Chapitre 9 : La Vague - (2/2)

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Arsanvanague la rejoignit. Elle lui montra l’horizon. Deux autres vagues arrivaient, peut-être plus. Elles ne disposaient que de quelques stersihons pour se mettre à l’abri. Les concubines coururent vers l’entrée du palais. Lorsqu’elles l’atteignirent, le tsunami s’abattit à nouveau sur la terrasse. La deuxième se révéla plus puissante que la première. Elle progressa jusqu’au hall et monta à l’assaut de la terrasse. En voyant que même dans le bâtiment, elles risquaient d’être inondées, les concubines refluèrent vers le fond de la salle. L’accès qui menait aux escaliers était trop étroit, incapable d’absorber une telle foule. Jamais elles ne passeraient toutes. Heureusement, la submersion de la terrasse n’était due qu’à son élan. Il lui restait peu de puissance. Elle buta contre les portes au lieu de les enfoncer.

Deux autres vagues suivirent. Moins violente, leur crête n’atteignit pas le sommet de la falaise. Elles ne risquaient plus rien.

Accompagnée d’un petit groupe, Deirane ressortit du palais. Elle était soulagée. Les dégâts avaient été minimes. Trois concubines étaient mortes, mais grâce à la Meliasen la plupart avaient pu s’en tirer. Sans elle, il n’y aurait eu aucun survivant.

Les autres concubines se rapprochèrent des rescapées. Dispersées dans le jardin, elles n’avaient pas participé aux événements. Cependant, certaines avaient vu la vague franchir la rambarde et progresser dans le parc. Navigant au milieu d’elles, Chenlow arrivait. Il localisa Deirane et fonça vers elle. Il la prit par le bras et l’entraîna à l’écart.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-il.

— Un raz de marée a ravagé la plage.

— C’était donc ça !

— Ça quoi ?

— Quand l’antique système d’alarme de la côte s’est mis à sonner, nous avons retransmis le message sans savoir ce qu’il signifiait exactement. Autrefois, il servait à nous avertir des attaques feythas. Depuis qu’ils ont disparu, personne ne l’avait plus utilisé.

— Qui l’a émis à l’origine ?

— L’Helaria. Il portait le code d’Imoteiv.

— Mais…

La jeune yriani était surprise que la Pentarchie ait alerté la cité-État d’un danger.

— … Ils nous préviennent des tsunamis ?

— Il est des situations où les rivalités entre royaumes ne sont plus de mise. Enfin. Trois mortes, dis-tu, reprit l’eunuque. Connaîtrais-tu leur nom ?

— Non. J’avais l’impression que l’une d’entre elles voulait m’aborder. Malheureusement, j’ignore comment elle s’appelait.

— Une chance que vous n’y soyez pas toutes restées. Je doute que ton tatouage te protège contre un tel phénomène.

— C’est grâce à Arsanvanague. Elle a deviné ce qui allait arriver et nous a fait mettre à l’abri.

L’eunuque se tourna alors vers les autres concubines. Celles qui accompagnaient Deirane venaient de comprendre qu’elles avaient échappé à la mort. La poussée d’adrénaline due au danger s’était dissipée et elles étaient en train de craquer. Deux d’entre elles s’étaient même effondrées, en larme. Quelques-unes de leurs compagnes essayaient de les réconforter. Isolée au milieu, Arsanvanague était facilement repérable. Les autres concubines ne s’étaient pas encore faites à l’idée d’accueillir une stoltzin parmi elles. Elles éprouvaient les préjugés de leur pays d’origine à l’égard de ses semblables. C’était bizarre, étant donné que les gems et les bawcks ne provoquaient pas ce genre de réaction. De la peur, de la répugnance éventuellement. Pas cette xénophobie qui ciblait les stoltzt. Peut-être était-ce parce qu’ils leur ressemblaient tout en étant un ancien peuple. Et pourtant, les feythas avaient tant ravagé le monde que sans les stoltzt, les humains auraient sûrement disparu eux aussi. Et là, beaucoup de communautés côtières avaient été dévastées par le tsunami, elles avaient tout perdu. Et ça allait certainement être les stoltzt qui allaient leur permettre de survivre.

Dursun s’approcha de Deirane et la prit par le bras.

— Il va falloir que l’on discute toutes les deux, dit-elle d’une voix sourde.

Elle les entraîna vers le fond du jardin. Elles y seraient tranquilles.

— Que veux-tu me dire ? demanda Deirane.

— Te parler de ton rêve.

— Pourquoi ? J’ai rêvé d’un tel événement. Ce n’est qu’un hasard.

— Un hasard ! La vague venait du sud-est.

— Et alors ?

Dursun ne répondit pas, laissant la jeune femme déterminer seule la solution. Comme elle n’y arrivait pas, elle lui donna un indice.

— Chenlow nous a dit qu’Imoteiv nous a alertés.

— Et alors ? répéta Deirane.

— Alors Imoteiv se trouve à l’ouest d’ici. Comment a-t-elle pu nous prévenir quand la vague ne l’atteindra pas avant trois ou quatre calsihons ?

Dursun avait raison. C’était évident maintenant qu’elle le lui avait fait comprendre. Elle réfléchit.

— Nous savons que les pentarques disposent de moyens de communication rapide entre eux et leurs consulats. Quelqu’un à Shaab a dû les avertir de ce qui se passait. Shaab est à l’est, ils ont été touchés avant nous.

— Un moyen plus rapide que la vague ? riposta Dursun.

— Ils ont été prévenus avant qu’elle arrive, déduisit Deirane.

— Dans ton rêve, tu as vu une belle femme blonde. Or il est notoire qu’en Helaria il en existe une correspondant à cette description et de plus douée de télépathie.

— Tu fais référence à la pentarque Vespef ?

Dursun le confirma d’un mouvement de tête.

— Les pentarques sont les derniers magiciens stoltz que les feythas n’ont pas exterminés. Et nous savons qu’ils peuvent se parler par la pensée.

— Voilà qui explique la célérité de leurs communications. Et mes rêves là-dedans ?

— Ces communications rapides se font dans toute l’Helaria. Et il n’y a que cinq pentarques. Et même si leurs filles disposent de pouvoirs identiques, cela ne fait que huit télépathes. Maintenant, imagine qu’ils puissent se connecter à d’autres individus…

— Ils peuvent, la contra Deirane, si ces individus se tiennent dans leur champ de vision.

— Admettons qu’il en existe quelques-uns qui peuvent les contacter, même s’ils sont loin. Ils n’ont pas besoin d’être nombreux. Peut-être, une personne sur mille. Cela serait suffisant pour que l’Helaria dispose d’un réseau de communication mondial.

Deirane hocha la tête. Les déductions de l’adolescente lui parurent plausibles.

— Et quel rapport avec mes rêves ?

— Je crois que tu fais partie de ces individus. Et que tu reçois les pensées quand les pentarques se parlent.

Un moment, Deirane resta muette, tétanisée. Le raisonnement de Dursun se tenait. Et cela expliquait aussi pourquoi elle l’avait entraînée à l’écart en vue de discuter. Que Brun apprît cette particularité, et il essaierait aussitôt de l’exploiter dans le but d’espionner l’Helaria.

— Ils doivent échanger des dizaines d’informations entre eux, dit enfin Deirane, pourquoi je ne les capte pas en permanence ? Pourquoi uniquement ce qui concerne ce volcan ?

— Ce ne sont que des hypothèses. Ce n’est pas parfait. J’imagine que tu n’as reçu que des pensées concernant le volcan parce qu’ils éprouvaient une émotion violente. Ils en avaient peur. À juste raison d’ailleurs.

La jeune femme examina un instant la théorie de sa cadette.

— Ça se tient, dit-elle enfin.

— Bien sûr que ça se tient, riposta Dursun.

— As-tu une idée sur un moyen d’utiliser ce truc ?

— Pas en ce moment, je vais y réfléchir. Maintenant, rejoignons les autres avant qu’ils ne s’inquiètent de notre absence.

Elles se mirent en route en direction du palais. Les concubines avaient toutes déserté les jardins, comme si elles avaient peur qu’une nouvelle vague les submergeât. Deirane elle-même éprouvait de l’appréhension. Et pourtant elle connaissait l’origine de la catastrophe. Si ce volcan était bien le responsable de ce tsunami, il était effondré dans la mer, il ne pouvait pas tomber une seconde fois.

— Un instant, s’écria Deirane en s’arrêtant brutalement.

— Quoi ?

Dursun se retourna vers son aînée.

— Si je reçois les émotions violentes des pentarques, alors…

Elle rougit. L’adolescente afficha un sourire narquois sur son visage. Nul besoin d’être télépathe pour connaître les pensées de Deirane.

— Et c’est là que je regrette de ne pas voir ce qui se passe dans ta tête, ironisa-t-elle.

— Et en quoi ça t’intéresse ? Tu n’aimes que les plaisirs entre femmes, contrairement aux pentarques.

— D’abord, ce n’est pas vrai. J’ai cru comprendre que la pentarque prime Vespef appréciait aussi bien avec les femmes que les hommes. Ensuite, il est toujours bon de s’instruire. Et quand les professeurs ont deux mille ans d’expérience dans leur domaine, la leçon a de fortes chances de se révéler intéressante.

Elles se remirent en route.

— D’ailleurs, je compte bien que tu me fasses un rapport complet.

— Dans tes rêves, riposta Deirane.

— Non, dans les tiens.

Le hall du harem était bondé. Toutes les concubines s’y étaient regroupées. La plupart étaient en état de choc. Des eunuques et des domestiques passaient entre elles afin de voir si elles avaient besoin de leurs services. La disparition de trois d’entre elles les avait bien ébranlées. Si on rajoutait les deux de l’année précédente, cela faisait cinq en quelques mois à peine. Jamais la mort n’avait frappé à un tel rythme dans le harem. Même l’altière Mericia, celle qui avant l’arrivée de Deirane, était considérée comme la seule vraie prétendante au titre de reine, n’avait pas l’air fière. Si elle n’allait jamais sur la plage, elle n’avait donc pas risqué la mort. Cependant, l’une de ses suivantes aimait se baigner tous les matins. En tant que membre d’un clan adverse, elle s’était isolée sur un rocher loin des autres concubines. Et la jeune femme ne l’avait pas retrouvée parmi les survivantes.

Sur le moment, Mericia avait rangé sa fierté ; elle réconfortait la plus proche amie – ou maîtresse – de la disparue.

Les fillettes aussi s’étaient mises de la partie. En voyant toutes ces femmes en larmes, elles n’avaient pu résister. Elles étaient allées distribuer force de câlins et de baisers à toutes celles qu’elles pouvaient. Leurs attentions étaient d’ailleurs bien accueillies. Nombre d’entre elles les retenaient. Malgré elles, Deirane pensa qu’elles étaient en train d’accomplir plus pour sa popularité que toutes les actions qu’elle avait entreprises ces derniers mois.

— Que fait-on ? s’enquit Dursun.

— Je crois que c’est évident, répondit Deirane. Nous sommes vivantes, sauves et nous avons l’esprit clair. On apporte notre aide.

Au passage, Deirane s’interrogea : comment faisait-elle pour se montrer si calme ? Pendant le tsunami, elle était terrorisée. Maintenant, toute peur avait disparu. Elle avait été remplacée par une sorte de lucidité qui lui permettait d’affronter les événements sans s’effondrer. Son rêve l’avait-il préparée à une telle catastrophe ?

Elle chassa cette pensée de son esprit. Elle y réfléchirait plus tard. Dans l’immédiat, elle avait plus important à faire.

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