-Chapitre 1-

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Quelqu’un se racla la gorge, me faisant sortir de mes pensées. Je soupirai puis, à regret, je relevais les yeux du capot du petit bijou flambant neuf que m'avait confié une charmante bonne femme ce matin même. L’arrivée de cette-dernière n'était d'ailleurs pas passée inaperçue : son look était complètement décalé avec le lieu où elle se trouvait. Sans doute âgée d'une cinquantaine d'années, elle portait une robe rouge qui s’accordait à merveille avec son regard acéré.

Ses cheveux, d'un blanc presque immaculé, étincelant, étaient dignes de figurer dans une publicité pour un shampoing de marque et il émanait d'elle une délicieuse odeur de barbe à papa, de rose, de forêt ainsi que d'autres effluves que je n'avais pas réussi à identifier. Autant dire qu'avec ce mannequin aux yeux bleus ici, le garage n'en paraissait que plus pittoresque.

Et pourtant, même si on se situait à la péninsule de la ville, nous n'étions pas l’enseigne la plus attrayante du point de vue de l'extérieur. Autour de nous d'autres garages s'étaient installés et avaient rapidement fait chuter le chiffre d'affaire des lieux. Malgré cela, la bourgeoise cliente était là, son regard parcourant les lieux d’un air critique.

Contrairement à mes collègues masculins, trop occupés à dessiner de leurs yeux les contours de sa silhouette ou à prendre une discrète pose alors qu'ils travaillaient (se voulant bien entendu la plus attrayante possible afin d'exhiber leurs muscles), j'observais du coin de l'œil l'attitude de cette femme. Elle m’intriguait et quelque chose dans son comportement m’intriguait.

Elle paraissait intéressée, ses yeux furetaient dans tous les sens, tandis que le dos bien droit, elle analysait tout ce qui l’entourait. Je n’aurai pas été étonnée d’apprendre qu’elle était un robot. Elle en avait tout l’air, avec ses gestes mesurés, très mécaniques. Je reconnus immédiatement son comportement pour l'avoir observé aussi souvent qu'on changeait de vêtements : elle faisait partie de la concurrence et tentait de trouver l’élément qui causerait notre perte.

Quand je fis part de mes observations à mon patron, sans grand étonnement, il les balaya d'un rapide coup du revers de la main. Edgar Bennett, un homme bien vivant grâce aux bons petits plats concoctés par sa femme aimait par dessus tout la gente féminine. Au grand damne de son épouse qui se confortait dans l'idée qu'il n'allait jamais plus loin que du flirt de gamin. Alors imaginez sa réaction quand il avait vu cette poupée descendre de sa superbe Audi R8.

C'était Noël avant l'heure...

« Thara ? Tu m'écoutes ? Demanda ce-dernier en m'adressant un regard exaspéré.

-Pas vraiment. Tu disais ? »

L'homme leva les yeux au ciel, un léger sourire flottant sur ses lèvres. J'avais mis un certain temps à le tutoyer mais maintenant, obéissant à sa demande, c'était comme si cela coulait de source. Je m'étais d'ailleurs abstenue de lui faire remarquer que les hommes ne pouvait lui adresser la parole qu'en le vouvoyant. Nombre d’entre eux voyaient d’ailleurs ma façon de parler avec le patron, d’un mauvais œil. Ils trouvaient cela déplacé.

Mais Edgard ne semblait pas être dérangé. Au contraire, il avait beau ne jamais l'avoir clairement dit, je savais que mon répondant lui plaisait et que cela expliquait ma rapide embauche dans son garage.

« J'étais en train de t'expliquer que l'heure tournait et il me semble que tu as un p'tiot à chercher... C'est quoi son nom à ton fils déjà ?

-Minho ? J'avais prévu de faire des heures supplémentaires, alors j'ai appelé mon colocataire pour qu'il aille le chercher à l'école à ma place. »

Edgar eut soudain l'air embarrassé et il se passa une main dans les cheveux. Il y a quelques temps encore, ils étaient d'un brun qui se rapprochait de la couleur du chocolat mais en quelques semaines, de petites mèches se dépigmentaient et prenaient une teinte blanchâtre. Il en plaisantait lui-même en disant que bientôt, on pourrait l'appeler « grand-père ».

« Un conseil ma jolie, le temps s'écoule vite et si tu ne veux pas avoir de regrets avec Minou, je pense que tu devrais profiter de petits moments comme les soirées entre mère et fils...

-Je fais ça pour lui. »

Remarquant que mon ton était cassant, je me radoucis et reprit. Il ne méritait pas que je lui parle de la sorte après tout ce qu'il avait fait pour moi.

« Je suis sûre qu'il m'en remerciera plus tard. Et puis c'est Minho, pas Minou.

-Si tu le dis, déclara-t-il en haussant les épaules. Mais un gosse, à cet âge-là, ça a besoin d'amour, pas d'argent. Ne reproduis pas le schéma que tes parents ont effectué. »

Un frisson parcourut mon corps et je me contentais de hocher lentement la tête. Minho avait déjà sept ans et il était ma plus grande fierté. Il était débrouillard mais je devais reconnaître que par rapport aux mères de ses amis, je passais pour une maternelle indigne et incapable. Il ne me réclamait jamais de câlins et pourtant, je savais que cela lui manquait, surtout à la sortie d'école où tous ses compagnons sautaient dans les bras de leurs parents.

Sauf que d'ordinaire, Edgar ne faisait pas tout pour me faire quitter le garage, même quand il s'agissait de mon fils. Il y avait aiguille sous roche.

Un sourire apparut sur mon visage en découvrant le poteau rose.

« Tu me chasses du garage pour pouvoir parler un peu plus avec notre cliente, c'est ça ? »

L'homme manqua s'étouffer avec sa boisson. Il me jeta un regard désabusé que je lui rendis sans plus attendre. Alors qu'il allait me répondre, le bruit frénétique de talons claquant contre le bitume le coupa dans son élan. Tournant nos têtes en direction de la provenance de ce son, nous fûmes surpris de découvrir la cliente dont nous parlions justement. Pourtant entourée d'hommes cette fois-ci.

Edgar, remarquant le nombre important d’individus, reprit son air de patron et, jeta un bref coup d'œil vers le groupe, comme pour mieux évaluer la situation. Il hocha la tête, sans doute en réponse d’une interrogation muette, puis me fit signe de le suivre. Quand nous parvînmes à hauteur de ces-derniers, il leur offrit un sourire qui aurait fait pâlir d'envie les vendeurs du monde entier.

« Madame Jones. Que puis-je faire pour vous ? Si vous venez pour votre véhicule je suis contrains de vous annoncer que sa réparation n'est pas...

-Fermez-là, le coupa-t-elle. Je n’ai pas de temps à perdre avec vous. »

La bouche de mon patron demeura ouverte de stupéfaction tandis que le regard de la demoiselle coula jusqu'à moi.

« Thara Becker ?

-C'est moi. »

Ma voix ne trembla pas et je m'en félicitais. Malgré tout, je n'avais qu'une envie, lui dire ma façon de penser. De quel droit lui parlait-elle de la sorte, comme s’il n’était qu’un vulgaire insecte qu’elle pouvait écraser sous sa botte.

«Veuillez nous suivre s'il-vous-plaît. Nous aimerions discuter avec vous. »

La belle femme me dévisageait avec une insistance dérangeante et un sérieux sans faille qui me certifia qu'elle ne plaisantait aucunement. Ses yeux bleus semblaient d'ailleurs vouloir s'immiscer dans mon esprit pour y découvrir le fond de ma pensée. Pensée à laquelle je ne souhaitais nullement qu'elle accède un jour.

Me sentant soudainement mal à l'aise face à cette inconnue et refusant de baisser les yeux devant elle pour ne pas perdre la face, je jetais un coup d'œil à mon patron. Il était encore étonné par la réponse subite de la damoiselle et, comme me le prouvaient ses bras ballants autour de son corps, il ne semblait pas savoir quoi faire face à cette situation.

Alors, comprenant que je devais me débrouiller par moi-même, je poussais un soupir et me tournais de nouveau (sans motivation) vers mon interlocutrice. Pourquoi fallait-il toujours qu'un problème vienne perturber la situation stable que j'avais durement acquise ? A croire que j'étais dans le collimateur de la poisse. Ou dans celui des Cieux. D'ailleurs, si Dieu existait vraiment, il ne devait pas me considérer comme une personne apte à mener une existence normale vu la façon dont il me poussait sans cesse à faire face à ce genre d'imprévus...

Parce que tu ne seras jamais normale, un point c'est tout...

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