Le Fardeau de notre Histoire

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Ai-je le moindre avenir ? Mes frêles épaules ne supportent plus le poids de toutes ces lourdes années. Je regarde un soleil couchant, un astre à l’agonie. La fosse est déjà prête. Les doigts glacés de la grande faucheuse sont heureux de m’accueillir. La stèle, gravée en mon nom, se dresse devant la lumière de la vie. Tout semble être prêt pour ma venue à la cour du jugement dernier. Et pourtant… Des souvenirs nostalgiques envahissent mes pensées. Mes joies, mes défaites, mes amours, mes peurs, toute une histoire revient à mes yeux humides. Et le voilà notre fardeau, ce fardeau que les gens en fin de vie ne peuvent supporter, le fardeau de notre histoire.

Nous avançons à reculons dans notre vie car nous ne pouvons pas regarder droit devant nous. Nous marchons à l’aveuglette dans un avenir déjà tracé par des forces inconnues. L’humain a les yeux bandés par son regrettable passé. Le soleil, oui ce corps céleste, connaît sa destinée, simplement éclairer la terre. Il trace toujours une même et unique courbe dans le ciel radieux afin d’apporter prospérité sur notre planète. Alors à quoi bon ? À quoi bon poursuivre un avenir que l’on ne peut choisi ? À quoi bon feindre une vie parfaite alors que nous lui tournons le dos ? Autant en finir dès maintenant. La fosse est déjà creusée dans la terre verdoyante, l’épitaphe maudite est déjà gravée sur la pierre, il ne manque que le corps, la dépouille.

Deux mètres plus loin, un macchabée, le macchabée regarde le soleil avec ses yeux vides étincelant d’espoir, comme un refus de quitter la réalité de son ex-vie. Et moi non plus, je ne veux pas la quitter, car il est humain d’avoir peur de la mort, d’avoir peur de ne pas connaître. Pourquoi je m’attache à cette chair putréfiée alors que c’est ton esprit que j’appréciais. Je l’ignore. Peut-être qu’il faut toujours pour l’humain avoir une bouée à laquelle s’accrocher lorsque les bourrasques du désespoir nous font tomber de notre barque de confort ? Ou peut-être c’est une preuve d’amour incontestable en honneur de l’être aimé de garder la seule chose qu’il laisse derrière lui après sa mort ? D’ailleurs pourquoi je me questionne sur ce paradoxe insoluble ? Tant que je suis près de toi, tout m’importe peu.

Mais qu’ai-je fait pour être réduit à quitter notre monde ? Je t’ai tourné le dos. Au moment où tu en avais le plus besoin je t’ai ignoré, en te traitant comme un déchet nauséabond. Tu m’as appelé de nombreuses fois, je n’ai jamais décroché. Tu criais à ma fenêtre, je ne l’ai pas ouverte. Tu as rempli ma boîte aux lettres de déclarations enflammées, j’ai jeté ces mêmes lettres. Alors, dans le plus profond des désespoirs, tu es monté au lampadaire qui était planté devant ma maison pour y accrocher un énorme cœur avec un mot doux, mais le fil qui a servi à accrocher ce même cœur t’a servi de bourreau. Le soleil m’a réveillé doucement, je me suis levée, regardée par ma fenêtre et l’horreur s’est jetée sur moi. Le fil portait un moribond à la peau bleue, éclairé par les rayons de l’astre telle une vérité atroce. Pour prouver son amour envers ma personne, le brave homme s’est tué. Et c’est seulement après quelques instants en état de choc que je reconnus dans un flash le visage du cadavre. Un de mes plus chers amis de lycée, que j’avais perdu de vue il y a bien longtemps, était mort.

Alors, ne pouvant supporter cette horrible réalité. Je l’ai décroché et je suis partie avec toi vers la grande colline verdoyante où l’on passait quelques après-midi, près du chêne, l’arbre protecteur des amitiés aux liens indénouables. On nous a menti, car la mort a dénoué ce lien. Et la rencontre de ton cadavre que j’ai ignoré en le prenant pour un autre a transformé ma vie en une destinée morne et oppressante. J’ai marché longtemps sur le fil de mon existence, évitant à tout prix de tomber dans les abysses des remords. Mais maintenant, cet évènement rend le fil de plus en plus fin. Et au lieu d’attendre bêtement qu’il se rompe, j’ai décidé de prendre les ciseaux du chagrin et de couper ce câble qui me permet d’appartenir à ce monde, afin de rejoindre les profondeurs étrangères de la mort. Deux corps seront enfouis avec comme seul témoin le lumineux Phébus. Un mort va pouvoir enfin accéder au sommeil éternel avec une vivante. Merci, astre brillant, d’avoir tenté d’éclairer ma route. Mais j’appartiens au genre humain, et on a décidé que pour le genre humain l’avenir doit rester voilé. Et comme j’appartiens à l’humanité, j’avance vers ma fin à reculons.

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