Au chevet

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Sloane Berjäk achevait de compléter la grille de sudoku d'un journal daté de la semaine passée (elle avait déjà terminé tous ceux des derniers quotidiens) lorsqu'elle fut rappelée à l'ordre par l'alerte stridente de l'électrocardiogramme. Elle se leva d'un bond et accourut au chant terrible de la sirène. En parvenant au lit, elle trouva Emerson Henson parcourue de convulsions, tordue sur place par une mécanique musculaire digne des plus grandes scènes d'exorcisme.

Emerson avait pris sa décision, se répétait l'infirmière. Elle avait décidé en sa pleine conscience de s'en remettre au SRS, de devenir le cobaye d'une expérience médicale et, dans le pire des cas, d'y être sacrifiée. Sloane avait fait le serment de ne pas intervenir, de ne demeurer au chevet de la jeune femme qu'en tant qu'observatrice privilégiée, de sorte qu'elle pût voir le syndrome suivre son cours et l'anéantir à feu doux, sans être tenue de la sauver. Alors, peut-être qu'en advenant sans contrainte aucune, la maladie lui livrerait d'elle-même le secret de son remède. Il lui fallait s'instruire paradoxalement de chaque étape de la désintégration progressive d'Emerson.

Sloane s'assit au bord du lit et glissa timidement la main de façon à effacer les plis de la couette, aussitôt secouée et à nouveau plissée. Il lui fallait résister à l'envie d'apposer sa paume apaisante sur les jambes crispées de la patiente. Certes, les convulsions ne lui apprendraient rien : parvenir à les stopper n'avait pas empêcher le trépas d'autres rêveurs. Mais le supplice de ces secousses faisaient indéniablement partie du processus propre au syndrome. En soulager Emerson risquait de mettre à mal l'expérience désespérée à laquelle Sloane s'était vouée.

— Si tu ne veux pas y passer, Em', il va falloir que tu trouves par toi-même le chemin du retour.

Tandis que les spasmes qui ébranlaient la jeune femme redoublaient de violence, l'infirmière aperçut un liseré pourpre qui s'étirait sur la surface blanche du drap. Immédiatement, elle ôta le linge de lit et découvrit avec stupeur la blouse de la patiente, gorgée d'hémoglobine.

Il n'était pas rare que les corps des rêveurs se couvrassent d'hématomes ; il arrivait que des plaies apparussent sur leurs membres. Tout au plus, cela provoquait un léger saignement. De toute sa carrière, Sloane Berjäk n'avait jamais vu de carnage tel que celui qui criblait désormais le torse de son cobaye : on eût dit qu'une balle venait de frapper sa poitrine.

Avide de comprendre l'origine d'un tel bain de sang, Sloane se retroussa les manches et entailla de quelques coups de ciseaux la blouse de pacotille – seul vêtement d'Emerson. Elle la lui arracha et la jeta de côté. Le corps nu de l'endormie aurait davantage trouvé sa place sur une table d'autopsie. La prodigieuse entaille qui découpait son buste et vomissait des giclées rouges laissait présager son décès imminent. Néanmoins, contre toute logique, les flancs d'Emerson continuaient de se soulever au rythme d'une respiration régulière. Ses sinus se gonflaient d'un souffle plein de vie tandis que ses lèvres expiraient sans relâche la tiédeur de l'envie. Par un miracle que la science n'était à même de résoudre, bien que dévorée par son coma cinglant, la patiente survivait.

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