L'anneau

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Tout en massant ses poignets endoloris, Frédéric avançait pas à pas d'un air absent. Il repensait à cette rencontre avec le roi, qui lui paraissait tout aussi surréaliste que le reste de cette mésaventure. Tout semblait si réel, et en même temps si loin de la réalité telle qu'il la connaissait. Cela n'avait aucun sens.

Il s'arrêta en arrivant face au mur, ce qui le fit sortir de son hébétude. Il cligna des yeux plusieurs fois avant de se tourner, puis il se laissa glisser le long du mur pour s’asseoir par terre. Il se prit alors la tête dans les mains, les yeux clos, dans le vain espoir d'échapper à ce monde qui n'était pas le sien. Mais le contact de quelque chose de dur contre sa peau lui fit rouvrir les yeux et redresser la tête.

Il regardait ses mains sans comprendre. Puis son regard se fixa sur l'anneau qui n'avait pas quitté son doigt. Approchant son autre main avec hésitation, il frôla du bout d'un doigt le métal ouvragé et, tout en continuant à le caresser, tourna la main lentement. Il écarta brusquement son doigt, surpris, en découvrant ce que représentait l'anneau.

Dans un mélange de crainte et de fascination qu'il ne pouvait s'expliquer, il admirait le serpent d'argent qui s'enroulait autour de son doigt, les crocs plantés dans la queue. La lumière changeante de la torche venait jouer sur les écailles finement ciselées, et animait d'une lueur mauvaise deux yeux minuscules qui semblaient fixés sur lui. Comme s'il était prêt à bondir.

L'étrange impression que le serpent bougeait à chaque fois qu'il clignait des yeux commençait à le mettre mal à l'aise. Il dut se forcer à toucher le serpent de métal pour se convaincre qu'il n'était pas vivant et que c'était juste une illusion. Malgré tout il n'osait toujours pas même frôler la tête du serpent. Son malaise persistait.

Pourquoi avait-il enfilé ce maudit anneau ? Et surtout qu'attendait-il pour s'en débarrasser ? Il hésita, puis se décida à approcher deux doigts, qu'il écarta aussitôt sans s'expliquer pourquoi. Perplexe, il fit une seconde tentative qui eut le même résultat. Au troisième essai il tenait l'anneau entre ses deux doigts mais ne put se persuader d'achever son geste. Il laissa tomber ses mains en soupirant. Cette singulière réticence à l'idée de retirer l'anneau était incompréhensible.

La tête appuyée contre le mur, il fixait le plafond de sa cellule. Son regard se brouillait alors qu'il tentait de se porter au delà de cette prison. Il ferma les yeux pour mieux voir les lieux familiers qui lui étaient maintenant hors d'atteinte. Alors commença à germer dans son esprit l'idée que pour retrouver sa vie il lui suffisait de sortir de ce cauchemar. Mais il eut beau se concentrer, rien n'y fit pour s'en éveiller. Dans sa frustration, il serra le poing et s'en frappa le front plusieurs fois avant d'ouvrir les yeux pour fixer l'anneau. C'était lui qui le retenait prisonnier, il en avait l'étrange conviction. S'il voulait se libérer il devrait d'abord se libérer de ce maudit bijou.

Fort de sa résolution, il prit une courte inspiration, puis saisit fermement l'anneau sans réfléchir et commença à tirer. Mais il ne vint pas. Il n'avait pourtant eu aucun mal à l'enfiler. C'était comme s'il s'était resserré autour de son doigt. Plus que jamais décidé, il tira encore, y mettant plus de force. Et plus il tirait, plus le métal semblait lui entrer dans la chair, jusqu'à lui faire pousser un cri de douleur. Surpris, il lâcha l'anneau et regarda son doigt avec appréhension. Sans rien y voir d'anormal. Il le fit bouger pour se rassurer qu'il n'était pas cassé. Même l'anneau ne semblait pas différent.

Il ne comprenait pas d'où avait pu venir cette brusque douleur, mais il n'était pas question qu'il renonce à sa liberté pour autant. Après quelques instants d'hésitation, il prit soudainement l'anneau et tira. Et continua à tirer quand il le sentit se resserrer autour de son doigt. Serra les dents alors qu'il lui mordait la chair et menaçait de lui briser l'os. Trembla dans un ultime effort, avant de finalement céder à la douleur débilitante qui lui enflammait la main.

Pendant plusieurs minutes d'angoisse, il n'osa plus la toucher ni même la regarder, de peur d'y voir les effets du mal qu'il ressentait encore. Quand il se prit à imaginer la chair à vif, il se força à ouvrir les yeux. Et fut surpris et rassuré de voir qu'il n'en était rien. La douleur encore présente attestait pourtant qu'il n'avait pas rêvé son agonie.

Déconcerté, il regarda encore l'anneau sans plus y toucher, sentant les élancements dans sa main s'atténuer peu à peu. Puis il détourna son regard et tenta de penser à autre chose. Mais tout ce qu'il voyait étaient les murs et les barreaux de sa cellule, et ses pensées s'y heurtaient pour tourbillonner d'un malheur à l'autre, revenant constamment à leur source, qu'il ne pouvait s'empêcher de lorgner en soupirant d'impuissance.

Quand il en eut assez de se morfondre, il se leva et s'approcha de la lucarne. Il pouvait entendre les bruits venant du dehors, mais elle était trop haute pour qu'il puisse voir ce qu'il se passait. À moins qu'il ne réussisse à en atteindre les barreaux. Il dut s'y reprendre à deux fois, mais il parvint à attraper un barreau, puis il se hissa à grand peine, jusqu'à pouvoir passer ses bras de l'autre côté pour s'agripper plus fermement.

Pendu par les bras la position n'était pas des plus confortables, mais elle lui permettait au moins d'apercevoir ce qu'il y avait au delà de ces murs. L'ouverture donnait sur la rue, au ras du sol, si bien qu'il voyait surtout les pavés irréguliers et les pieds qui les foulaient. Dans l'espoir d'obtenir de l'aide, il essaya d'attirer l'attention de quelqu'un, mais personne ne s'arrêta et il finit par renoncer.

Il continua à regarder dehors pendant quelques minutes, cherchant un indice qui lui permettrait de déterminer où il se trouvait, mais rien ne lui était familier. Il n'y avait ni panneau, ni lampadaire, aucun trottoir et pas d'égouts. Si c'était une rue piétonne, ça expliquerait qu'il n'ait vu passer aucune voiture. C'était sans doute un vieux quartier qui n'avait guère changé depuis le moyen âge, mais il se demandait bien dans quelle ville il pouvait se trouver.

Il se laissa redescendre progressivement, mais les muscles de ses bras lui firent défaut et il se retrouva par terre plus vite que prévu. Il se releva avec précaution, s'assurant qu'il n'avait rien de cassé. Il n'aurait sans doute rien à craindre de plus que quelques bleus, ce qui dans sa situation actuelle était le moindre de ses soucis.

Tout en frottant ses bras endoloris, il fit encore une fois le tour de sa cellule, se demandant combien de temps on le garderait enfermé là. Après tout, il était innocent, c'était lui la victime. Quand ils auraient compris qu'il n'était pour rien dans leurs affaires, il serait libéré et pourrait vite retourner à la civilisation... Où qu'elle soit.

Le peu qu'il avait pu voir de cet endroit faisait penser à une époque reculée, comme s'il était tombé en pleine reconstitution historique. Si c'était le cas, il devrait bien réussir à leur faire comprendre qu'il ne faisait pas partie de leur équipe. Il lui fallait arrêter de se laisser malmener sans rien dire et révéler son identité à la prochaine personne qu'il verrait. Pourvu qu'ils ne le laissent pas moisir tout seul trop longtemps.

Il hésitait à crier vers la porte pour faire venir quelqu'un, quand son regard tomba à nouveau sur l'anneau à son doigt. Il pouvait trouver toutes les explications qu'il voulait pour le reste, mais il n'en avait aucune pour ça, si ce n'est qu'il était devenu fou et qu'il délirait. Était-ce cela la folie ? Se retrouver sain d'esprit dans un monde délirant ?


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