Chapitre 4 : séance de pose - (2/2)

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Tea courut comme elle ne l’avait jamais fait. Ignorant la douleur que le sol de la forêt infligeait à ses pieds nus, elle s’élançait entre les arbres, s’écorchant aux branches qui lui fouettaient le visage et le corps. Elle traversa l’arche et se retrouva dans la partie domestiquée du harem. Au loin, elle repéra un petit groupe de concubines et se dirigea vers elles. C’était des indépendantes. Elle s’effondra près d’elles et appela. Les quatre femmes se retournèrent et s’approchèrent.

— Que se passe-t-il ? demanda l’une d’elles.

— C’est Larein. Elle va tuer Sarin.

Les hétaïres se regardèrent, indécises. L’une d’elles, plus dégourdie que ses compagnes, aida la domestique à se remettre debout. Encouragée par ce geste, une deuxième vint l’assister.

— Que va-t-on faire ? s’interrogea cette dernière.

— Nous devons l’amener à Serlen, elle saura ce qu’il faut faire.

Les autres concubines hochèrent la tête. Une fois leur plan d’action décidé, leurs hésitations disparurent.

Localiser Serlen après le repas du soir n’était pas très difficile. Il suffisait de repérer un attroupement d’où s’échappait une mélodie d’usfilevi. Avant, c’était une autre paire de manches. Elle pouvait être n’importe où dans le harem. Comme l’endroit où elle avait le plus de chance de se trouver, c’était avec ses compagnes dans la salle des tempêtes, elles se dirigèrent dans cette direction. Elles arrivèrent rapidement au pied de l’escalier qui y menait. Seulement, elles ne voyaient pas comment y monter avec une blessée qui marchait avec difficulté. L’une des deux concubines qui n’aidaient pas Tea à tenir debout se précipita à l’intérieur. Elle ressortit un instant plus tard en compagnie d’une femme de très grande taille et très musclée. Sa peau noire luisait d’humidité, elle s’ébattait dans l’eau quand on l’avait trouvée. Naim descendit l’escalier.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle.

Puis elle aperçut Tea, les pieds en sang, le corps écorché de nombreuses estafilades.

— Que lui est-il arrivé ? s’écria-t-elle.

Elle soulagea les deux hétaïres de leur fardeau, soulevant la blessée sans difficulté, et la ramena à l’intérieur. Les concubines la suivirent.

En voyant Naim revenir avec une blessée, Deirane réagit aussitôt.

— Descends dans le bassin, ordonna-t-elle.

Naim obéit d’autant plus facilement que c’était son intention. Aux deux extrémités de la piscine, des escaliers permettaient d’entrer progressivement dans l’eau. Naim continua jusqu’à ce que le corps fût entièrement immergé, ne laissant que la tête dépasser. Rassurée par les solides bras qui la maintenaient et l’empêchaient de se noyer, Tea se détendit.

En quelques mouvements de brasse, Deirane fut sur elles. Dursun et Nëjya les rejoignirent rapidement.

— Qui es-tu ? demanda Deirane. Et qui t’a mise dans cet état.

— Larein, répondit Tea, elle va tuer Sarin.

Deirane était mitigée. Elle n’aimait pas Sarin, elle la considérait comme responsable de la mort de Dovaren. C’était cependant parce qu’elle l’avait aidée que Larein voulait la tuer. Nëjya, en revanche, réagit plus violemment.

— Cette salope, un jour je lui ferais la peau.

— On y va, annonça Deirane, nous devons secourir Sarin.

Naim approuva d’un hochement de tête et mystérieusement Dursun ébaucha un sourire.

— Naim, Nëjya, vous venez avec moi. Dursun, tu restes ici et tu t’occupes de cette pauvre femme.

— Je n’arriverais pas à la sortir seule du bassin, protesta-t-elle.

Deirane avait pris pied sur la margelle. Elle se séchait avant de s’habiller, un spectacle dont l’adolescente ne perdait pas une miette. Elle avisa les domestiques qui rangeaient la salle. Effarées par ces concubines qui s’occupaient d’une de leur consœur comme si elle était leur égale, elles s’étaient approchées de l’eau. Deirane se tourna vers elles.

— Vous trois, vous aidez Dursun à soigner…

— Tea, répondit l’une d’elle.

— À soigner Tea puis vous l’allongerez sur une banquette qu’elle se repose.

— On n’a pas le droit d’utiliser vos équipements.

— Je vous l’ordonne en qualité de concubine.

Les domestiques étaient censées se soumettre à un ordre. Celle qui avait parlé s’écarta pour ôter sa robe qu’elle plia avant de la poser sur un buffet, puis se laisser glisser à l’eau. Ses compagnes ne tardèrent pas à l’imiter.

Deirane sourit en les voyant faire, un mélange d’hésitation – par peur d’un éventuel châtiment – et de volontarisme. Elle avait l’impression que les domestiques n’aimaient pas beaucoup Tea. Cependant, elle était l’une d’elles et si quelqu’un pouvait mettre une des leurs dans cet état, elles devaient se serrer les coudes. En tout cas, les trois femmes nageaient bien. Elle se demanda si leur quartier comportait une piscine aussi. C’était bien possible à les voir rejoindre la blessée.

— Où est Sarin ? s’enquit Dursun.

— Dans la clairière, au milieu de la forêt.

Deirane interrogea Nëjya du regard. Cette dernière ne semblait pas connaître l’endroit.

— Je sais où c’est, intervint une concubine.

— Vous nous accompagnez ! décida Deirane.

Elles hésitèrent un moment.

— Uniquement si elle vient avec nous, dit-elle finalement en désignant Naim de la main.

La grande Naytaine sourit en comprenant qu’avec le temps elle était devenue une personne dont la force rassurait les autres au sein du harem, même si c’était la violence de Larein qui en était la responsable.

— Bien sûr, répondit-elle.

La promesse de sa présence tranquillisa les concubines.

Deirane et ses compagnes se mirent en route. Leur guide les entraîna à travers le parc. L’arche qui traversait le mur d’enceinte dans le coin le plus éloigné du palais représenta une vraie surprise. Deirane lança un coup d’œil interrogateur à Nëjya qui ne savait pas plus qu’elle où elles se trouvaient. Et la forêt les laissa circonspectes. La concubine continuait à avancer, tout en se montrant plus hésitante, comme si elle n’avait pas l’habitude de venir en cet endroit.

— Où sommes-nous ? lui demanda Deirane.

— Dans la forêt, répondit-elle.

— J’ignorais qu’il existait un moyen de sortir du harem aussi facilement.

— Oh, on y est toujours. Ce n’est pas très grand en fait. Le bois est juste assez épais pour en donner l’impression. On arrive.

En effet, devant, les arbres commençaient à s’éclaircir. Elles débouchèrent dans une clairière dont le centre était occupé par une petite plateforme qui pourrait constituer une scène parfaite. Sarin était allongée à quelque distance sur la bordure, au milieu de son matériel. En dehors d’elle, les lieux étaient vides. Larein et ses sbires avaient déserté l’endroit.

Deirane s’élança vers la jeune femme. Ses attaquantes l’avaient déshabillée et utilisé sa robe pour lui attacher les jambes. Elles lui avaient ligoté les bras au moyen d’un drap. Et elles lui avaient fourré un chiffon dans la bouche pour qu’elle ne criât pas. Sur le corps, elles lui avaient dessiné des graffiti obscènes en se servant de sa propre peinture. Hormis cela, elle ne semblait pas blessée.

En entendant des gens accourir, Sarin essaya de se retourner. Nëjya s’accroupit près d’elle et l’aida à s’asseoir. La jeune femme éclata en sanglots. La Samborren l’enlaça, lui maintenant la tête contre son épaule. Devant la détresse de la victime, toutes les hésitations de Deirane s’envolèrent. Elle s’assit à côté d’elle et commença à la libérer de ses entraves. Puis elle lui prit le visage entre les mains. Du pouce, elle essuya le maquillage qui avait coulé sous l’action des larmes.

— Tu n’as plus à avoir peur, lui promit d’elle, nous ne te laisserons plus jamais seule face à cette garce.

Sarin esquissa un sourire timide.

— Tu peux marcher ?

Elle hocha la tête.

— Alors on rentre.

Deirane secoua la robe pour la dégager des feuilles avant d’en habiller la peintre. Puis elles l’aidèrent à se mettre debout. Elle ne se montrait pas très vaillante sur ses jambes. Nëjya dut la maintenir.

— Tu vas pouvoir aller jusqu’au harem ?

Ce coup-ci, elle secoua la tête. Naim la prit dans ses bras. Libérée de son fardeau, Nëjya entreprit de rassembler tout son matériel, conçu pour tenir dans une petite valise. Il ne restait que le chevalet et son tableau à transporter à part. Contrairement à Sarin, Nëjya n’était pas très grande. Heureusement, leur guide l’était. Elle se chargea de cet ustensile encombrant, laissant le reste des affaires à la Samborren. Il ne subsista que le tabouret que Deirane emporta. Tout le groupe put alors rentrer en direction du palais.

Deirane s’attarda un peu dans la clairière. Cet espace vide, cette estrade, voila qui serait parfait pour un spectacle. Cela faisait un an maintenant qu’elle s’entraînait presque quotidiennement. Il était temps d’aborder le répertoire de Saalyn. Et quand elle se sentira prête, c’est là qu’elle les jouera au public.

— Serlen ! Tu viens ! l’appela Nëjya.

Rangeant ses pensées dans un coin de son esprit, elle rattrapa ses amies.

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