gênait-il aujourd’hui ? Parce qu’à l’époque c’était sa décision alors que maintenant on la forçait.

Chenlow dehors, Loumäi put l’aider à s’habiller.

— Tu choisiras une robe qui te plaît, proposa Deirane, n’importe laquelle, et nous la ferons ajuster à ta taille.

Ce qui permettra de vérifier qu’elle n’est pas empoisonnée.

— Je suis une domestique, pas une concubine.

— Et alors ? Tu as le droit de porter de jolies tenues de temps en temps. Quand tu es de repos, tu n’es pas obligée d’être habillée en servante. Il y a peut-être quelqu’un ici qui serait heureux de te voir dans une robe affriolante. Daniel par exemple.

La façon dont le visage s’empourpra amusa Deirane qui esquissa un petit sourire. Même si elle montrait peu ses sentiments, Deirane avait appris à interpréter les expressions de sa chambrière. Le cadeau qu’elle lui avait promis lui faisait plaisir.

— D’ailleurs, tu pourras te servir à volonté dans mon placard. Je crois que beaucoup de choses pourront t’aller sans retouches.

Les plus longues en tout cas, parce que si Loumäi n’était pas très grande, elle l’était plus que sa maîtresse.

À l’heure dite, un eunuque vint chercher Deirane. Dursun l’accompagnait déjà. Il les conduisit à travers les couloirs jusqu’au bureau de Brun. La jeune femme avait l’habitude de sortir du harem ; concernant l’adolescente, c’était la deuxième fois depuis son arrivée, presque un an plus tôt. Bien que la nouveauté de la découverte soit passée, elle regardait tout avec intérêt. À la surprise de Deirane, elles n’empruntèrent pas le trajet qui traversait les appartements de Brun, elles quittèrent le harem par la grande porte. Elle ignorait que la galerie de marbre, cette allée prestigieuse qui avait fait la célébrité du palais dans le monde entier, se trouvait juste derrière. Seule une cour servait de no man’s land entre les deux parties du palais. C’était étonnant, cette zone de la résidence était ouverte au public, elle donnait accès au trône, à une salle de réception, à un théâtre et au tribunal. C’était là que le roi honorait les citoyens méritant, y distribuant les récompenses. Des balcons permettaient au peuple d’assister à la scène sans se mélanger aux commerçants et aux nobles. Une série de portes, camouflées derrière des tentures, la plupart desservaient des corridors que les domestiques employaient dans l'accomplissement de leur office, en évitant les parties prestigieuses du palais. L’une d’elles donnait sur un couloir richement décoré et éclairé par de larges fenêtres sur un côté, qui menait directement au bureau de Brun.

Le roi était déjà présent, ainsi que Dayan et un militaire. Il n’était pas installé à sa place, mais sur un des nombreux fauteuils en cuir qui entouraient une table basse en bois marqueté. Une coupe de fruit était posée au centre et un plateau rempli de petits gâteaux juste à côté. Des verres et une carafe d’eau complétaient les préparatifs. Malgré le côté détendu, c’était une réunion de travail.

Deirane hésita ne sachant que faire. Ses compagnons ne l’aidèrent pas. Dursun, d’habitude si dégourdie, semblait être devenue extrêmement timide en présence des maîtres de la cité-État. Dayan leur désigna des sièges libres de la main. Elles s’assirent l’une à côté de l’autre. Deirane constata qu’elles étaient auprès du ministre, et face au militaire. Au lieu de la tenue rouge, il portait un uniforme d’un gris plus terne et discret. Il faisait partie de l’armée de la ville. Ce dernier aussi avait remarqué leur place respective autour de la table, son intérêt envers ces deux femmes s’accrut brutalement.

— Nous pouvons commencer, annonça Brun, capitaine, allez-y.

Le soldat prit le dossier posé devant lui et l’ouvrit.

— Il y a huit jours, commença-t-il, un tsunami s’est abattu sur les côtes du continent d’Ectrasyc. Il était constitué de quatre vagues, s’étalant sur une période légèrement supérieure à un calsihon. Cette série de vagues, bien que pas très haute, était d’une puissance suffisante pour pénétrer loin à l’intérieur des terres. En général, d’une à deux longes, elle a atteint une dizaine par endroits.

— Les renseignements sont précis, releva Dursun.

— Nos ancêtres ont mis en place le système pendant l’ère feytha, répondit Dayan. Bien qu’il n’ait pas toujours été correctement entretenu, il fonctionne.

— D’accord pour donner l’alarme ; là, vous disposez d’informations chiffrées.

— On n’est pas obligé de la faire sonner en continu, expliqua le capitaine. En modulant le son, on peut envoyer de brefs messages. En l’occurrence, un identifiant, le nombre de morts et une note qui indique le degré de secours dont on a besoin ou que l’on peut fournir.

— Oh, vous disposez de toutes les informations de la côte, s’étonna Deirane.

— Non, malheureusement. Jusqu’à Shaab uniquement. Personne ne vit entre Shaab et Nasïlia, plusieurs centaines de longes sans aucune communauté qui pourrait transmettre les messages. Nasïlia n’a donc pas reçu l’alerte et n’a pas pu non plus nous communiquer ses dégâts. Et de l’autre côté entre Kushan et Ruvyin il existe une distance similaire, déserte également.

— En gros, reprit Dursun, nous savons ce qui s’est passé de Kushan à Shaab, et rien au-delà.

— En fait, des télégraphes sont installés entre Kushan et Ruvyin. Certaines tours ont dû être détruites. Les cornes sont plus faciles à mettre en sécurité. Leur relative petite taille permet de les ranger dans un coffre. Les télégraphes, il n’y en a qu’un toutes les cinq longes. Et si deux d’entre eux sont endommagés au point de ne plus fonctionner le message ne passe plus.

— Cela explique qu’on ait reçu l’alarme, puis plus rien depuis, en déduisit Dursun. Cela ne signifie pas qu’Imoteiv est détruite.

— Je serais étonné que l’on dénombre plus de dix morts dans toute l’Helaria, intervint Brun. Mais nous ne nous sommes pas réunis pour parler technique. Nous avons à discuter du moyen de surmonter cette crise.

— Cinq mille six cent trente-deux annonça le capitaine.

— Pardon ?

— Ce sont les pertes déclarées par l’Helaria.

Cette valeur élevée souffla Deirane qui resta muette de saisissement.

— C’est beaucoup, je ne m’attendais pas à un tel nombre, remarqua Brun, je les aurais crus plus organisés.

— Le Lumensten, proposa Dursun, ils ne contrôlent qu’une partie de cette province. Je suis sûre que La Tour a subi très peu de pertes, alors que les autres districts côtiers sont fortement touchés.

— Exact, répondit le capitaine. Huit morts à Kushan, une quinzaine de plus dans les villages du littoral, trois à La Tour. Le reste, plus de cinq mille, vivait dans des villes aux mains des chefs de guerre.

— Je ne sais pas ce que vous en pensez, remarqua Deirane, quand les habitants auront connaissance des chiffres de la mortalité des zones contrôlées par les pentarques et de celles qui dépendent des khans, le pouvoir de ces derniers risque de vaciller.

— Je me suis fait la même réflexion, répondit le soldat. À condition que la population l’apprenne. Je doute que les khans leur révèlent cette information.

— La Résidence trouvera bien un moyen de les prévenir.

Brun manifesta son énervement d’un geste de la main. Tout ce qui favorisait la puissance de la thalassocratie le mettait de mauvaise humeur. Et là, si elle gérait correctement cet événement, malgré les destructions qu’elle avait inévitablement subies, elle en ressortirait plus forte que jamais.

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