-Prologue-

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« Tu ne seras jamais normale Thara ».

C'était ce que disaient tous les médecins d'un air navré quand ils recevaient les résultats de tests que j'avais précédemment effectués. J'en avais vu tellement de ces étranges personnages, munis de leur stéthoscope, m'examinant comme si je n’étais rien d'autre qu'un vulgaire rat de laboratoire. Et à chaque fois, c'était cette phrase qui achevait ces nombreuses entrevues.

Juste après cette déclaration, comme je savais pertinemment ce qui allait suivre, je fermais les yeux et me bouchais les oreilles pour couvrir les cris indignés de mes parents. Je ne voulais plus les entendre s’égosiller, protester contre quelque chose sur lequel ils n’avaient aucun pouvoir.

Depuis le temps, ils auraient dû se faire une raison. Mais pour eux, il était inconcevable que leur fille ne soit pas comme les enfants de leurs collègues, tout simplement. Il fallait que je leur ressemble, que je sois faite dans le même moule que tous ces visages juvéniles et pourtant déjà fermés, dont les noms m’importaient peu.

Si j'avais eut la force nécessaire, je leur aurai dit. Je leur aurai dit que cette chose me suivrait jusque dans la tombe et que jamais elle ne s'en irait. Je leur aurai dit que jamais je ne rêverai au prince charmant tout en chantant des musiques Disney, que jamais je ne serai une tête à l'école, que jamais je ne serai aimée d'un instrument de musique. Que jamais je ne souhaiterai être la copie conforme de ces fillettes formatées que leurs collègues exposaient aux yeux des autres, comme des trophées.

Mais j'étais faible, lâche et surtout j’étais jeune. Je voulais leur plaire. Je voulais que pour une fois, quand leurs yeux se posaient sur moi, je puisse y lire toute la fierté que je leur inspirais. Alors je la fermais et me contentais de garder les yeux rivés au sol.

Je n'étais pas normale, un point c'est tout. Je devais surmonter cela, parce que mes parents allaient avoir honte de moi, et que je craignais que ce sentiment s’inscrive dans leurs traits.

« Tu ne seras jamais normale Thara ».

C'était ce que m'avait déclaré ma meilleure amie, lors d'une réception pour fêter l’obtention de notre baccalauréat. Nous avions passés nos trois années de lycées ensembles, toujours dans la même classe. Nous avions tout fait ensemble, y compris les pires bêtises. Je la connaissais depuis l’école primaire, et devoir garder mon secret pour moi me coûtait de plus en plus. J’avais horreur de lui mentir, de sourire même quand je n’avais pas le morale.

Mais sa réaction ne fut pas du tout celle que j’avais espéré. Et alors que je venais de lui expliquer ce qui me différenciait tant des autres, elle avait lâché cette phrase à haute voix, attirant sur nous toute l’attention de la foule. Exposant ainsi mon problème, l'ombre, la voix. Ses yeux grands écarquillés m'avaient fixé avec horreur. Je lui faisais peur. « Tu ne seras jamais normale Thara ». J'étais un monstre et elle avait juste envie de prendre ses jambes à son cou.

Avant de m’enfuir, de disparaître, j’eus tout juste le temps d’apercevoir son effarement et les regards soupçonneux des gens présents qui me jugeaient sans même connaître les détails de l’histoire. Ce fut la dernière fois que je parlais de la chose à une personne autre que ma famille proche.

« Tu ne seras jamais normale Thara ». Cette même phrase venait de nouveau hanter ma vie. Elle venait pour me ramener à la réalité. Pour me poignarder.

Je m’en rendis d’autant plus compte en me rendant à une autre réception, quelques jours plus tard, cette fois-ci pour les personnes de notre classe. Les autres élèves, qui avaient été jusque là aimables avec moi, avaient rapidement eut vent de l'anomalie que j'étais. Et de nouveau je retrouvais dans leurs yeux le dégoût que j'avais fui. Les regards intrigués, choqués, méfiants comme ceux des médecins.

Alors j'ai de nouveau fermé ma gueule.

Un soir pourtant, alors que je rentrais chez moi en écoutant ma musique à fond dans mes écouteurs, j'ai reçu un coup de fil. Amélie, celle qui m'avait fait retrouvé la joie en devenant une amie de chair et d’os, avant de m’ôter ce sentiment par la suite en m'humiliant publiquement, s'était suicidée. Elle avait pris une dose conséquente et mortelle de médicaments, avant de se coucher, pour ne plus jamais ouvrir les yeux quand le soleil avait finit par se lever.

Dans une lettre, pour expliquer son geste, elle avait confié qu'une ombre, une voix venait la terroriser depuis la fameuse soirée. Cet esprit l’insultait de tous les noms, lui répétait à longueur de temps qu’elle était une traîtresse, une idiote petite pimbêche pourrie gâtée.

On m’avait également rapporté que dans cette lettre, Amélie parlait sans cesse de moi. Mon amie était une femme détruite par ce que les inspecteurs qualifiaient désormais « d’hallucinations croissantes et persistantes » qui la poussait à entendre des voix. J'avais rapidement compris la situation. C’était de ma faute, c’était à cause de moi si la chose l’avait prise pour cible en s’acharnant sur elle.

Mais je n'ai rien dit aux policiers quand ils sont venus m'interroger. Égoïstement, je les ai laissé accuser Amélie d’être folle alors que dans l’histoire, c’était plutôt moi qu’on pouvait qualifier de la sorte.

Ils ne m'auraient pas cru de toute façon. Qui croirait une femme qui prétendait que le suicide de son amie était lié à elle et qu’en plus de ça, elle entendait la même voix lui parler dans sa tête. Je n'étais pas normale, un point c'est tout. Pas besoin de les entendre me le rappeler. Pas besoin de leur avis pour savoir que j’aurai sans doute une place dans un hôpital psychiatrique.

« Tu ne seras jamais normale Thara. »

C'était cette fois-là que je m'effondrais vraiment. Que mes forces me quittèrent. Cette simple phrase avait alors détruit les derniers murs que j'avais construits depuis ma plus tendre jeunesse, principalement basés sur le déni.

Ces quelques mots furent prononcés par des personnes désespérées. Par des personnes qui ne supportaient plus les conséquences du moindre de mes actes, qui avaient des répercussions immenses sur eux, sur leur propre santé morale ou physique. A ce moment-là, je n'avais plus été que le monstre, le vilain petit canard. Il n'y avait plus aucune trace d'amour dans leurs yeux que j'avais tant de fois admirés.

Mais n'y en avait-il jamais eu ? Mes parents m'avaient-ils, ne serait-ce qu'une fois, prise dans leurs bras ? Si c’était le cas, je n’en gardai aucun souvenir. De ces moments passés avec eux, je n’avais que les images de ces nombreuses visites médicales, de ces nombreuses disputes où ils tentaient de me faire admettre que la voix dans ma tête n’était que pur objet d’invention de ma part. Je revoyais constamment leurs regards méprisants à mon égard.

Pourtant, je m'étais toujours obstinée et j'avais tout fait pour devenir leur idylle. Pour pouvoir être l'enfant modèle. Pour qu'ils oublient que par ma faute, ils n'avaient plus aucune chance d'avoir d'autres bambins.

Puis tout s’est enchaîné, dans une course effrénée, sans que je ne puisse rattraper les rênes de ma vie qui s’échappaient constamment entre mes doigts.

Quand ils ont commencé à me rejeter, quand mes propres parents ont voulu me faire interner, j'ai osé. Je leur ai dit merde. Et ça m'a fait tellement de bien que j'en ai pleuré. J'ai plié bagages sans attendre plus longtemps, sans qu’ils daignent me retenir.

J'ai cherché un travail, emménagé dans un petit loft chaleureux. Pour leur prouver que leur putain de rejetons, ce foutu monstre dont ils ne voulaient plus avoir la charge, pouvait se débrouiller dans la vie. S'épanouir dans une société qui à tout moment pouvait pourtant la rejeter.

Ou du moins, essayer. Bien que je ne serai jamais normale. Bien que cette ombre, qui vivait à mes dépends en moi, pouvait causer ma perte. La chose ne me voulait pas de mal pourtant. Pas volontairement du moins. Elle tentait même de me protéger. Mais les manières de ce monde lui échappaient et son caractère était explosif.

En d'autres termes, c'était là un bien dangereux combo aux mains d'une personne comme moi.

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