La Forteresse des Souvenirs d’Enfance

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Voyez-vous cette forteresse inébranlable se dressant devant les furieux embruns ? Entendez-vous le temps qui gratte contre les murs épais ? Sentez-vous cette odeur de nostalgie envahissant une atmosphère suant l’humidité ? Tâtez-vous ces grains constituant les seuls remparts d’une époque perdue ? Savourez-vous ce goût salé parvenant à votre bouche ? Alors, contemplez la forteresse des souvenirs d’enfance. C’est le seul bâtiment qui permet de revigorer des rêves profondément enfouis dans notre mémoire. Un simple regard sur l’enceinte de la citadelle suffit à rappeler aux plus anciens d’entre nous leur jeunesse perdue. C’est avec des yeux émerveillés qu’on observe sa structure élégante à la fois ancrée dans le sol meuble et aspirée par les voûtes célestes. Ses murs semblent être pétris par des mains géantes ayant défié les siècles. Les murailles imposantes protègent les souvenirs du temps assassin siégeant aux abords de la cité millénaire. Autour, un immense désert s’allonge. Plus loin encore, une étendue d’eau éternelle s’étend. Une oasis perdue par l’humain irraisonné, voilà ce qu’est cette majestueuse bâtisse.

Personne ne connaît l’architecte ayant bâti cette merveille. Le « Pourquoi ? » n’a que comme réponse le vulgaire « Parce que » en ce lieu. L’interrogation du « Quand ? » n’a aucun sens, car l’armée du temps essaye d’abattre l’inviolable cité. Les questions volent comme des oiseaux sans ailes autour de ce mystère, recherchant désespérément leur réponse. Ils finissent par s’écraser misérablement, car leurs plumes d’intérêt se sont dissoutes avec le temps. Un mystère n’ayant pas besoin de réponse, les questions disparaissent.

Mais vous vous demandez sûrement ce que renferme cette ville cachée. Un bonheur sans fin ? Une profonde tristesse ? Des remords haineux ? Des revanches cruelles ? Une joie d’enfant ? Non. Un vent léger chargé d’infimes grains de poussières tourbillonne dans la forteresse déserte. La lumière et l’air sont les seules choses qui pénètrent en son sein. Alors comment expliquer le pouvoir que dégage l’aura du château ? Je ne sais pas. Et personne n’aura plus besoin de savoir. Oui… car finalement, la guerre a pris fin sur une note d’horreur.

Le temps a fini par remporter cette odieuse guerre. Elle s’est relevée, cette immense étendue d’eau s’est finalement relevée, grondant tel un animal menaçant. L’écume de la rage bordait ses lèvres bleutées. Les sillons scarifiaient sa face monstrueuse. Des rayons de lumière pointaient à travers la masse liquide faisant apparaître myriades d’yeux abîmés par le temps lui-même. Elle avançait, la créature furieuse, elle traçait son chemin aride sur le sable râpeux. Et, face à un si atroce ennemi, la forteresse aux souvenirs des jours heureux se mit à trembler. La bâtisse ne pouvait résister à cette sauvagerie sans nom hurlant la fin de tout et de tous. Cette masse d’eau emporte, détruit, lacère, anéanti ceux qui sont sur sa mortelle course, qu’il soit passant ou opposant, vivant ou mort, ancien ou nouveau, terminé ou interminable. Le monstre, devant un ennemi devenu ridicule face à sa puissance barbare, s’est relevé de toute sa hauteur, jusqu’à cacher le ciel radieux. La terreur était à son paroxysme. Le vent, en s’engouffrant dans l’eau brutale, sonna la dernière bataille en criant de douleur. L’animal prédateur s’écroula de tout son long sur la désormais fragile bâtisse qui fut balayée sans la moindre sommation. Le fortin céda sans la moindre résistance, comme une acceptation de sa part.

Cela n’enlève rien à la violence de cette querelle injuste. Le temps a fini par anéantir son adversaire le narguant depuis si longtemps. Il ne reste que de cet opposant du sable mouillé, dont le mica brillait autrefois dans les murs de la forteresse des souvenirs d’enfance. Seul un tas informe et humide subsiste de la bataille, tel un mémorial de la tristesse. La plume, étendard arborant jadis le donjon le plus haut de la fière cité, se brisa en deux, signe ultime de la défaite de la mémoire.

Mais je refuse de rester impassible face à l’échec de la forteresse de mes souvenirs d’enfance. j’empoigne à deux mains ma longue pelle en plastique, je la plante dans le sable de la plage afin de rebâtir une nouvelle forteresse, un nouveau petit château de sable guerroyant éternellement contre la mer agitée.

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