-Chapitre 15-

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Le corps du petit n'arrêtait pas de trembler. Ça ne s'arrêtait jamais bien longtemps, de sorte que le gamin avait la respiration de plus en plus sifflante. Il luttait. Ses poings se serraient et se desserraient. Il souffrait.

On était tous passé par là.

C'était long. On avait alors l'impression que notre corps était en feu. Puis ça se calmait. Seulement après que l'animal ait vaincu notre part humaine. Finalement, les deux facettes que nous possédions décidaient de s'unir, de se compléter.

L'humain gardait une part du loup et le loup gardait une part de l'humain.

C'était assez compliqué à expliquer à ceux qui ne vivaient pas cette phase, à ceux qui ne passaient pas par cette étape obligatoire. Et surtout, c'était dur de voir un proche s'affaiblir de la sorte, presque aux portes de la mort. Je ne voulais pas qu'elle assiste à cette scène.

Tandis que j'avançais, la pluie continuait de tomber autour de nous. Elle était froide, mais ne parvenait pas à faire baisser la fièvre du gamin. S'il était assez fort, s'il était déterminé à vivre, s'il n'abdiquait pas face à la douleur, il s'en sortirait. Mais le « si » indiquait bien qu'une autre solution existait.

La mort.

C'était fréquent. Ce passage de l'humain au loup survenait assez tôt, si bien que les corps malingres des enfants pouvaient parfois ne pas supporter la douleur. Et si c'était le cas, si la progéniture venait à périr, les prochains enfants ne pourraient pas survivre eux aussi.

Les parents étaient alors comme maudits, en plus de souffrir de la perte du bambin. Dans ma meute, on recensait au moins deux couples comme cela. Mais on ne les voyait jamais sortir, sauf en temps de guerre. Ils en avaient bien trop honte.

Minho commença à se débattre de toutes ses forces. Il me griffa au visage, abattit ses poings minuscules sur mon torse. Je le reposai au sol. L'enfant s'allongea et se tortilla dans tous les sens. Le plus dur était à venir. La première transformation.

Je m'accroupis à ses côtés, l'observait se démener vainement face à un ennemi qui serait par la suite sa plus grande force.

Lentement, ses ongles s'allongèrent et devinrent griffes. Son dos se courba violemment tandis que ses os craquaient bruyamment et il poussa un cri de douleur qui fit fuir très rapide ment un groupe d'oiseaux. Son visage s'allongea, ses yeux prirent une teinte plus sombre encore que précédemment. Ses vêtements se déchirèrent.

Avec le temps, quand il reprendrait forme humaine, cela ne lui arriverait plus et il retrouverait ses vêtements. Avec du temps et de l'expérience surtout.

Un petit louveteau me fixait désormais, avec de grands yeux ahuris. Je ricanai. Puis, pour le rassurer comme pour vérifier que tous ses os étaient bien en place, je passais une main sur son dos et son pelage.

Une fourrure d'une couleur caramel qui n'était pas forcément très pratique pour se cacher dans la forêt. On était dans le même cas.

Il devrait faire comme moi alors, se rouler dans la boue pour éviter d'être une proie facile aux yeux d'éventuels ennemis. Minho poussa un petit geignement plaintif en levant une patte pour la secouer vivement, comme s'il tentait de se défaire de celle-ci.

Normalement, une fois que les petits étaient parvenus à ce stade-là, on les ramenait au village pour les montrer aux yeux de tous, pour les intégrer réellement au sein de la communauté. Mais j'avais une toute autre idée en tête. J'allais faire ce que mon père avait fait avec moi.

Aussi, je me transformai à mon tour, ce qui sembla rassurer le petit qui vint se blottir contre moi. Je le repoussai gentiment. Autant lui faire comprendre les bases au plus vite.

S'il était parvenu jusque là, c'était parce que la Lune l'en avait jugé digne. Il ne devait plus agir comme un bébé.

Je commençais alors à trottiner. Instinctivement, il m'emboîta le pas à la même allure. Puis, quand je commençais à accélérer, il m'imita, non sans joie. L'animal qui vivait en lui se régalait et prenait plaisir à foncer à toute vitesse entre les arbres, à sauter au-dessus de troncs mort tombés au sol, à éviter les chutes à cause de racines. Je le laissai me dépasser.

Inconscient du fait que c'était volontaire, il fonça dans le piège. Quand il comprit que je ne le suivais plus, car tapi derrière un arbre massif, il me chercha du regard en tournant dans tous les sens. Je sentis qu'il paniquait mais n'abrégeait pas pour autant le premier exercice. Il releva la tête et renifla l'air.

Il était plus rapide que moi quand j'avais subit le même exercice avec mon père.

Bientôt, il arriva dans ma direction et me sauta dessus. Joueur, il me mordilla. Je lui rendis son geste.

Puis, je repris la route. Il me suivit, cette fois sans me quitter des yeux tout en restant sagement dans mon dos. Je finis par m'arrêter et m'asseoir sur mon arrière-train. Il m'imita paresseusement, contemplant avec curiosité l'arbre gigantesque qui se tenait face à moi. Moi aussi j'avais eu cette réaction.

Mais maintenant, à part du mépris et de la colère, le végétal ne m'inspirait plus rien. Minho pivota la tête et l'inclina légèrement sur le côté, me demandant silencieusement la raison de notre venue ici. Je repris forme humaine et me tournai vers lui.

Tentant de faire de même, il commença à se secouer comme un chien mouillé qui tente de se débarrasser des gouttelettes qui envahissent son poil.

« Imagine que tes jambes, tes bras, tout ton corps soit humain. Ce sera long à venir les premières fois. Mais tu ne dois pas penser à autre chose, fis-je. Vas-y, essaie. »

L'animal hocha la tête. Je me permis de sourire. Il allait falloir qu'il oublie ses manières humaines sous cette forme. Ça aurait été étrange pour des touristes perdus ou des randonneurs de voir un loup agir de la sorte. Nous devions veiller à ne pas soulever trop de soupçons pour éviter de nous faire facilement prendre par les chasseurs.

Au bout d'une quinzaine de minutes durant lesquels le louveteau souffrit de nouveau le martyr, je retrouvais en face de moi un petit garçon aux boucles blondes et aux yeux bleu de sa mère.

Je m'empressai de recueillir son opinion.

« Alors ? Qu'en penses-tu ? »

Il haussa les épaules, visiblement attristé.

« Comment Maman va réagir ? Elle savait que j'allais devenir un loup comme toi ?

-Non. Je ne pense pas. Sinon, comme toutes les mères qui élèvent seules leurs enfants, des enfants comme toi, elle serait venue nous trouver plus tôt pour qu'on t'aide à traverser ce passage. »

Il hocha la tête avec une lenteur exaspérante. Là aussi, dans son comportement ignorant, je me retrouvais.

Soudain, il parut se rappeler qu'il se tenait nu devant moi et se détourna vivement. Je soupirai avant d'enlever mon tee-shirt et de le lui donner. Il s'en saisit comme si sa vie en dépendait, m'arrachant un rire au passage. Hilarité qui faillit ne pas vouloir s'arrêter quand je remarquais que le tee-shirt avait des allures de robe sur le petit être qu'il était.

Finalement, il se remit à fixer l'arbre et, toujours comme mon père l'avait fait face à moi, je me mis à raconter la légende qui entourait le vieux chêne qui était là depuis si longtemps qu'il n'était même plus capable de dénombrer le nombre de générations qu'il avait vu défiler devant lui.

« On raconte qu'au tout début, à l'endroit précis où se dresse l'arbre, se tenait un village d'humains. Ils avaient la particularité d'avoir comme gardiens, une horde de loups à laquelle la communauté d'humains offrait une bonne ration de viande en guise de remerciement. Petit à petit, ils sont parvenus à créer un lien avec eux. Et un jour, une villageoise, on ne peut plus normale, donna naissance à un enfant. Un enfant qui comprenait les prédateurs, un enfant qui préférait leur compagnie plutôt que celle des autres gosses du village. Évidemment, les autres devinrent vite jaloux. »

Le petit, visiblement fervent défenseur de contes, m’observait avec admiration.

« Ils enviaient à Kinai, c'était son nom, de pouvoir passer des heures à se promener sur le dos des bêtes, dépassant largement les frontières que l'œil humain s'était fixé. L'enfant grandi et arriva un jour où, tout comme toi, il subit la première transformation. Les médecins ne comprirent pas ce qu'il se passait.Et quand il prit forme animale, on le déclara maudit par une sorcière. Ainsi, on condamna sa mère à la mort et on demanda au jeune homme de vivre en exil. Il refusa tout d'abord.

Sa mère mourut comme cela avait été convenu, sans qu'il ne puisse rien faire pour l'en empêcher. Puis, en représailles de son refus d'exil, les loups avec qui il jouait continuellement, les gardiens du village, furent tués un par un par la foule de villageois. Kinai décida finalement de fuir, fou de douleur. Il grandit encore. Sa colère laissa place à une résignation provoquée par la sagesse qu'il avait gagnée lors de son voyage. Et quand il voulut rejoindre la terre qui l'avait vu naître, il tomba dénue.

Le village n'était plus. Les gardiens étant tous morts, il n'avait pas fait long feu face aux démons. Cela anéantit d'autant plus le jeune homme qui, malgré le fait que les gens l'avaient fait souffrir, ne supportait pas ce sentiment d'impuissance qui l'envahissait. Quelque part, lui aussi était un gardien. Et il avait failli à sa mission. L'endroit était sans vie.

Alors, pour que plus jamais on n'oublie que nous avons un rôle à jouer, même envers ceux qui ne nous portent pas dans leur cœur ou qui ignorent tout simplement notre existence, il planta une jeune pousse. La jeune pousse grandit. Kinai vieillit. La jeune pousse devint arbre. Son tronc devint aussi solide que de la roche et personne ne parvenait à le déraciner.

Au final, Kinai mourut à ses pieds, genoux au sol. Les générations qui lui ont succédé sont mortes de la même manière. Cela continue indéfiniment. On raconte que c'est notre éternelle dévotion envers le vieux chêne qui le maintient en vie. Que nos morts successives à ses pieds lui donnent la force de continuer à surplomber la forêt.

Comme tout le monde, en tant qu'Alpha, arrivera un jour où je rendrai l'âme à genoux face au tronc. Et toi, si tu parviens à obtenir le titre de Meneur, quelle que soit la meute à laquelle tu te voues, tu viendras mourir ici. »

Minho parut abasourdi. Puis, reprenant ses esprits, sa mine s'assombrit tandis qu'il se relevait précipitamment.

« Je ne veux pas être comme toi ! Hurla-t-il. Je ne veux pas devenir un Meneur. »

Je haussai les épaules et me relevai à mon tour. Ce choix-là, concernant le rôle qu'il tenait à jouer dans son futur, il le prendrait à un moment ou l'autre. Il était donc inutile d'insister aujourd'hui. Même si je ne pouvais m'empêcher de penser que Minho pouvait devenir un Alpha.

Après tout, il s'en était très bien sorti avec sa première transformation, alors que si cette-dernière survient avant ou après l'âge moyen, elle est plus risquée.

Un corps trop fragile de nourrisson ne pourrait pas supporter car ses défenses immunitaires ne sont pas assez nombreuses, pas assez forte pour pouvoir lutter contre la bête. Et, contrairement au premier cas, un corps déjà dans un âge avancé en avait trop, si bien qu'il se tuait tout seul en tentant de faire front à ce qui sommeillait en lui.

Or, Minho l'avait accompli assez tardivement.

Le petit se dépêcha de me rejoindre en courant quand il me vit m'éloigner et comprit que je ne l'attendrai pas. Il parvint rapidement à adopter mon allure et, sans effort, resta à mes côtés tranquillement.

« On le dira à Maman ? »

Pas sûr qu'elle apprécie la surprise. D'autant plus que cela voulait dire qu'elle avait déjà été dans le même lit qu'un autre loup. Ça n'allait pas lui plaire. Elle allait certainement se sentir coupable d'imposer ce mode de vie à son enfant. Elle allait, tout aussi certainement, comprendre que le protéger ne servirait plus à rien car il devait apprendre à se débrouiller seul.

Je ne pus m'empêcher de grimacer en imaginant soudainement la scène. Elle entrain d'embrasser à pleine bouche un autre. Elle en train de fourrer sa tête dans son cou. Lui en train de faire glisser la bretelle du sous-vêtement de la jeune femme.

« Si tu ne veux pas lui dire, je lui dirai, annonça franchement le petit gars en me tirant de mes pensées dérangeantes. »

Je m'arrêtai pour m'asseoir sur un rocher et reportai mon attention sur l'enfant. Ce-dernier me fixait avec une assurance qu'il était loin de réellement éprouver. Ça aussi je l'avais fait.

J'avais voulu impressionner mon père, lui laisser croire que j'avais tout compris et que ça ne me dérangeait pas. La vérité était que durant plus d'une semaine, j'étais resté enfermé dans ma chambre et que la nuit, je me réfugiais sous ma couette quand j'entendais les hurlements des loups.

Il allait falloir que je le surveille en plus, constatai-je silencieusement, non sans bougonner que je n'avais pas envie de m'en charger.

« M'en occupe, répondis-je vivement. Il vaut mieux que je lui explique.

-Mais je veux le faire !

-Non. C'est moi.

-Moi ! Cria-t-il en croisant les bras d'un air boudeur.

-Pas de discussions possibles, c'est moi qui m'en occupe !

-Non ! De toute façon tu ne l'aimes pas et elle va pleurer après ! »

Je haussai les sourcils. Était-il en train d'insinuer que j'allais la blesser ? Bon dieu, j'en avais déjà marre de ce môme !

« Ce n'est pas ce que je veux. Et elle pleura quand même, même si tu lui dis toi. »

Minho haussa les épaules et reprit le chemin, sans se soucier du fait qu'il ne connaissait pas le chemin. Je lui emboîtai rapidement le pas quand les paroles de Tara me revinrent en tête.

Allons bon, voilà qu'en plus de me faire dresser comme un chien par la jeune femme, son fils s'y mettait aussi. J'allais devoir changer rapidement ça et mettre les choses au clair si je voulais me faire respecter par ma meute.

C'était déjà assez compliqué de revenir soudainement alors, si je rajoutai le fait que la femme avec qui j'allais partager ma vie avait beaucoup d'influences sur moi, j'étais fini.

« Tu l'aimes ? »

Je tirai en arrière Minho par le col, lui évitant une chute dans une rivière camouflée, soudain las comme pas permis.

Pourquoi fallait-il toujours que les enfants posent des questions de ce genre ? Pourquoi fallait-il qu'il demande si leurs parents s'aimaient avec de grands yeux implorants ?

De toute façon, j'étais persuadé qu'il savait déjà. Si je n'aimais pas sa mère, je ne l'aurai pas sauvé. Pas parce que je n'en aurai pas envie. Tout simplement parce que le louveteau n'était pas de ma meute et que si je décidai de le prendre sous mon aile, cela reviendrait à déclarer la guerre à la meute dont il appartenait réellement. A la meute où résidait sans aucun doute son père biologique.

Ma famille n'avait pas besoin de ça. Je ne voulais pas les faire souffrir. Rien que la perte consécutive de mon père et de ma sœur avait pas mal amputé ma horde alors...

« Bien sûr que je l'aime. Tu l'as vu tout à l'heure, non ?

-Quand vous vous embrassiez ? Un bisou ne veut pas forcément dire qu'on aime une personne. Les gens peuvent mentir.

-Dis, t'es sûr d'avoir seulement 7 ans ? Ne pus-je m'empêcher de demander en me retenant de rire face à la solennité du petit.

-J'aurai bientôt 8 ans ! »

Je levai les yeux au ciel. Les petits étaient tellement attachés à l'âge alors que, une fois adulte, c'était plutôt un sujet fâcheux. Eux comptait même la moitié d'années qu'ils entamaient. Les adultes plaisantaient plutôt sur le nombre d'années qu'il leur restait avant d'atteindre la quarantaine.

« Faisons un pacte Captain, proposai-je. Je veille sur toi, ta maman. Je ne dois pas la faire pleurer, à part de joie. Je vous protège et en échange, tu m'aides à séduire ta mère. Ça te va ?

-Comment tu veux que je t'aide ?

-Enjouant les messagers si je l'invite au restaurant, en parlant de moi quand vous êtes tous les deux, j'en sais rien moi. Mais tu me sembles plutôt intelligent, ça ne devrait pas trop te poser de problèmes... »

Après m'avoir adressé un immense sourire, je lui tendis la main et il s'en empara pour la secouer énergiquement. Quand nous reprîmes le chemin, il me lança des coups d'œil à de nombreuses reprises, si bien que son manège finit par détruire totalement mon calme.

« Qu'est-ce qu'il y a ? »

Il rougit comme une tomate.

« J'ai trouvé un premier plan...

-Ah...Et alors ? Dis-moi en quoi il consiste.

-Te débarrasser de toutes tes bouteilles devant ses yeux. »

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